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27 avril 2017 4 27 /04 /avril /2017 09:04

LES LECONS D'UN COLLOQUE

COLLOQUE du 1er décembre 2016  organisé par la Bibliothèque Nationale de France : Enseigner le fait religieux aujourd’hui ?

Le colloque présenté par Laurence Engel, Présidente de la BNF, est introduit et conclu par Odon Vallet; les débats conduits par Emmanuel Laurentin. La table ronde du matin réunit un philosophe, un psychanalyste et une spécialiste de l'enseignement des faits religieux. L'après-midi s'ouvre sur le domaine de l'art et du patrimoine. Différentes interventions d'Odon Vallet mettent l'accent non seulement sur  les enjeux théoriques mais aussi sur les pratiques effectives.

Enseigner le fait religieux aujourd’hui ?

1. Pour le philosophe Christian Gaudin, la réponse est « non » pour deux raisons opposées, selon qu'on le transmet ou qu'on l'enseigne : en cas de transmission, on peut craindre l’endoctrinement, en cas d'enseignement, l'objet d'enseignement s'écarte de la religion au point qu'on peut parler d'une sortie du religieux. Le texte désacralisé qu’on enseigne, quel statut lui reste-t-il ? demande le philosophe qui considère que l’enseignement religieux, dans ces conditions, pourrait même être considéré par les religieux comme un blasphème.

2. Pour Julia Ipgrave, spécialiste de Religious Education, Roehampton University, au contraire, l’enseignement des faits religieux est nécessaire car c’est la seule façon de lutter contre les ignorances à l'origine de bien des stéréotypes et des peurs. Il faut refuser l’analphabétisme religieux très présent jusque dans ce haut lieu de savoir qu’est Normale Sup. Ce que Elie Barnavi, professeur émérite à Tel-Aviv, aura plus tard l'occasion de préciser.

Mais les religions ne sont pas déconnectées des contextes socio culturels. Pour J. Ipgrave, le "développement spirituel" de chaque élève est important; il permet d'apprécier le développement de l'autre (musique, art, méditation...). L'éducation morale par rapport aux problèmes modernes (avortement, souffrance animale...)est éthique plus que religieuse sur un plan individuel et collectif. La connaissance des religions (world religions) favorise la vie collective et peut être une arme contre la radicalisation et les rancoeurs issues du colonialisme, précise J.Ipgrave. L'étude des autres religions (bouddhisme, hindouisme...) permettrait de découvrir ce qui nous rapproche plus que ce qui nous différencie par des rencontres, des dialogues, des jumelages entre écoles. Et, comme le rappelle Odon Vallet, sans oublier les spiritualités autres que religieuses ( la franc-maçonnerie par exemple) ou d’une manière générale, les convictions morales, spiritualistes, éthiques …

3. Isabelle Saint-Martin, directrice de l'Institut Européen en Sciences des Religions, se réfère tout d'abord à l'article 12 de la Charte de la laïcité à l'école qui légitime l'enseignement des faits religieux dans un cadre laïque; elle distingue la démarche de connaissance et celle d'adhésion. L'enseignement des faits religieux ne fait pas l'objet d'un horaire spécifique mais d'une approche interdisciplinaire. Deux critiques : le holisme (la religion est le tout), le réductionnisme (le religieux est dévitalisé). Les objectifs de l'enseignement des faits religieux sont multiples : certains s'articulent étroitement avec l'Enseignement moral et civique par la contribution au respect de la diversité culturelle et à un meilleur vivre ensemble dans une société pluraliste et laïque.   Constat d'une double tension pour les enseignants : une majorité d'élèves indifférents et une minorité qui veut être reconnue. La religion est reliée au développement des arts dans l’hist. : il faut distinguer l'iconographie (ce qui est représenté) et l'iconologie (qui ajoute l'interprétation).

Il faudrait s’ouvrir à l’art religieux non européen, ajoutera plus tard Odon Vallet.

4. On peut aussi partir des mille et une manières de vivre concrètement les religions, comme l'a montré en neuf thèmes (fêtes, cérémonies, manières de manger…) l'exposition itinérante d'Elie Barnavi intitulée "Dieu(x), mode d'emploi". On offre ainsi un aperçu des religions du monde, sans les hiérarchiser, en laissant de côté la théologie et l'histoire. Il s'agit de rendre visible une laïcité,  modalité juridique nécessaire pour que les religions puissent coexister dans l'espace public.

5. Plusieurs témoignages d'animateurs ou de professeurs rendent compte d'expériences variées et stimulantes. Laurent Gerlaud, médiateur culturel, nous montre comment, lors de la visite de la basilique Saint-Denis, il réussit à vaincre les réticences et les ignorances (non sans un réel savoir-faire pédagogique néanmoins ). Pour un public d'adultes issus de l'immigration, la visite des musées, des expositions permet d'intégrer les faits religieux dans l'enseignement de la langue française, et ainsi de socialiser le groupe et de favoriser le dialogue avec leur propre culture, comme le fait Ourida Tilikete, médiatrice culturelle. Marc Rosmini, professeur de philosophie, médiateur au Mucem à Marseille, doit faire face à la mise en concurrence de la philosophie et de la religion par ses élèves, expliquer qu'avec la laïcité, on n'abandonne pas sa religion mais une certaine façon d'aborder la religion. Il s'agit d'éviter l'approche frontale, de déconstruire l'essentialisation, par exemple en utilisant à bon escient la métaphore par la mise en parallèle des multiples facettes de l’amour et des multiples facettes du religieux. Un seul discours ne suffit pas à tout. Quand la science veut répondre aux questions religieuses, c'est du scientisme; quand la religion veut répondre aux questions scientifiques, c'est de l'obscurantisme. Il y a une pluralité des approches du monde.

Conclusion : Odon Vallet revient à la fin sur deux sujets délicats : Dieu et le colonialisme, souvent confondu avec l'esclavage et pointe une autre difficulté majeure : le narcissisme des petites différences.

Pour Récolarel, l'enseignement des faits religieux aujourd'hui suppose d'abord qu'on puisse s'appuyer sur un cadre juridique sûr, comme en dispose la France. Mais il ne peut exister sans la volonté de dépasser les impasses théoriques et idéologiques, qui nous condamnent à la paralysie ou aux conflits. Pas davantage d'enseignement des faits religieux sans le double refus de l'ignorance et l'essentialisation.

C'est la condition pour que s'ouvre une approche plus concrète et pragmatique qui existe d'ores et déjà sur le terrain où ont lieu des expériences pédagogiques d'une grande richesse. Ce n'est pas un des moindres intérêts de ce colloque que de les avoir fait connaître. 

 

Récolarel

blog : recolarel.over-blog.com

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28 avril 2015 2 28 /04 /avril /2015 16:24
Dévitalisation du fait religieux dans les manuels scolaires français et une laïcité méfiante à l'égard des faits religieux

Intervention de Jean-Marc Noirot du Réseau école laïcité religions au Collège des Bernardins le 14 avril 2015 (1)

Dévitalisation des faits religieux dans les manuels scolaires français et laïcité de méfiance à l'égard du fait religieux

Résumé :

L'exposé de Jean-Marc Noirot du Réseau école laïcité religions sur " la dévitalisation du fait religieux dans les manuels scolaires français " comprend trois parties : 1) Dévitalisation du fait religieux dans les manuels scolaires d'histoire et de français par un important manque de précision dans les connaissances, de rigueur dans l'accompagnement pédagogique, et ce, dans un discours imprégné globalement de positivisme. L'élève n'est pas ou fort peu invité à formuler des interprétations multiples sur des textes porteurs de sens, à décoder des amalgames comme islam = terrorisme ou religion par essence opposée à la République.

2) Une laïcité de méfiance à l'égard du fait religieux. En premier lieu, les rédacteurs des programmes ont cantonné le fait religieux dans le passé et dans les petites classes du collège, l'élève risque fort d'en déduire que l'expérience croyante est quelque chose d'archaïque ou d'exotique. En second lieu, et cause principale de cette décrédibilisation de l'enseignement du fait religieux : une conception d'une laïcité de méfiance envers l'enseignement du fait religieux majoritairement véhiculée par les manuels d'éducation civique, certains textes officiels et partagée par nombre d'enseignants et membres de la hiérarchie éducative. Les manuels donnent sauf exception une image juridique de la laïcité qui se méfie du religieux, occulte la diversité culturelle, religieuse, sociale de notre société et oublie la valeur fraternité.

