Journée d'études organisée par l'IESR - EPHE, samedi 6 décembre 2014 : l'enseignement moral et civique : comparaisons européennes
Ouverture par Isabelle Saint-Martin, Directrice de l'Institut européen en sciences des religions, IESR, et Philippe Gaudin, Directeur adjoint et responsable formation-recherche à l’IESR: présentation de l’ouvrage : Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux (Riveneuve éditions 2014).
I. Saint-Martin et P. Gaudin précisent que l'enseignement de la morale et l'enseignement des faits religieux, tout en étant deux matières distinctes, ont des buts communs, c'est à dire, faire exister des contenus transdisciplinaires. Un débat est ouvert en France comme ailleurs en Europe sur cette question qui comporte aussi une dimension politique. Dans un contexte de crise de valeurs et de crise de leur transmission, un consensus européen se dessine pour une démarche pédagogique : entraîner les élèves à une mise en commun, à une écoute, à un débat éthique.
Plusieurs intervenants venant de différents pays d'Europe mais aussi du Québec prennent successivement la parole.
Laurence Loeffel, le projet français d’un Enseignement moral et civique
L. Loeffel nous présente le projet français d’un Enseignement moral et civique (juin 2014). Elle fait un historique qui souligne la nécessaire et urgente revitalisation de l'enseignement moral à l'école, signale d'emblée que le rapport pour un enseignement laïque de la morale remis à Vincent Peillon en 2013 est le seul commandé par un ministre depuis le XIXe siècle sur ce thème.
A la fin des années 1990, l'idée de désenclaver l'éducation du citoyen en classe ouvre le passage à l'éducation au "vivre ensemble", objectif perçu comme trop flou, devenu depuis slogan dans la société. L.Loeffel constate le désengagement progressif de toute une frange d’enseignants du primaire dans la formation du citoyen à et par l’école, considérée, d’une part comme moins fondamentale, souvent vécue, d’autre part, comme attachée à l’école de la Troisième République.
En 2002, l’introduction de l'enseignement des faits religieux a été vécue, dans le primaire, comme une greffe qui n'a pas pris. En 2012, le ministre Vincent Peillon souhaite introduire l'enseignement de la morale laïque à tous les degrés de l'école. Dans une interview du 24 août 2013, il dit : " il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix". Cette phrase suscitera des réactions diverses et souvent véhémentes : peur d'une morale d'Etat qui se substitue à celle de la famille, peur d'une morale antireligieuse...L'idée que l'émancipation de l'enfant passe par l'éducation du citoyen à l'école ne semble plus crédible, pour les enseignants comme pour la société. La morale est vue comme personnelle.
Cependant, L.Loeffel souligne l'originalité et la cohérence du projet de l'enseignement moral et civique qui s'étend du CP à la terminale (de 6 à 18 ans). Il peut favoriser une citoyenneté éclairée dans une société démocratique s'il fait une large place aux pratiques langagières et à la formation du jugement critique. Il s'appuie sur des compétences identiques pour tous les cycles, sur des propositions de méthodes centrées sur le débat où normes et valeurs sont discutées et non pas imposées, et sur " la fabrication d'un espace commun de discussion et de vie".
Elle précise ensuite les quatre domaines de la "culture morale et civique " : culture de la sensibilité, culture de la règle et du droit, culture du jugement moral, culture de l'engagement. Ce projet propose logiquement des points d'articulations avec des enseignements diversifiés comme l'histoire, l'histoire des arts, l'enseignement des faits religieux...
En conclusion, pour Laurence Loeffel, " il faut rallier les enseignants à cet enseignement moral et civique (EMC)."