3) Trois propositions, trois urgences pour un enseignement laïque du fait religieux. Tout d'abord, définir, pour l'école, un concept de laïcité ouverte au culturel, au " convictionnel ", au religieux. Promouvoir une laïcité espace-creuset où s'expérimentent les valeurs républicaines issues des différentes traditions religieuses et philosophiques. Ensuite, réécrire les programmes hors de toute peur endoctrinement laïque ou religieux et sans oublier la valeur fraternité. Fournir une véritable formation aux professeurs et créer un observatoire des manuels scolaires. Enfin, articuler enseignement moral et civique, enseignement laïque des faits religieux et histoire des arts en prenant en compte la culture du débat argumenté ainsi que "la culture de la sensibilité" et " la culture de l'engagement" que promeut l'Enseignement moral et civique

Une petite révolution copernicienne est encore à venir...

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Jean-Marc Noirot, retraité de l'enseignement public, présente d'abord le Réseau école laïcité religions qu'il a créé il y a cinq ans à partir d'une conviction : Si choc des civilisations il y a, c'est d'abord et avant tout un choc des ignorances ; d'un postulat : les systèmes religieux et philosophiques sont des ressources de sagesse, de liberté, de lien et participent à la construction d'un vivre ensemble fondé sur le respect de la dignité de chacun considéré dans son environnement culturel et social ; d'une problématique : Y a t-il un moyen d'agir pour que l'enseignement des faits religieux qui a officiellement droit de cité puisse être présent dans l'enseignement actuel où la stratégie de l'évitement n'est pas rare ? La première tâche de Récolarel : analyser les images de la laïcité et du fait religieux dans les manuels à partir des intuitions du rapport sur L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque de Régis Debray (2002), et ce, en vue d'interpeller les rédacteurs de programmes et de manuels scolaires dans un esprit de dialogue.

JM Noirot annonce ensuite les trois parties de son exposé: 1) Dévitalisation du fait religieux dans les manuels scolaires d'histoire et de français, synthèse d'analyses de manuels présentées lors de trois réunions-débats en collaboration avec l'Institut européen en sciences des religions. 2) Une laïcité de méfiance à l'égard du fait religieux. 3) Trois propositions pour un enseignement laïque des faits religieux . Cette intervention est une synthèse d'un travail détaillé consultable sur le blog du Réseau école laïcité religions (2).

Dévitalisation du fait religieux dans les manuels d'histoire et de français de collège

Dans une première partie, JM Noirot expose la dévitalisation, la décrédibilisation du fait religieux dans les manuels scolaires surtout d'histoire du collège, et plus particulièrement dans ceux de 6e et 5e traitant des débuts du judaïsme, du christianisme et de l'islam. Un premier commentaire des programmes : les faits religieux étant relégués dans les petites classes du collège, l'élève risque fort d'en déduire que l'expérience croyante est quelque chose d'archaïque ou d'exotique.

Dévitalisation du fait religieux dans les manuels d'histoire

Comment cette dévitalisation des faits religieux apparait dans les manuels? Et sous quelles modalités? Les lexiques, les textes d'auteurs, les documents textuels et iconographiques ainsi que leurs questionnements sont étudiés. Dix modes de cette dévitalisation ou décrédibilisation sont repérables :

Connaissances fréquemment occultées et discours positiviste fréquent

- Première modalité de dévitalisation : dans les lexiques, occultation des faits religieux par absence de mots qui décrivent et définissent cette réalité. Quelques exemples :

- - Révélation. Important pour au moins deux raisons : d'une part, c'est un élément descriptif et constitutif d'une religion qui assume une sorte de rationalité différente de la rationalité scientifique et, d'autre part, c'est un point commun entre plusieurs religions monothéistes, un concept qui induit un chemin de fraternisation.

- - Âme. Le mot fait-il peur? On évite ainsi l'approche du mystère.

- - Civilisation, incarnation, mystère , prière...

- Deuxième modalité de dévitalisation : toujours dans les lexiques, présence de définitions approximatives ou erronées comme messie, mythe, prophète...

- Troisième modalité : l'utilisation d'expressions dévalorisant les faits religieux, dans les textes d'auteurs cette fois, ainsi l'emploi du conditionnel, l'énonciateur intervient dans le contenu des énoncés, exemples : pour les juifs, "cette terre leur aurait été promise par leur Dieu." (6e Nathan) ; " pour les chrétiens, Jésus serait ressuscité" (6e Belin) ; " Une sîra raconte comment Muhammad aurait reçu la révélation" (5e Magnard).

- Quatrième modalité de dévitalisation : le choix fréquent d'un discours positiviste implicite sinon explicite comme dans le tableau de Hachette 6e présentant le contenu biblique en deux colonnes : " ce que dit la bible / ce que dit l'historien ". Dans cette dernière colonne, on lit qu'il n'y a " aucune preuve de l'existence d'Abraham, de Moïse ", guère pour Salomon et " aucunes preuves archéologiques de conquêtes militaires du pays de Canaan par les Hébreux ". Deux statuts de "vérité" s'opposent ici brutalement : "vérité" du savoir et "vérité" du croire. L'enseignant devra ici faire preuve de beaucoup de savoir, de pédagogie et de déontologie. Ce qui peut être outil pédagogique pour des élèves de Lycée devient, en classe 6e, instrument de décrédibilisation d'un texte porteur de sens pour de nombreux croyants. De plus, un élève peut aussi légitimement se poser la question de l'intérêt d'étudier de tels textes.

Simplification excessive qui essentialise et frilosité par rapport au symbolique

- Cinquième modalité de décrédibilisation : un discours qui simplifie par excès, essentialise et gomme le contexte historique. Essentialisation présente dans une majorité de manuels aussi bien dans les parties traitant du judaïsme, du christianisme et de l'islam dogmes, accent étant mis sur le dogme et le rite implicitement figés dans le temps. Un tel discours introduit ou renforce les lectures dogmatiques, terreaux de tout fanatisme idéologique religieux.

Un rare exemple positif de contextualisation essentielle à l'étude éclairée des faits religieux : Bordas 6e est le seul des sept éditions à présenter un extrait des Antiquités juives de Flavius Josèphe présentant les trois écoles du judaïsme au premier siècle de notre ère.

- Sixième modalité de dévitalisation : le non respect de documents par découpage de textes qui, dès lors, perdent tout ou partie de leur sens symbolique, spirituel et empêchent un questionnement pédagogique aidant à repérer les propositions de sens. Un exemple parmi de nombreux autres peut être cité : la manière insignifiante dont est présenté le premier récit de la création de la Bible.

- Septième modalité de décrédibilisation : un manque de rigueur dans la confection de beaucoup de cartes qui ne présentent pas des éléments de contextualisation historique apte à donner sens au phénomène représenté : un exemple, la carte des voyages de Paul de Tarse donnant à voir l'expansion du christianisme. Un manuel seulement sur les sept, celui de Belin 6e, a le souci de faire figurer les différentes communautés juives réparties dans tout le monde romain et rappelle que les premiers chrétiens sont des Juifs, que l'histoire des conflits entre juifs et chrétiens est à l'origine une histoire fratricide.

- Huitième modalité de dévitalisation : un manque de rigueur fréquent dans la présentation et le questionnement des documents iconographiques liés à l'histoire des arts. L'absence d'explicitation de symboles religieux rend des documents illisibles pour les élèves. La méconnaissance de ces symboles ne permettra à ces mêmes élèves de décrypter l'instrumentalisation du religieux à des fins politiques par les régimes fascistes ou totalitaires du XXe siècle dans les affiches de propagande par exemple.

- Neuvième modalité de dévitalisation : un manque de rigueur par absence de lien fait entre les chapitres sur des thèmes communs offrant une possibilité d'histoire comparée des modes de croire.

- Dixième modalité de dévitalisation : Absence de déploiement d'une pédagogie interdisciplinaire, en particulier entre l'histoire et l'éducation civique avec une "interdiscipline" comme l'enseignement moral et civique. L'histoire des arts est une autre "interdiscipline" incontournable pour faire pont entre l'histoire, le français, les arts plastiques, la musique, les langues...

Ces modalités de décrédibilisation des faits religieux se retrouvent dans les manuels d'histoire de 4e et de 3e lorsque le programme s'y prête. Ainsi, en 4e, les manuels traitent la période concernant la loi de la séparation des Eglises et de l'Etat d'une façon simplificatrice et donnent ainsi une image de la religion comme incompatible par essence avec la démocratie.

L'amalgame islam = terrorisme rarement décrypté

Les manuels de 3e traitent de " la mondialisation et la diversité culturelle ". Peu de manuels s'expriment sur les enjeux que représente cette diversité religieuse et culturelle. L'occasion n'est pas saisie de déminer le préjugé religion = terrorisme, l'amalgame entre islam et islamisme, islam et terrorisme. Belin 3e lui montre bien le rôle culturel et social des religions et évoque les cohabitations entre communautés religieuses. Ces manuels de 3e présentent également des cartes des " aires religieuses ", notion particulièrement ambigüe. Les légendes des cartes utilisent les termes de "religion majoritaire" et "religion dominante" peu pertinents pour représenter une réalité aussi complexe. Une impression de malaise s'en dégage : ces cartes sont proches de cartes géopolitiques du monde donnant d'abord à voir un choc des religions, un choc des civilisations présent ou à venir.

Ces mêmes manuels de 3e traitent aussi du thème " terrorisme et religions " et en particulier du 11 septembre 2001. "Interrogez-vous sur la façon dont les groupes terroristes instrumentalisent un langage religieux pour justifier leurs actes": peut-on lire chez Lelivrescolaire. Question pertinente mais les réponses des manuels sont globalement très décevantes. Bordas et Hatier privilégient l'aspect évènementiel et émotionnel. Exceptés Hachette et Belin qui présentent trois points de vue bien différents sur ce "choc du terrorisme international", ici encore, l'amalgame entre islam, islamisme et terrorisme n'est pas évité ; les causes historiques et sociales de l'islamisme politique sont ignorées. Globalement, l'islam est vu comme une religion violente.

Le concept d'intégrisme ignoré

Aucune réflexion n'est envisagée sur le concept d'intégrisme et ses formes variées qui se retrouvent dans tous les systèmes de pensées et de croyances. Nouvelle occasion perdue d'une mise en perspective historique de phénomènes similaires et d'un lien entre histoire et éducation civique pour la formation d'un citoyen éclairé.

En conclusion de cette première partie, un important manque de précision dans les connaissances, de rigueur dans l'accompagnement pédagogique d'où un discours imprégné globalement de positivisme, discours où transparait une peur : celle de dire le croire, comme si dire le croire était inciter ou obliger à croire.

Dévitalisation du fait religieux dans les manuels de français

JM Noirot présente ensuite la dévitalisation des faits religieux dans les manuels de Français du collège, faits religieux surtout cantonnés en 6e...comme en histoire! Le commentaire sera moins développé, l'étude de ces manuels n'étant pas terminée. Le programme de 6e demande d'étudier les "textes fondateurs", dénomination floue, le risque étant de dissoudre la notion de "fait religieux" dans le mythologique.

Une remarque préliminaire : la répartition spatiale très variable des trois monothéismes : Premier Testament très présent, Nouveau Testament quasi absent sauf chez Nathan, Coran présent.

JM Noirot choisit de présenter la manière dont ces manuels abordent le thème de la création du monde. Six éditions sur les sept présentent un discours à forte tendance positiviste. les questionnements sur les documents textuels se limitent au plan formel avec étude de la dimension poétique - qui a tout son intérêt - mais sans aborder le niveau symbolique. Les manuels qui présentent les deux récits de création de la Genèse - originalité par rapport aux manuels d'histoire - ne saisissent pas l'occasion d'une interrogation sur les deux statuts de vérité, vérité du savoir/ vérité du croire, vérités qui se distinguent sans s'opposer ni se hiérarchiser. Certains manuels privilégient un discours positiviste implicitement ou explicitement. Ainsi Lelivrescolaire met l'accent sur le comment de la création (p 63) donnant à la science un poids de vérité qu'elle ne prétend pas avoir, un comment qui se substitue au pourquoi et gomme la dimension symbolique et métaphysique. La valorisation du savoir sur le croire rend ainsi illisible le propos nuancé de fin de chapitre (p 82).

Les documents iconographiques par ailleurs riches et variés illustrant les récits de création du monde dans la Bible comme dans le Coran ne questionnent pas sur la représentation de la divinité que donnent à voir les auteurs de ces récits. Certains questionnements sont par ailleurs d'un niveau tel que seul un enseignant particulièrement curieux et bien formé pourra donner quelques éclairages à l'élève.

Un manuel, celui de Nathan 6e, se démarque en séparant nettement par la pagination les récits mythologiques des récits mythiques de la Bible ou du Coran, aidant ainsi l'élève à distinguer le fait religieux des récits légendaires.

En conclusion de cette première partie, les constats de dévitalisation du fait religieux faits dans les manuels de français rejoignent ceux faits sur les manuels d'histoire par un manque certain de précision et de rigueur pédagogique, scientifique voire déontologique. Aussi sans connaissances suffisantes et juste éveil à esprit critique, l'élève n'est pas capable de décrypter les lectures littérales et dogmatiques, d'exprimer des interprétations multiples sur ces textes porteurs de sens. La tâche de l'enseignant n'en est que plus lourde de responsabilité.

Une laïcité de méfiance à l'égard du fait religieux

JM Noirot, dans une deuxième partie, présente deux autres causes importantes de cette décrédibilisation du fait religieux dans les manuels. Loin d'en accabler les éditeurs et les auteurs des manuels, il pointe le partage des responsabilités de cette situation pour le moins navrante avec les décideurs du Ministère de l'Education nationale. Deux axes peuvent être repérés : les programmes et la conception de la laïcité.

Une laïcité de méfiance dans les programmes

En premier lieu, les rédacteurs de programmes ont cantonné le fait religieux dans le passé. Mettre ce dernier, au collège, surtout au niveau de la classe de 6e traduit une piètre prise en compte du celui-ci dans le curriculum de l'élève, l'âge des élèves pouvant justifier le fait de ne pas entrer dans un minimum de complexité. Les programmes du lycée donnent eux un part étique au fait religieux. N'y a-t-il pas incohérence entre les énoncés généraux du Socle commun venant du Ministère, la rédaction frileuse de programmes venant du Conseil supérieur des programmes et les commentaires de ceux-ci par la Dgesco, la valeur fraternité étant oubliée ? Ne posons pas la question de la formation des enseignants en matière d'enseignement des faits religieux, domaine qui partage le sort quasi sinistré de l'ensemble de la formation.

Laïcité de méfiance dans les manuels d'éducation civique

En second lieu et cause principale de cette dévitalisation /décrédibilisation de l'enseignement du fait religieux : une conception d'une laïcité de méfiance à l'égard de l'enseignement du fait religieux majoritairement véhiculée dans les manuels d'éducation civique, repérable dans certains textes officiels de l'Education nationale et partagée par nombre d'enseignants et membres de la hiérarchie éducative.

Des programmes à réécrire, la valeur fraternité à sortir de l'ombre.

Les concepteurs des programmes de collège de 2008 ont choisi de mettre l'étude de la laïcité principalement en éducation civique dans la classe de 6e. Ce constat est aussi un étonnement dans la mesure où le concept complexe de laïcité doit se prêter à des réappropriations tout au long du cursus scolaire. Une fiche Ressources pour la classe rédigée par la Dgesco intitulée la laïcité offre un double discours : la société est plurielle avec vêtements et habitudes alimentaires à respecter mais l'identité et la laïcité sont à aborder surtout sous l'angle juridique. Autre étonnement dans ces programmes de 2008 toujours en usage, la valeur fraternité absente!