Tim Jensen (Syddansk Universitet, Danemark):
KLM : Combining Citizenship Education with Life-Philosophy and the Teaching of Christianity in Danish Teachers Training
T. Jensen intervient sur la KLM : Combining Citizenship Education with Life-Philosophy and the Teaching of Christianity in Danish Teachers Training. Il fait un historique détaillé de l'évolution de cette formation qui a commencé par une non-différenciation entre le learning from et le learning about dans la religious education à l'école élémentaire danoise.. Même après 1975, la religious education à l'école élémentaire, officiellement non confessionnelle continuait à véhiculer une culture nationale et chrétienne (réelle ou supposée)
Cependant, la mention explicite de l'éducation à la citoyenneté vint plus tard, en lien avec un débat sur les valeurs, valeurs dont on avait peur qu'elles soient menacées par la population immigrée, en particulier, la population musulmane. Aussi, l'éducation à la citoyenneté apparut-elle tournée plus vers une politique d'assimilation qu'une politique d'intégration. Une évolution vers une "éducation à la citoyenneté" en lien avec la question de la transmission des valeurs traditionnelles et l'apparition de l'islam dans la société danoise, verra le jour.
L'année 2007 voit l'introduction de l'éducation à la citoyenneté dans la formation des enseignants. Cette dernière s'articule avec celle du christianisme et des différentes conceptions du monde. Les contenus du domaine 'Religion and Culture' sont:
a) Le christianisme, ses récits fondamentaux, ses concepts, son histoire et sa présence avec un accent mis sur le cas du Danemark. b) Judaïsme et Islam comme religions minoritaires européennes. c) Religion et droits de l’homme considérés dans le contexte de la rencontre des cultures et l’école. d) La relation actuelle entre religion, culture et politique. e) L’impact du christianisme luthérien sur la démocratie, l’Etat-Providence et l’école au Danemark.
Parmi les objectifs, comprendre l’impact du christianisme (dans la forme définie au singulier : kristendommen) et des autres conceptions du monde (livsanskuelser) sur les valeurs fondamentales ('foundational') rencontrées dans un contexte européen et danois.
La matière, qui peut être vue comme la combinaison de plusieurs matières différentes, a été âprement discutée depuis le début. Une critique majeure consistait à dire que KLM était le résultat d’une politique néo-romantique de l’identité destinée à donner aux enseignants la capacité de promouvoir un héritage (postulé) national-culturel-chrétien et des valeurs danoises (également postulées) s’enracinant dans le christianisme luthérien.
Cependant, dans la version la plus récente (2013), les éléments nationalistes et prosélytes chrétiens ont été soustraits, et l'un des principaux buts est de donner aux futurs enseignants des connaissances et des compétences pour tenir les défis éthiques, politiques, religieux liés à l'enseignement, à la coopération entre les parents et l'école dans une société mondialisée.
On peut conclure qu'on est passé d'un sermon à une leçon, d'une construction identitaire néonationaliste à l'acquisition de compétences pour vivre dans une société multiculturelle. Enfin, presque!
Wolfram Weisse (Universität Hamburg, Allemagne) : L'enseignement au respect et à la tolérance interculturelle et interreligieuse dans le Land de Hambourg : la position des élèves
W. Weisse présente un projet ambitieux sur cinq ans (2013-2018) : "Religions et dialogue dans les sociétés modernes". Recherche qui représente un grand défi par rapport au "vivre ensemble" dans les sociétés modernes devenant plurielles sur le plan religieux. Cette étude concerne plusieurs pays de l'Europe du Nord et se fait dans une approche interdisciplinaire.
Le but général est d'étudier le phénomène complexe de l'activité de dialogue interreligieux et son impact sur les processus sociaux d'intégration et de résolution des conflits afin d'obtenir des résultats applicables pour leur mise en oeuvre. Deux niveaux de recherche : 1) les questions fondamentales : le dialogue théologique qui a ses possibilités et ses limites ; 2) la pratique du dialogue par des enquêtes empiriques et des études comparatives.
La recherche comprend une enquête générale et une étude plus particulière dans le cadre d'une classe.
W.Weisse présente alors l'enquête générale. Celle-ci porte sur le positionnement des jeunes par rapport à la religion (du niveau de la classe n°10 en Allemagne, 15-16 ans). La méthode qualitative est utilisée.
Les résultats partiels sont : 1) chez les élèves, un déclin de l'intérêt pour la religion chez les catholiques et les protestants, et une forte vitalité dans les autres cultures religieuses ; 2) attitude très majoritaire d'ouverture à toute religion ; 3) la coexistence de groupes différents vue majoritairement comme un enrichissement ; 4) pour une majorité d'élèves, l'islam n'a pas sa place en Europe.
W.Weisse présente ensuite l'étude plus particulière dans le cadre d'une classe dans le contexte particulier d'un quartier multiculturel de Hambourg (10 religions représentées). La diversité religieuse est vue par les élèves comme une source de richesses. La reconnaissance mutuelle est forte, y compris par rapport aux musulmans. Le terrorisme imputé aux musulmans est contraire à leur expérience dans leur école et dans leur environnement.
Toutefois, la tolérance religieuse connaît des limites quand est posée la question des mariages mixtes car l'homogénéité religieuse est préférée. Deux interprétations de ces résultats sont possibles : 1) l'acceptation de l'autre : attitude superficielle, simple conditionnement de l'école. 2) une constellation de positions en fonction du contexte. Interprétations qui ont besoin d'approfondissement
Pour conclure, Wolfram Weisse est conscient de la nature limitée de l'expérience et souhaite que cette approche empirique soit comparée internationalement.
Jacques Pettigrew, responsable des programmes Ethique et culture religieuse au ministère de l'Education, du Loisir et du Sport du Québec.
J.Pettigrew présente le programme "Ethique et culture religieuse" au Québec.
Ce programme s'applique depuis 2008. Auparavant, coexistaient trois programmes : Enseignement moral et religieux catholique, Enseignement moral et religieux protestant, et Enseignement moral. Le premier étant largement choisi.
Ce nouvel et unique enseignement est obligatoire et dispensé environ une heure par semaine, en primaire et secondaire. Il a deux visées : la reconnaissance de l'autre et la poursuite du bien commun. Trois compétences sont à développer : 1) Réfléchir sur des questions éthiques ; 2) Manifester une compréhension du phénomène religieux ; 3) Pratiquer le dialogue.
La première compétence centrée sur l'éthique ne se veut pas un enseignement moral ou d’une morale. Elle privilégie le développement de la compétence par rapport à une acquisition de connaissances. Toute sa vie l'élève devra réfléchir de façon éthique, analyser une situation, en examiner les tenants et les aboutissants, analyser différents points de vue (dont celui de certaines traditions religieuses), évaluer les différentes options possibles, avant de choisir. Si on peut demander à l'élève de nommer les valeurs qui soutiennent différents points de vue, en revanche, l’option ou la croyance personnelle de l’élève n’a pas à être affirmée ou soutenue en classe.
La deuxième compétence aborde les religions sur un plan culturel. Il s’agit de « décoder » les signes et expressions du religieux qui nous entourent.
En éthique comme en culture religieuse, la posture professionnelle de l'enseignant est importante et doit être impartiale, objective et emprunte de respect.
La troisième compétence « Pratiquer le dialogue » n’est pas un dialogue interreligieux. L'objectif est de fournir des outils à l'élève pour repérer notamment les sophismes, décrypter une argumentation menant à l'impasse, l'enseignant garantissant les conditions d'un dialogue ouvert.
En conclusion, Jacques Pettigrew qualifie le programme "Éthique et culture religieuse" d'ambitieux, conscient que le temps hebdomadaire consacré est insuffisant et que la formation des enseignants reste un défi.
Mar Griera (ISOR, Universitat Autònoma de Barcelona, Espagne) : Quelle morale pour l’école? Le débat sur l’éducation à la citoyenneté en Espagne
Mar Griera intervient sur ce sujet, très polémique en Espagne. L'enseignement d'une morale civique dans la loi organique de 2006 présenté par Zapatero s'est révélé un échec.