Neuf manuels scolaires sur les dix manuels de 6e édités en 2009 et 2013, proposés par six maisons d'éditions, donnent sauf exception une image juridique de la laïcité, d'une laïcité qui se méfie du religieux, occulte la réalité de la diversité sociale, culturelle, religieuse de notre société. Ils proposent plus une laïcité d'assimilation qu'une laïcité d'intégration. Les critères de distinction de ces deux images de laïcité sont repérables aussi bien dans les lexiques, les textes d'auteurs que dans les nombreux documents textuels ou iconographiques.

Une laïcité avant tout juridique ignorant liberté de conscience et pluralisme

Dans les lexiques, sept manuels ont choisi une définition de laïcité dans l'espace public en général. Six en donnent une définition tronquée, ignorant le volet liberté de culte. Trois éditions seulement précisent ce que signifie laïcité dans le cadre scolaire. Magnard 2013 propose : "refus de faire entrer les croyances religieuses à l'intérieur de l'école publique." Nathan 2009 donne une définition très prudente :" l'Etat ne favorise aucune religion, qui relève de la vie privée. A l'école publique, la religion ne doit pas être ostentatoire (trop marquée) ". Une exception. Caroline Barideau et Dominique Dubois (Hatier) définissent laïcité : "neutralité de l'enseignement par respect pour la liberté de conscience des élèves ", loin d'une laïcité de suspicion par rapport aux religions.

JM Noirot fait ensuite remarquer le renforcement l'omniprésence de cette laïcité de méfiance par l'examen, toujours dans les lexiques, des termes entrant dans le champ sémantique du mot laïcité et fait trois constats : 1) l'absence surprenante de définitions comme blasphème, conviction, fraternité, liberté, opinion et solidarité ; mots présents une seule fois : foi, prosélytisme, ségrégation, valeur. 2) l'imprécision d'autres termes qui produit ou renforce les préjugés ; 3) Toutes les définitions d'identité, terme ô combien investi de diverses interprétations, sont exclusivement juridiques, sauf Belin 2013 qui ajoute "les croyances" comme élément constitutif d'identité. Pas de présentation d'une identité faite de multiples appartenances, hiérarchisées, susceptibles de changement.

La religion vue par essence comme opposée à la République

Dans les pages des manuels, les textes d'auteurs offrent aussi l'image omniprésente de cette laïcité d'assimilation/exclusion. Belin 2009 et Hachette (V. Adoumié) présentent une histoire de la laïcité mais la religion y semble par essence opposée à la République.

Les manuels présentent de nombreux textes de loi, de diverses Déclarations des Droits. A noter des découpages qui rigidifient certains textes présentés. Ainsi, sur huit manuels qui présentent la loi de 2004 sur le port de signes religieux ostentatoires, cinq omettent la fin de l'article premier qui invite au dialogue avant sanction. A noter également la présence dans tous les manuels de nombreuses déclarations de Droits de l'enfant, qu'elles soient nationales, européennes, internationales. Toutes citent "les besoins spirituels" de l'enfant. Mais, jamais ces termes ne sont repris dans un texte d'auteur ou un questionnement pédagogique ! Spirituel, adjectif tabou ?

Une laïcité de complaisance pour le " fait marchand " ?

Un manuel présente une photo de classes. Les élèves sont invités à vérifier qu'aucun signe religieux n'est visible. Aucun signe religieux visible...mais pléthore de marques, logos en tout genre ! Si la laïcité, à juste titre, se doit d'éviter toute guerre de religions, ne devrait-elle pas faire s'interroger les élèves sur la guerre des marques, guerre bien réelle et subtile sous les préaux d'école, guerre des marques qui nuit aussi au vivre ensemble. Sommes-nous en présence d'une laïcité de crispation sur le fait religieux et d'une laïcité de complaisance pour le " fait marchand "?

Un seul manuel d'éducation civique de 6e présente une laïcité respectueuse du fait religieux

Une exception quant à l'image de la laïcité : le manuel de C. Barideau et D. Dubois (Hatier) offre celle d'une laïcité respectueuse du fait religieux. Il titre, à la page 14 : " L'école respecte mes croyances " et donne comme problématique : " Comment respecter les croyances de chacun?". Toutefois, le terme de convictions ajouté à celui de croyances aurait amélioré ce titre en évitant de se focaliser sur les croyants. Ce manuel est aussi le seul à distinguer dans un exercice pédagogique prosélytisme et enseignement des faits religieux.

Une laïcité de méfiance, d'occultation du pluralisme culturel, une laïcité d'assimilation est également omniprésente dans les autres manuels de 4e et de 3e d'éducation civique et d'histoire-géographie du collège délégitimant d'autant l'EFR, ne développant pas un esprit d'ouverture capable de décoder les amalgames, les discours radicaux - athées ou religieux -, tous porteurs de peurs, de haine, d'exclusion. Cette laïcité qui manque de cohérence questionne quant à sa capacité - ou non - de promouvoir un vivre ensemble harmonieux à l'école. Enfin est-il besoin de souligner, une fois de plus, le rôle indispensable de l'enseignant pour proposer un nouveau choix de contenus et permettre à l'élève de développer son autonomie de pensée, celle d'un futur citoyen.

JM Noirot conclut cette deuxième partie en pointant combien les freins à l'enseignement des faits religieux ont des sources multiples sans oublier la pratique sur le terrain d'une laïcité d'évitement comme de méfiance par rapport au fait religieux, pédagogie de frilosité plus ou moins justifiée par des instructions officielles souvent contradictoires, par un environnement quelquefois difficile lorsque certains parents avancent des discours intégristes religieux ou lorsque certains collègues ou membres de la hiérarchie administrative affichent des discours d'un laïcisme radical.

Trois propositions pour un enseignement laïque des faits religieux

Enfin, JM Noirot présente trois propositions, trois urgences : définir le concept de laïcité, réécrire les programmes, promouvoir l'enseignement laïque des faits religieux.

1. Une pédagogie de la laïcité ouverte au culturel, au "convictionnel ", au religieux

Tout d'abord, définir, pour l'école, un concept de laïcité ouverte au culturel, au " convictionnel " , au religieux.

Sortir de la laïcité de méfiance par rapport au religieux, du déni du pluralisme culturel, où l'identité figée ignore l'altérité et la fraternité, d'une laïcité qui anesthésie le goût du vivre ensemble.

Promouvoir une laïcité espace-creuset où s'expérimentent les valeurs républicaines de liberté, d'égalité, de fraternité issues des différentes traditions religieuses et philosophiques, une laïcité où le vivre ensemble rime avec le respect de la dignité de chacun, une laïcité où chacun se nourrit de la culture de l'autre, relativise et fait grandir sa propre culture, approfondit ses convictions, se forge ainsi des anticorps contre tout communautarisme mortifère, tout intégrisme religieux ou laïque.

A l'école, passer d'une laïcité brutale d'assimilation à une laïcité fraternelle d'intégration.

2. Des programmes cohérents qui donnent au fait religieux la place qui lui revient

Ensuite, réécrire les programmes hors de toute peur d'endoctrinement laïque ou religieux. Dire le religieux n'est pas prosélytisme déguisé mais informer pour " comprendre l'unité et la diversité du monde par une première approche du fait religieux en France, en Europe et dans le monde...dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions ", comme le détaille l'un des objectifs du Socle commun. L'étude du fait religieux doit parcourir tout le cursus scolaire et entrer dans un minimum de complexité pour éviter les simplifications qui construisent ou renforcent préjugés et discours doctrinaux religieux ou laïques. Une véritable formation des professeurs et la création d'un observatoire des manuels scolaires sont un complément indispensable pour atteindre une réelle cohérence entre les finalités énoncées et la réalité du terrain pédagogique et éducatif.

3. Des liens à tisser entre enseignement laïque des faits religieux, histoire des arts et enseignement moral et civique pour une construction harmonieuse de la personne et du citoyen

Enfin, promouvoir l'enseignement laïque des faits religieux en articulant celui-ci plus particulièrement avec l'histoire des arts et l'éducation morale et civique.

Cinq pistes qui se recoupent entre elles et dont certaines sont déjà présentes dans certains textes officiels.