Le contexte historique l'explique. Sous Franco, deux disciplines sont obligatoires : 1) formation de l'esprit national ; 2) formation à la religion catholique (religion d'Etat).
Pendant la transition démocratique : méfiance pour l'enseignement de l'éthique et réduction du rôle de l'Eglise dans l'organisation de l'enseignement.
Suite aux attentats du 11 mars2003, Zapatero dans une loi organique sur l'enseignement s'appuie sur les recommandations du Conseil de l'Europe.
Le ministère impose en 2006 un cours d'éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme : favoriser des individus libres, former de futurs citoyens, avec ses droits et ses devoirs. Polémique de la droite et de l'Eglise "contre l'endoctrinement de nos enfants".
Les pouvoirs publics garantissent aux parents le droit de donner la formation religieuse et morale à leurs enfants en accord avec leurs convictions (art 27.3 de la Constitution ) faisant appel aux droits de l'homme (Parlement de Strasbourg, Tribunal européen des droits de l'homme et Conseil de l'Europe).
En 2011, retour de la droite au pouvoir : élimination de l'Education à la citoyenneté.
Aujourd'hui, théoriquement, trois choix s'offrent et des élèves doivent choisir une option parmi les suivantes: 1) religion catholique ; 2) enseignement civique et éthique ; 3) religion protestante, islam, judaïsme. Cependant, l’option d’étudier la religion protestante, musulmane or juive n’est pas assurée dans tous les écoles et les territoires de l’Etat. Il a beaucoup des carences à cet égard.
Cette question liée à l'éducation est un élément de crispation entre droite et gauche : repolitisation de la religion catholique dans ce domaine, difficulté pour les secteurs les plus progressistes de l'Eglise à se faire entendre, absence de position commune au sein de la gauche
Maria Chiara Giorda (Università degli Studi di Torino, Italie) : Rien ne va plus? Le cas de l’Italie
M.C. Giorda évoque un double échec : celui de l'éducation à la citoyenneté et celui de l'enseignement des faits religieux.
Education civique : matière scolaire spécifique ou "tâche générale" de l'école? Débat depuis 150 ans.
Panorama historique avec quelques dates significatives :
Après 1945, dans l'optique de la "défascisation", éducation civique proposée et participation en classe, base de la vie démocratique.
- 1955 : enseignement religieux : base et couronnement de l'éducation morale et civique, 2 heures / semaine. Un lien privilégié est fait entre morale catholique et éthique.
- 1958 : 2 heures d'éducation civique/ semaine dans le secondaire : étude de la Constitution, tolérance, respect des autres, vie collective...
- 1984 : Révision du Concordat : le catholicisme n'est plus une religion d'Etat. L'Etat garantit la possibilité de recevoir l'enseignement de la religion catholique ainsi qu'une transmission des valeurs civiles et sociales.
- 1985 : Education civique dès l'école primaire
- 1992-1994 : Education à la légalité dans un contexte de lutte contre la mafia. Travail sur l'observation des règles, débat sur la démocratique. Cependant pas d'enseignants formés ni d'horaire précis. L'instabilité politique italienne fait que le travail de l'éducation au vivre ensemble n'entrera pas en vigueur
- 1996 : nouveau programme de religion catholique ouvert aux non-catholiques.
- 2003 : concours public pour les enseignants de religion dont 70% deviennent permanents.
- 2003-2008 : " Education au vivre ensemble" dès la maternelle reste théorique faute d'investissement financier.
- 2010 : nouveaux programmes : citoyenneté et constitution. Le catholicisme, facteur de dialogue interreligieux.
En conclusion, M. Giorda souligne que le cours de religion catholique qui concerne la grande majorité des élèves, s'ouvre à une dimension éthique et pluraliste, mais que le cours d'éducation civique est une matière invisible sans formation des enseignants, sans programme, sans financement, sans manuel et sans évaluation. Cependant, il faut faire confiance aux expériences locales, aux laboratoires d'éducation à la citoyenneté : Turin, Rome, Milan et l'histoire des religions existe en tant que moyen d'éducation à la citoyenneté. Il n'y a aucune perspective politique et culturelle commune sur la laïcité. On aboutit à un double échec : celui de l'éducation sur les religions et celui de l'éducation à la citoyenneté.
Patrick Loobuyck ( Universiteit Antwerpen, Belgique) : L’absence de l’enseignement de la citoyenneté en Belgique... et la différence entre communauté flamande et francophone
En Belgique, trois communautés indépendantes: francophone, flamande, germanophone. Longs débats, violentes oppositions "pour le contrôle de l'âme de l'enfant."
- 1958, Pacte scolaire signés par les libéraux, les socialistes et les catholiques: instauration d'un cours de morale non confessionnelle à coté d'un cours de religion.
- 1988, nouvelle constitution, Article 84 : Les écoles publiques offrent le choix entre l'enseignement d'une religion ou d'une morale. Art 3: "tous les élèves soumis à l'obligation scolaire ont droit à une éducation morale ou religieuse."
En Flandre, dans l'enseignement public: 52% des élèves choisissent l'éducation morale, 30% le cours de religion catholique, 14,5% l'islam. Les associations laïques s'intéressent au programme et au choix des professeurs.
Débat public au secondaire - en Flandre et en pays francophone - sur le Pacte scolaire considéré comme un anachronisme devant les contraintes : organisation d'horaires, finances, formation, inspections...
Pas de cours indépendant de la citoyenneté à l'école . Hostilité à l'égard de l'éducation sur le vivre ensemble chez les jeunes en Belgique. L'enseignement à la citoyenneté est aussi nécessaire que peu structuré. L'approche se fait par le biais de l'histoire sans enseignement spécifique. . Il est transversal et dépend de la bonne volonté des écoles et des professeurs.
- 2012 : Une partie des cours de philosophie consacrée à l'interculturel : 24 compétences abordées en 6 leçons. Evolution positive mais tardive.
Conclusion générale, évolution qui donne à l'éducation à la citoyenneté une place insuffisante au regard des direstives du Conseil de l'Europe.
Proposition : introduction d'un cours commun regroupant éthique, citoyenneté, culture religieuse et philosophique au lieu de cours confessionnels et des cours de morale, ce qui nécessite une réforme de la Constitution.
Déclaration du gouvernement pour 2014-2019 : instauration dans les écoles de l'enseignement officiel progressivement à partir du primaire d'un cours commun d'éducation à la citoyenneté dans le respect des principes de la neutralité en lieu et place d'un heure de cours confessionnel ou de morale laïque, en vue de l'apprentissage des valeurs démocratiques , des droits de l'homme, du vivre ensemble, approche historique des philosophies, des religions et de la pensée laïque.
Initiative bloquée par les catholiques et les laïques.
André Pachod (Ecole supérieure du professorat et de l'éducation de Strasbourg) : Le cas particulier de l'Alsace
A. Pachod se présente comme un Alsacien, un chercheur "éthicien" soucieux de questionnement, de recul, menant son raisonnement en 3 D : dialogue, débat, diversité. Sa recherche concerne le primaire.
Il y a un héritage, une persistance de l'enseignement de le religion de la maternelle à la terminale.
La situation alsacienne n'est pas exempte de tensions.
700 intervenants dans le primaire, 122 dans le secondaire assurent des cours obligatoires : 60% d'élèves vont en cours de religion, 40% en cours de morale.
Il y a deux facultés de théologie délivrant des diplômes d'Etat. En Alsace Moselle, la religion fait partie du quotidien ; l'Alsace n'ayant pas connu 1905 ; les Allemands ont utilisé la religion pour germaniser l'Alsace.