1) Exiger un minimum de rigueur et cohérence dans les contenus : faire respecter la spécificité du fait religieux qui n'est ni réductible au mythologique ni soluble dans le scientifique. Initier l'élève au questionnement qui ouvre aux interprétations diverses de textes porteurs de sens.

2) Prendre en compte "la culture de la sensibilité" introduite dans la rédaction du nouveau Socle commun, domaine qui aborde la sphère du symbolique et du spirituel.

3) Construire des parcours pédagogiques interdisciplinaires respectueux de la spécificité de chaque discipline ; l'histoire des arts et l'éducation morale et civique comme "interdisciplines" y ont une place privilégiée

4) Développer la culture du débat argumenté et encadré sur les convictions, les croyances adaptée à l'âge des élèves, culture qui démine attitudes doctrinaires et fanatiques. Culture du débat déjà pratiquée dans certains pays ou certaines régions d'Europe.

5) Développer la pratique d'initiatives citoyennes telle qu'elle est d'ailleurs souhaitée par l'Enseignement moral et civique dont le 4ème domaine s'intitule précisément : la culture de l'engagement. Les expressions construire du vivre ensemble ou faire société ne seraient plus seulement slogans ou incantations évanescentes.

Une révolution copernicienne attendue

JM Noirot conclut son intervention sur une note d'espoir. Si l'enseignement laïque du fait religieux, du savoir religieux n'était plus anesthésié par une peur d'imposer du croire, si les freins repérés au niveau des institutions comme des mentalités se levaient, si les échanges au niveau européen sur ces problématiques communes étaient plus pris en compte, une authentique révolution copernicienne serait alors en marche.

(1) Intervention dans le cadre du séminaire " A l'école du religieux ? " préparant à un master professionnel "Religions et laïcité dans la vie professionnelle et associative" de l'EPHE-IESR

(2) voir recolarel.over-blog.com

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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 10:37

 

 

Journée d'études organisée par l'IESR - EPHE, samedi 6 décembre 2014 : l'enseignement moral et civique : comparaisons européennes

 

Ouverture par Isabelle Saint-Martin, Directrice de l'Institut européen en sciences des religions, IESR, et Philippe Gaudin, Directeur adjoint et responsable formation-recherche à l’IESR: présentation de l’ouvrage : Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux (Riveneuve éditions 2014).

 

I. Saint-Martin et P. Gaudin précisent que l'enseignement de la morale et l'enseignement des faits religieux, tout en étant deux matières distinctes, ont des buts communs, c'est à dire, faire exister des contenus transdisciplinaires. Un débat est ouvert en France comme ailleurs en Europe sur cette question qui comporte aussi une dimension politique. Dans un contexte de crise de valeurs et de crise de leur transmission, un consensus européen se dessine pour une démarche pédagogique : entraîner les élèves à une mise en commun, à une écoute, à un débat éthique.

Plusieurs intervenants venant de différents pays d'Europe mais aussi du Québec prennent successivement la parole.

 

Laurence Loeffel, le projet français d’un Enseignement moral et civique

 

L. Loeffel nous présente le projet français d’un Enseignement moral et civique (juin 2014). Elle fait un historique qui souligne la nécessaire et urgente revitalisation de l'enseignement moral à l'école, signale d'emblée que le rapport pour un enseignement laïque de la morale remis à Vincent Peillon en 2013 est le seul commandé par un ministre depuis le XIXe siècle sur ce thème.  

A la fin des années 1990, l'idée de désenclaver l'éducation du citoyen en classe ouvre le passage à l'éducation au "vivre ensemble", objectif perçu comme trop flou, devenu depuis slogan dans la société. L.Loeffel constate le désengagement progressif de toute une frange d’enseignants du primaire dans la formation du citoyen à et par l’école, considérée, d’une part comme moins fondamentale, souvent vécue, d’autre part, comme attachée à l’école de la Troisième République. 

En 2002, l’introduction de l'enseignement des faits religieux a été vécue, dans le primaire, comme une greffe qui n'a pas pris. En 2012, le ministre Vincent Peillon souhaite introduire l'enseignement de la morale laïque à tous les degrés de l'école. Dans une interview du 24 août 2013, il dit : " il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix". Cette phrase suscitera des réactions diverses et souvent véhémentes : peur d'une morale d'Etat qui se substitue à celle de la famille, peur d'une morale antireligieuse...L'idée que l'émancipation de l'enfant passe par l'éducation du citoyen à l'école ne semble plus crédible, pour les enseignants comme pour la société. La morale est vue comme personnelle.

Cependant, L.Loeffel souligne l'originalité et la cohérence du projet de l'enseignement moral et civique qui s'étend du CP à la terminale (de 6 à 18 ans). Il peut favoriser une citoyenneté éclairée dans une société démocratique s'il fait une large place aux pratiques langagières et à la formation du jugement critique. Il s'appuie sur des compétences identiques pour tous les cycles, sur des propositions de méthodes centrées sur le débat où normes et valeurs sont discutées et non pas imposées, et sur " la fabrication d'un espace commun de discussion et de vie". 

Elle  précise ensuite les quatre domaines de la "culture morale et civique " : culture de la sensibilité, culture de la règle et du droit, culture du jugement moral, culture de l'engagement. Ce projet propose logiquement des points d'articulations avec des enseignements diversifiés comme l'histoire, l'histoire des arts, l'enseignement des faits religieux...

 

En conclusion, pour Laurence Loeffel, " il faut rallier les enseignants à cet enseignement moral et civique (EMC)."

 

Tim Jensen (Syddansk Universitet, Danemark):

KLM : Combining Citizenship Education with Life-Philosophy and the Teaching of Christianity in Danish Teachers Training

 

T. Jensen intervient sur la KLM : Combining Citizenship Education with Life-Philosophy and the Teaching of Christianity in Danish Teachers Training. Il fait un historique détaillé de l'évolution de cette formation qui a commencé par une non-différenciation entre le learning from et le learning about dans la religious education à l'école élémentaire danoise.. Même après 1975, la religious education à l'école élémentaire, officiellement non confessionnelle continuait à véhiculer une culture nationale et chrétienne (réelle ou supposée)

 

Cependant, la mention explicite de l'éducation à la citoyenneté vint plus tard, en lien avec un débat sur les valeurs, valeurs dont on avait peur qu'elles soient menacées par la population immigrée, en particulier, la population musulmane. Aussi, l'éducation à la citoyenneté apparut-elle tournée plus vers une politique d'assimilation qu'une politique d'intégration. Une évolution vers une "éducation à la citoyenneté" en lien avec la question de la transmission des valeurs traditionnelles et l'apparition de l'islam dans la société danoise, verra le jour.

 

L'année 2007 voit l'introduction de l'éducation à la citoyenneté dans la formation des enseignants. Cette dernière s'articule avec celle du christianisme et des différentes conceptions du monde. Les contenus du domaine 'Religion and Culture' sont:                                     

 a) Le christianisme, ses récits fondamentaux, ses concepts, son histoire et sa présence avec un accent mis sur le cas du Danemark.                                   b) Judaïsme et Islam comme religions minoritaires européennes.                    c) Religion et droits de l’homme considérés dans le contexte de la rencontre des cultures et l’école.                                                                             d) La relation actuelle entre religion, culture et politique.                              e) L’impact du christianisme luthérien sur la démocratie, l’Etat-Providence et l’école au Danemark.  

 

Parmi les objectifs, comprendre l’impact du christianisme (dans la forme définie au singulier : kristendommen) et des autres conceptions du monde (livsanskuelser) sur les valeurs fondamentales ('foundational') rencontrées dans un contexte européen et danois.

La matière, qui peut être vue comme la combinaison de plusieurs matières différentes, a été âprement discutée depuis le début. Une critique majeure consistait à dire que KLM était le résultat d’une politique néo-romantique de l’identité destinée à donner aux enseignants la capacité de promouvoir un héritage (postulé) national-culturel-chrétien et des valeurs danoises (également postulées) s’enracinant dans le christianisme luthérien. 