Les textes qui président à l'enseignement de la religion sont à rapprocher des compétences 5 et 7 du Socle commun. Un "Livre blanc" pose les questions : quelle conviction? quelle religion? quel enseignant transmet quel savoir? à quels élèves? comment s'adresser à tous pour élargir ses connaissances selon quelle pédagogie? quel élève former pour quelle morale, dans quelles valeurs, quelles finalités? Il ya une finalité éthique plus qu'une doctrine verrouillée.
Toute une série de "passages" sur cette ouverture:
- 1) de la catéchèse à un enseignement sur les religions en milieu scolaire.
- 2) d'un point de vue à une pluralité (approche comparée).
- 3) de l'enseignant témoin ( éthique de conviction) à l'enseignant responsable (éthique de responsabilité : éthique professionnelle forte, des savoirs neutres).
- 4) du premier au second degré, passage d'un public ciblé à un public varié.
- 5) d'un enseignant unique à un enseignement multiple (transdisciplinaire: philo; histoire, littéraire...) C'est une dimension culturelle plus que religieuse.
Vivre ensemble, et différents : un point de vue n'est que la vue d'un point ; le relativisme, ce sont des questions sans réponses ; l'intégrisme, ce sont des réponses sans questions.
Pas de demande officielle de cours de religion sur l'islam à l'école.
Jean-Paul Willaime (GSRL, EPHE) présente le texte de Julia Ipgrave ( University of Warwick, Royaume-Uni) : Le "Trojan Horse" et l'Enseignement moral et civique en Angleterre
Beaucoup de controverses actuelles sur le sujet en Angleterre.
Le débat a eu tendance à s’empêtrer dans des discussions sur la sécurité nationale, le renforcement des valeurs britanniques, la crainte que les jeunes ne deviennent extrémistes.
Trois séries de remarques :
1 - Les valeurs dans une société diversifiée : quelles valeurs procédurales et substantives pour l'ensemble de la société et/ou quelles valeurs spécifiques pour certains groupes culturels, religieux? Des désaccords sont possibles.
2 -A qui appartiennent les écoles? Aux parents ou à l'Etat? Le protocole additionnel aux Droits de l'homme définit une protection juridique du droit des parents qui élèvent leurs enfants selon leurs convictions. Aujourd'hui, tensions entre autorité et parents en cas de divergences.
3 - Le texte officiel sur l'école : "toutes les écoles participent à la préparation des élèves à une vie dans une Grande - Bretagne moderne . Mais qui est moderne? les modernités sont multiples... Ce concept de Grande -Bretagne moderne marginaliserait-il des communautés minoritaires, religieuses ou non?
D'où débat sur la légitimation de la sphère d'intervention de l'Etat dans la vie des familles.
Jean-Paul Willaime (GSRL, EPHE) : Mise en perspective comparative des situations européennes et québecoise
Conclusion
J.-P. Willaime souligne d'emblée l'immense intérêt des confrontations des diverses situations européennes et québécoise et le grand intérêt des comparaisons internationales qui permettent de s'instruire mutuellement. Chaque débat national intéresse tous les autres pays. Débats et conflits peuvent déboucher sur des pistes d'investigation. Comment le débat a-t-il lieu? Comment est-il organisé? Quels en sont les protagonistes? Quelle est sa légitimité? Quels en sont les acteurs?
On a beaucoup à apprendre de la diversité des débats nationaux dont les contextes sont différents d'un point de vue historique, politique, religieux et éducatif. Les contraintes juridiques diffèrent elles aussi entre Etats nationaux centralisés ou fédéraux où certains Etats peuvent procéder à des expérimentations dans certaines régions.
La singularité des identités nationales est-elle déterminante? L'européanisation, impossible? Il y a des tendances communes : évolution sociologique concernant l'appartenance et la pratique religieuse ou non, évolution à travers le droit européen : Livre blanc du Conseil de l'Europe, Directives européennes de juin 2013, sur liberté de religion et de conviction.
Pas de reprise nationale de ces directives pourtant ratifiées. Les textes européens sont peu cités et peu mis en oeuvre par l'Education nationale en France. Une laïcité inclusive se dégage à l'échelle de l'Europe, laïcité qui intègre dans ses pratiques la reconnaissance des représentants des différentes religions et des associations convictionnelles.
Pluralisation accrue des conceptions religieuses et convictionnelles des populations européennes. Chez les jeunes, désaffiliation par rapport aux religions qui s'accompagne d'un grand intérêt et de beaucoup de curiosité pour les faits religieux, vérifiée dans des enquêtes récentes. Autant que l'école en parle car c'est un lieu sûr (safe place) pour le faire de façon distanciée et donc dépassionnée.
La pluralisation conduit à un pluralisme normatif sur ce qu'est une vie digne et bonne. Défi particulier relatif à la morale. Différentes façons de considérer les questions d'éthique : fin de vie, questions sexuelles...Tendance à la privatisation de la morale ; les structures collectives n'auraient pas à s'en mêler ; cette revendication de liberté et d'autonomie est en tension avec d'autres demandes et ne doit pas évincer la dimension collective comme celles de santé publique, d'écologie...L'Education nationale y est confrontée.
L'ancienne division du travail éducatif (école publique et l'Etat, d'un côté, et les organisations religieuses, philosophiques et familles, de l'autre) est remise en cause. La morale sécularisée à l'école apparemment opposée à celle de la religion, était en réalité en continuité avec elle.
Aujourd'hui, changement considérable. L'Etat parle des faits religieux dans l'école publique laïque et l'enseignement de la morale appartient lui aussi à l'Etat. Pour les deux dimensions (religion et morale), on assiste à une nouvelle répartition des tâches entre l'Etat et les familles.
La définition même des objectifs d'éducation de l'école publique implique le développement spirituel de l'élève à côté de celui de l'intelligence et du corps.
Quelle articulation entre les faits religieux, la morale, la citoyenneté?
En arrière plan, quelles ressources, acteurs et capacités d'expertise interviennent dans ces questions? Quelle contribution, à partir de son champ propre et de son épistémologie, de l'enseignement des faits religieux à l'enseignement de la morale et à l'éducation citoyenne? Approcher les faits religieux d'une manière documentée est une éducation à la démarche scientifique qui repose sur des procédures de vérification, des études de documents, l'administration de la preuve, le respect des faits ; donc une éducation à la fois morale et scientifique qui dépasse le domaine de la croyance. Le débat d'experts fondé sur des démarches scientifiques est à distinguer de l'approche positiviste. Distinction nécessaire des différents régimes de vérité. Comment les résultats scientifiques sont-ils investis dans le débat public?
Devient nécessaire une éducation au pluralisme. Il faut apprendre à vivre dans une société pluraliste en recherchant un enseignement moral et civique avec des valeurs communes favorisant une pratique de la laïcité.
La question de la morale commune est un immense défi : ces valeurs communes universelles doivent-elles être exprimées de façon abstraite? Ce serait mettre au placard les ressources artistiques, religieuses qui ont fait émerger ces valeurs qui ne viennent pas de nulle part. C'est l'histoire de l'Europe dont chaque nation s'est approprié une part qu'elle doit maintenant partager sans nationalisme. Il y a différentes sources de sensibilisation, de socialisation et de légitimation de ces valeurs à reconnaître.
Quelques mots du Réseau école laïcité religions, Récolarel ...
Pour prolonger ces échanges sur les analyses de situation, les expériences mutualisables, les réflexions à poursuivre à partir de ces interventions toutes riches d'enseignements...
En Europe et au Québec, des problèmes communs...
Les attentats des 7 et 9 janvier 2015 à Paris ont montré, si besoin était, à quel point organiser une journée de comparaisons européennes sur l’enseignement moral et civique était bien nécessaire. La sécularisation de nos sociétés ne s'est pas accompagnée d'une désacralisation. Les politiques d'"intégration" des pays, avec ou sans passé colonial, ont montré leurs limites. Une partie de la population d'origine étrangère, installée souvent depuis plusieurs générations, ne trouve pas ou peu sa place dans nos sociétés.