 

Cependant, dans la version la plus récente (2013), les éléments nationalistes et prosélytes chrétiens ont été soustraits, et l'un des principaux buts est de donner aux futurs enseignants des connaissances et des compétences pour tenir les défis éthiques, politiques, religieux liés à l'enseignement, à la coopération entre les parents et l'école dans une société mondialisée.  

 

On peut conclure qu'on est passé d'un sermon à une leçon, d'une construction identitaire néonationaliste à l'acquisition de compétences pour vivre dans une société multiculturelle. Enfin, presque!

 

Wolfram Weisse (Universität Hamburg, Allemagne) : L'enseignement au respect et à la tolérance interculturelle et interreligieuse dans le Land de Hambourg : la position des élèves

 

W. Weisse présente un projet ambitieux sur cinq ans (2013-2018) : "Religions et dialogue dans les sociétés modernes". Recherche qui représente un grand défi par rapport au "vivre ensemble" dans les sociétés modernes devenant plurielles sur le plan religieux. Cette étude concerne plusieurs pays de l'Europe du Nord et se fait dans une approche interdisciplinaire.

 

Le but général est d'étudier le phénomène complexe de l'activité de dialogue interreligieux et son impact sur les processus sociaux d'intégration et de résolution des conflits afin d'obtenir des résultats applicables pour leur mise en oeuvre. Deux niveaux de recherche : 1) les questions fondamentales : le dialogue théologique qui a ses possibilités et ses limites ; 2) la pratique du dialogue par des enquêtes empiriques et des études comparatives.

 

La recherche comprend une enquête générale et une étude plus particulière dans le cadre d'une classe.

W.Weisse présente alors l'enquête générale. Celle-ci porte sur le positionnement des jeunes par rapport à la religion (du niveau de la classe n°10 en Allemagne, 15-16 ans). La méthode qualitative est utilisée.

Les résultats partiels sont : 1) chez les élèves, un déclin de l'intérêt pour la religion chez les  catholiques et les protestants, et une forte vitalité dans les autres cultures religieuses ; 2) attitude très majoritaire d'ouverture à toute religion ; 3) la  coexistence de groupes différents vue majoritairement comme un enrichissement ; 4) pour une majorité d'élèves, l'islam n'a pas sa place en Europe.

W.Weisse présente ensuite l'étude plus particulière dans le cadre d'une classe  dans le contexte particulier d'un quartier multiculturel de Hambourg (10 religions représentées). La diversité religieuse est vue par les élèves comme une source de richesses. La reconnaissance mutuelle est forte, y compris par rapport aux musulmans. Le terrorisme imputé aux musulmans est contraire à leur expérience dans leur école et dans leur environnement.

 

Toutefois, la tolérance religieuse connaît des limites quand est posée la question des mariages mixtes car l'homogénéité religieuse est préférée. Deux interprétations de ces résultats sont possibles : 1) l'acceptation de l'autre : attitude superficielle, simple conditionnement de l'école. 2) une constellation de positions en fonction du contexte. Interprétations qui ont besoin d'approfondissement

 

Pour conclure, Wolfram Weisse est conscient de la nature limitée de l'expérience et souhaite que cette approche empirique soit comparée internationalement.

 

Jacques Pettigrew, responsable des programmes Ethique et culture religieuse au ministère de l'Education, du Loisir et du Sport du Québec.

J.Pettigrew présente le programme  "Ethique et culture religieuse" au Québec.

 

Ce programme s'applique depuis 2008. Auparavant, coexistaient trois programmes : Enseignement moral et religieux catholique, Enseignement moral et religieux protestant, et Enseignement moral. Le premier étant largement choisi.

 

Ce nouvel et unique enseignement est obligatoire et dispensé environ une heure par semaine, en primaire et secondaire. Il a deux visées : la reconnaissance de l'autre et la poursuite du bien commun. Trois compétences sont à développer : 1) Réfléchir sur des questions éthiques ; 2) Manifester une compréhension du phénomène religieux ; 3) Pratiquer le dialogue.

 

La première compétence centrée sur l'éthique ne se veut pas un enseignement moral ou d’une morale. Elle privilégie le développement de la compétence par rapport à une acquisition de connaissances. Toute sa vie l'élève devra réfléchir de façon éthique, analyser une situation, en examiner les tenants et les aboutissants, analyser différents points de vue (dont celui de certaines traditions religieuses), évaluer les différentes options possibles, avant de choisir. Si on peut demander à l'élève de nommer les valeurs qui soutiennent différents points de vue, en revanche, l’option ou la croyance personnelle de l’élève n’a pas à être affirmée ou soutenue en classe.

 

La deuxième compétence aborde les religions sur un plan culturel. Il s’agit de « décoder » les signes et expressions du religieux qui nous entourent.

En éthique comme en culture religieuse, la posture professionnelle de l'enseignant est importante et doit être impartiale, objective et emprunte de respect.

 

La troisième compétence « Pratiquer le dialogue » n’est pas un dialogue interreligieux. L'objectif est de fournir des outils à l'élève pour repérer notamment les sophismes, décrypter une argumentation menant à l'impasse, l'enseignant garantissant les conditions d'un dialogue ouvert.

 

En conclusion, Jacques Pettigrew qualifie le programme "Éthique et culture religieuse" d'ambitieux,  conscient que le temps hebdomadaire consacré est insuffisant et que la formation des enseignants reste un défi.

 

Mar Griera (ISOR, Universitat Autònoma de Barcelona, Espagne) : Quelle morale pour l’école? Le débat sur l’éducation à la citoyenneté en Espagne

 

Mar Griera intervient sur ce sujet, très polémique en Espagne. L'enseignement d'une morale civique dans la loi organique de 2006 présenté par Zapatero s'est révélé un échec.

 

Le contexte historique l'explique. Sous Franco, deux disciplines sont  obligatoires : 1) formation de l'esprit national ; 2) formation à la religion catholique (religion d'Etat).

Pendant la transition démocratique : méfiance pour l'enseignement de l'éthique et   réduction du rôle de l'Eglise dans l'organisation de l'enseignement.

 

Suite aux attentats du 11 mars2003, Zapatero dans une loi organique sur l'enseignement s'appuie sur les recommandations du Conseil de l'Europe.

Le ministère impose en 2006 un cours d'éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme : favoriser des individus libres, former de futurs citoyens, avec ses droits et ses devoirs. Polémique de la droite et de l'Eglise "contre l'endoctrinement de nos enfants".

 

Les pouvoirs publics garantissent aux parents le droit de donner la formation religieuse et morale à leurs enfants en accord avec leurs convictions (art 27.3 de la Constitution ) faisant appel aux droits de l'homme (Parlement de Strasbourg, Tribunal européen des droits de l'homme et Conseil de l'Europe).

En 2011, retour de la droite au pouvoir : élimination de l'Education à la citoyenneté.

Aujourd'hui, théoriquement, trois choix s'offrent et des élèves doivent choisir une option parmi les suivantes: 1) religion catholique ; 2) enseignement civique et éthique ; 3) religion protestante, islam, judaïsme. Cependant, l’option d’étudier la religion protestante, musulmane or juive n’est pas assurée dans tous les écoles et les territoires de l’Etat. Il a beaucoup des carences à cet égard. 

 

Cette question liée à l'éducation est un élément de crispation entre droite et gauche : repolitisation de la religion catholique dans ce domaine, difficulté pour les secteurs les plus progressistes de l'Eglise à se faire entendre, absence de position commune au sein de la gauche

 

Maria Chiara Giorda (Università degli Studi di Torino, Italie) :  Rien ne va plus? Le cas de l’Italie 

 

M.C. Giorda évoque un double échec : celui de l'éducation à la citoyenneté et celui de l'enseignement des faits religieux.

Education civique : matière scolaire spécifique ou "tâche générale" de l'école? Débat depuis 150 ans.

 

Panorama historique avec quelques dates significatives :

Après 1945, dans l'optique de la "défascisation", éducation civique proposée et participation en classe,  base de la vie démocratique.

- 1955 : enseignement religieux : base et couronnement de l'éducation morale et civique, 2 heures / semaine. Un lien privilégié est fait entre morale catholique et éthique.