En ce qui concerne plus précisément les politiques éducatives, la plupart des pays européens ainsi que le Québec ont répondu, d'une façon plus ou moins rapide et adéquate, à ces situations nouvelles et parfois critiques. Dans des contextes nationaux ou régionaux différents, nombre de politiques éducatives, souvent sans grand succès, s'en sont suivies. Les multiples mesures préconisées semblent avoir eu du mal à s'appliquer du fait des oppositions entre parties prenantes (représentants de partis politiques, associations diverses dont enseignants, parents d'élèves, mouvements religieux et laïques...) ainsi qu'à l'intérieur de chacune de ces parties, bloquant une avancée vers une meilleure éducation au vivre ensemble.
Des expériences à mutualiser...
Une attitude honnêtement pragmatique ne saurait nuire dans ces domaines saturés d’idéologies inconciliables. Car, si l’on se tourne modestement vers quelques pratiques pédagogiques mettant en œuvre l’enseignement moral et civique, certaines démarches particulièrement intéressantes ont été présentées : la pédagogie du débat prend en compte l'expérience propre des élèves dans un cadre organisé et balisé, dans le respect des contenus spécifiques de chaque discipline, par exemple au Québec et dans la région de Hambourg.
Des pratiques parallèles de débats préparés, s'inspirant de ces expériences, pourraient être mises en oeuvre et faciliter une meilleure progression des élèves et l'élaboration de critères d'évaluation. Pourquoi ne pas chercher à tirer parti des expériences qui marchent ailleurs et à les mutualiser ? Une entrée pragmatique et pédagogique aiderait peut-être à contourner les blocages insurmontables d’un point de vue idéologique ?
Une meilleure prise en compte des directives émanant des institutions européennes sur l'éducation, celles de la Commission européenne, du Conseil de l'Europe, du Parlement européen, pourtant signées par chacun des pays, est une autre piste de travail prometteuse, soulignée par Jean-Paul Willaime.
En France, une pédagogie de la laïcité qui peine à se renouveler...
En ce qui concerne la France, les attentats ont provoqué une prise de conscience d'une situation très préoccupante aux niveaux social, économique, éducatif, culturel. L'école plus encore qu'ailleurs devient l'objet de toutes les attentions.
Le ministère de l'Education nationale réactualise le projet d'Enseignement moral et civique, chantier déjà ouvert dans le cadre de la " Refondation de l'école ", en 2013, dont la pertinence devient difficilement discutable. Le Conseil Supérieur des Programmes en a fait une présentation renouvelée dont il faut maintenant se saisir : il doit entrer en vigueur en septembre 2015.
Cet enseignement est à repenser à nouveaux frais tant au niveau épistémologique qu'au niveau des programmes, des contenus, de la méthodologie. En amont, le choix entre une laïcité exclusive et une laïcité inclusive doit être clairement explicité. Ce choix diffère peu du learning about / learning from.
L'articulation avec l'enseignement laïque des faits religieux est à reformuler. Réponses doivent être faites aux questions comme : quelle place faire à l'histoire des religions, à une prise en compte du symbolique, de la spiritualité, de la transcendance ? Quelle articulation avec l'histoire des arts ? Quelles différences, quelle cohérence à l'école, au collège et au lycée? Quelles modalités d'évaluation?
Tous les pays européens et le Québec sont face à ce défi : faire connaître, sans chercher à les faire partager, au plus grand nombre d'élèves, en particulier au niveau du lycée, les convictions et les croyances les plus courantes, dans le respect d'une juste liberté d'expression. Une pratique pédagogique d'ouverture démocratique, celle du débat culturel, serait une piste possible qu'il faudrait explorer méthodiquement . Et si c'était une nouvelle manière de faire vivre les valeurs républicaines et démocratiques, issues des grandes traditions philosophiques et religieuses européennes ?