- 1958 : 2 heures d'éducation civique/ semaine dans le secondaire : étude de la Constitution, tolérance, respect des autres, vie collective...

- 1984 : Révision du Concordat : le catholicisme n'est plus une religion d'Etat. L'Etat garantit la possibilité de recevoir l'enseignement de la religion catholique ainsi qu'une transmission des valeurs civiles et sociales.

- 1985 : Education civique dès l'école primaire

- 1992-1994 : Education à la légalité dans un contexte de lutte contre la mafia. Travail sur l'observation des règles, débat sur la démocratique. Cependant pas d'enseignants formés ni d'horaire précis. L'instabilité politique italienne fait que le travail de l'éducation au vivre ensemble n'entrera pas en vigueur

- 1996 : nouveau programme de religion catholique ouvert aux non-catholiques.

- 2003 : concours public pour les enseignants de religion dont 70% deviennent permanents.

- 2003-2008 : " Education au vivre ensemble" dès la maternelle reste théorique faute d'investissement financier.

- 2010 : nouveaux programmes : citoyenneté et constitution. Le catholicisme, facteur de dialogue interreligieux.

 

En conclusion, M. Giorda souligne que le cours de religion catholique qui concerne la grande majorité des élèves, s'ouvre à une dimension éthique et pluraliste, mais que le cours d'éducation civique est une matière invisible sans formation des enseignants, sans programme, sans financement, sans manuel et sans évaluation. Cependant, il faut faire confiance aux expériences locales, aux laboratoires d'éducation à la citoyenneté : Turin, Rome, Milan et l'histoire des religions existe en tant que moyen d'éducation à la citoyenneté. Il n'y a aucune perspective politique et culturelle commune sur la laïcité. On aboutit à un double échec : celui de l'éducation sur les religions et celui de l'éducation à la citoyenneté.

 

Patrick Loobuyck ( Universiteit Antwerpen, Belgique) : L’absence de l’enseignement de la citoyenneté en Belgique... et la différence entre communauté flamande et francophone

 

En Belgique, trois communautés indépendantes: francophone, flamande, germanophone. Longs débats, violentes oppositions "pour le contrôle de l'âme de l'enfant."

 

- 1958, Pacte scolaire signés par les libéraux, les socialistes et les catholiques: instauration d'un cours de morale non confessionnelle à coté d'un cours de religion.

- 1988, nouvelle constitution, Article 84 : Les écoles publiques offrent le choix entre l'enseignement d'une religion ou d'une morale. Art 3: "tous les élèves soumis à l'obligation scolaire ont droit à une éducation morale ou religieuse." 

 

En Flandre, dans l'enseignement public: 52% des élèves choisissent l'éducation morale, 30% le cours de religion catholique, 14,5% l'islam. Les associations laïques s'intéressent au programme et au choix des professeurs.

Débat public au secondaire - en Flandre et en pays francophone - sur le Pacte scolaire considéré comme un anachronisme devant les contraintes : organisation d'horaires, finances, formation, inspections...

Pas de cours indépendant de la citoyenneté à l'école . Hostilité à l'égard de l'éducation sur le vivre ensemble chez les jeunes en Belgique. L'enseignement à la citoyenneté est aussi nécessaire que peu structuré. L'approche se fait par le biais de l'histoire sans enseignement spécifique. . Il est transversal et dépend de la bonne volonté des écoles et des professeurs.

 

- 2012 : Une partie des cours de philosophie consacrée à l'interculturel : 24 compétences abordées en 6 leçons. Evolution positive mais tardive.

Conclusion générale, évolution qui donne à l'éducation à la citoyenneté une place insuffisante au regard des direstives du Conseil de l'Europe.

Proposition : introduction d'un cours commun regroupant éthique, citoyenneté, culture religieuse et philosophique au lieu de cours confessionnels et des cours de morale, ce qui nécessite une réforme de la Constitution.

 

Déclaration du gouvernement pour 2014-2019 : instauration dans les écoles de l'enseignement officiel progressivement à partir du primaire d'un cours commun d'éducation à la citoyenneté dans le respect des principes de la neutralité en lieu et place d'un heure de cours confessionnel ou de morale laïque, en vue de l'apprentissage des valeurs démocratiques , des droits de l'homme, du vivre ensemble, approche historique des philosophies, des religions et de la pensée laïque.

Initiative bloquée par les catholiques et les laïques.

 

André Pachod (Ecole supérieure du professorat et de l'éducation de Strasbourg) : Le cas particulier de l'Alsace   

 

A. Pachod se présente comme un Alsacien, un chercheur "éthicien" soucieux de questionnement, de recul, menant son raisonnement en 3 D : dialogue,  débat, diversité. Sa recherche concerne le primaire.

Il y a un héritage, une persistance de l'enseignement de le religion de la maternelle à la terminale.

La situation alsacienne n'est pas exempte de tensions.

700 intervenants dans le primaire,  122 dans le secondaire assurent des cours obligatoires : 60% d'élèves vont en cours de religion, 40% en cours de morale.

Il y a deux facultés de théologie délivrant des diplômes d'Etat. En Alsace Moselle, la religion fait partie du quotidien ; l'Alsace n'ayant pas connu 1905 ; les Allemands ont utilisé la religion pour germaniser l'Alsace.

 

Les textes qui président à l'enseignement de la religion sont à rapprocher des compétences 5 et 7 du Socle commun. Un "Livre blanc" pose les questions : quelle conviction? quelle religion? quel enseignant  transmet quel savoir?  à quels élèves? comment s'adresser à tous pour élargir ses connaissances selon quelle pédagogie? quel élève former pour quelle morale, dans quelles valeurs, quelles finalités? Il ya une finalité éthique plus qu'une doctrine verrouillée.

 

Toute une série de "passages" sur cette ouverture:

- 1) de la catéchèse à un enseignement sur les religions en milieu scolaire.

- 2) d'un point de vue à une pluralité (approche comparée).

- 3) de l'enseignant témoin ( éthique de conviction) à l'enseignant responsable (éthique de responsabilité : éthique professionnelle forte, des savoirs neutres).

- 4) du premier au second degré, passage d'un public ciblé à un public varié.

- 5) d'un enseignant unique à un enseignement multiple (transdisciplinaire: philo; histoire, littéraire...) C'est une dimension culturelle plus que religieuse.

Vivre ensemble, et différents : un point de vue n'est que la vue d'un point ;  le relativisme, ce sont des questions sans réponses ; l'intégrisme, ce sont des réponses sans questions.

Pas de demande officielle de cours de religion sur l'islam à l'école.

 

Jean-Paul Willaime (GSRL, EPHE) présente le texte de Julia Ipgrave ( University of Warwick, Royaume-Uni) : Le "Trojan Horse" et l'Enseignement moral et civique en Angleterre

 

Beaucoup de controverses actuelles sur le sujet en Angleterre.

Le débat a eu tendance à s’empêtrer dans des discussions sur la sécurité nationale, le renforcement des valeurs britanniques, la crainte que les jeunes ne deviennent extrémistes.

Trois séries de remarques :

 

1 - Les valeurs dans une société diversifiée : quelles valeurs procédurales et substantives pour l'ensemble de la société et/ou quelles valeurs spécifiques pour certains groupes culturels, religieux? Des désaccords sont possibles. 

 

2 -A qui appartiennent les écoles? Aux parents ou à l'Etat?  Le protocole additionnel aux Droits de l'homme définit une protection juridique du droit des parents qui élèvent leurs enfants selon leurs convictions. Aujourd'hui, tensions entre autorité et parents en cas de divergences.

 

3 - Le texte officiel sur l'école : "toutes les écoles participent à la préparation des élèves à une vie dans une Grande - Bretagne moderne . Mais qui est moderne? les modernités sont multiples... Ce concept de Grande -Bretagne moderne marginaliserait-il des communautés minoritaires, religieuses  ou non?

 

D'où débat sur la légitimation de la sphère d'intervention de l'Etat dans la vie des familles.

 

Jean-Paul Willaime (GSRL, EPHE) : Mise en perspective comparative des situations européennes et québecoise 

 

Conclusion

 

J.-P. Willaime souligne d'emblée l'immense intérêt des confrontations des diverses situations européennes et québécoise et le grand intérêt des comparaisons internationales qui permettent de s'instruire mutuellement. Chaque débat national intéresse tous les autres pays. Débats et conflits peuvent déboucher sur des pistes d'investigation. Comment le débat a-t-il lieu? Comment est-il organisé? Quels en sont les protagonistes? Quelle est sa légitimité? Quels en sont les acteurs? 

 

On a beaucoup à apprendre de la diversité des débats nationaux dont les contextes sont différents d'un point de vue historique, politique, religieux et éducatif. Les contraintes juridiques diffèrent elles aussi entre Etats nationaux centralisés ou fédéraux où certains Etats peuvent procéder à des expérimentations dans certaines régions.

 

La singularité des identités nationales est-elle déterminante? L'européanisation, impossible? Il y a des tendances communes : évolution sociologique concernant l'appartenance et la pratique religieuse ou non, évolution à travers le droit européen : Livre blanc du Conseil de l'Europe, Directives européennes de juin 2013,  sur liberté de religion et de conviction.

 

Pas de reprise nationale de ces directives pourtant ratifiées. Les textes européens sont peu cités et peu mis en oeuvre par l'Education nationale en France. Une laïcité inclusive se dégage à l'échelle de l'Europe, laïcité qui intègre dans ses pratiques la reconnaissance des représentants des différentes religions et des associations convictionnelles.

 

Pluralisation accrue des conceptions religieuses et convictionnelles des populations européennes. Chez les jeunes, désaffiliation par rapport aux religions qui s'accompagne d'un grand intérêt et de beaucoup de curiosité pour les faits religieux, vérifiée dans des enquêtes récentes. Autant que l'école en parle car c'est un lieu sûr (safe place) pour le faire de façon distanciée et donc dépassionnée.

 

La pluralisation conduit à un pluralisme normatif sur ce qu'est une vie digne et bonne. Défi particulier relatif à la morale. Différentes façons de considérer les questions d'éthique : fin de vie, questions sexuelles...Tendance à la privatisation de la morale ; les structures collectives n'auraient pas à s'en mêler ; cette revendication de liberté et d'autonomie est en tension avec d'autres demandes et  ne doit pas évincer la dimension collective comme celles de santé publique, d'écologie...L'Education nationale y est confrontée.

 

L'ancienne division du travail éducatif (école publique et l'Etat, d'un côté, et les organisations religieuses, philosophiques et familles, de l'autre) est remise en cause. La morale sécularisée à l'école apparemment opposée à celle de la religion, était en réalité en continuité avec elle.

 

Aujourd'hui, changement considérable. L'Etat parle des faits religieux dans l'école publique laïque et l'enseignement de la morale appartient lui aussi à l'Etat. Pour les deux dimensions (religion et morale), on assiste à une nouvelle répartition des tâches entre l'Etat et les familles.

 

La définition même des objectifs d'éducation de l'école publique implique le développement spirituel de l'élève à côté de celui de l'intelligence et du corps. 

 

Quelle articulation entre les faits religieux, la morale, la citoyenneté?

En arrière plan, quelles ressources, acteurs et capacités d'expertise interviennent dans ces questions? Quelle contribution, à partir de son champ propre et de son épistémologie, de l'enseignement des faits religieux à l'enseignement de la morale et à l'éducation citoyenne? Approcher les faits religieux d'une manière documentée est une éducation à la démarche scientifique qui repose sur des procédures de vérification, des études de documents, l'administration de la preuve, le respect des faits ; donc une éducation à la fois morale et scientifique qui dépasse le domaine de la croyance. Le débat d'experts fondé sur des démarches scientifiques est à distinguer de l'approche positiviste. Distinction nécessaire des différents régimes de vérité. Comment les résultats scientifiques sont-ils investis dans le débat public?

 

Devient nécessaire une éducation au pluralisme. Il faut apprendre à vivre dans une société pluraliste en recherchant un enseignement moral et civique avec des valeurs communes favorisant une pratique de la laïcité.

 

La question de la morale commune est un immense défi : ces valeurs communes  universelles  doivent-elles être exprimées de façon abstraite? Ce serait mettre au placard les ressources artistiques, religieuses qui ont fait émerger ces valeurs qui ne viennent pas de nulle part. C'est l'histoire de l'Europe dont chaque nation s'est approprié une part qu'elle doit maintenant partager sans nationalisme. Il y a différentes sources de sensibilisation, de socialisation et de légitimation de ces valeurs à reconnaître.

 

Quelques mots du Réseau école laïcité religions, Récolarel ...

 

Pour prolonger ces échanges sur les analyses de  situation, les expériences mutualisables, les réflexions à poursuivre à partir de ces interventions toutes riches d'enseignements...

 

En Europe et au Québec, des problèmes communs...

 

Les attentats des 7 et 9 janvier 2015 à Paris ont montré, si besoin était, à quel point organiser une journée de comparaisons européennes sur l’enseignement moral et civique était bien nécessaire. La sécularisation de nos sociétés ne s'est pas accompagnée d'une désacralisation. Les politiques d'"intégration" des pays, avec ou sans passé colonial, ont montré leurs limites. Une partie de la population d'origine étrangère, installée souvent depuis plusieurs générations, ne trouve pas ou peu sa place dans nos sociétés.

 

En ce qui concerne plus précisément  les politiques éducatives, la  plupart des pays européens ainsi que le Québec ont répondu, d'une façon  plus ou moins rapide et adéquate, à ces situations nouvelles et parfois critiques. Dans des contextes nationaux ou régionaux différents, nombre de politiques éducatives, souvent sans grand succès, s'en sont suivies. Les multiples mesures préconisées semblent avoir eu du mal à s'appliquer du fait des oppositions entre parties prenantes (représentants de partis politiques, associations diverses dont enseignants, parents d'élèves, mouvements religieux et laïques...) ainsi qu'à l'intérieur de chacune de ces parties, bloquant une avancée vers une meilleure éducation au vivre ensemble.

 

Des expériences à mutualiser... 

 

Une attitude honnêtement pragmatique ne saurait nuire dans ces domaines saturés d’idéologies inconciliables. Car, si l’on se tourne modestement vers quelques pratiques pédagogiques mettant en œuvre l’enseignement moral et civique, certaines démarches particulièrement intéressantes ont été présentées : la pédagogie du débat prend en compte l'expérience propre des élèves dans un cadre organisé et balisé, dans le respect des contenus  spécifiques de chaque discipline, par exemple au Québec et dans la région de Hambourg.

 

Des pratiques parallèles de débats préparés, s'inspirant de ces expériences, pourraient être mises en oeuvre et faciliter une meilleure progression des élèves et l'élaboration de critères d'évaluation. Pourquoi ne pas chercher à tirer parti des expériences qui marchent ailleurs et à les mutualiser ? Une entrée pragmatique et pédagogique aiderait peut-être à contourner les blocages insurmontables d’un point de vue idéologique ?

 

Une meilleure prise en compte des directives émanant des institutions  européennes sur l'éducation, celles de la Commission européenne, du Conseil de l'Europe, du Parlement européen, pourtant signées par chacun des pays, est une autre piste de travail prometteuse, soulignée par Jean-Paul Willaime. 

 

En France, une pédagogie de la laïcité qui peine à se renouveler...

 

En ce qui concerne la France, les attentats ont provoqué une prise de conscience d'une situation très préoccupante aux niveaux social, économique, éducatif, culturel. L'école plus encore qu'ailleurs devient l'objet de toutes les attentions.

 

Le ministère de l'Education nationale réactualise le projet d'Enseignement moral et civique, chantier déjà ouvert dans le cadre de la " Refondation de l'école ", en 2013, dont la pertinence devient difficilement discutable. Le Conseil Supérieur des Programmes en a fait une présentation renouvelée dont il faut maintenant se saisir : il doit entrer en vigueur en septembre 2015.

 

Cet enseignement est à repenser à nouveaux frais tant au niveau épistémologique qu'au niveau des programmes, des contenus, de la méthodologie. En amont, le choix entre une laïcité exclusive et une laïcité inclusive doit être clairement explicité. Ce choix diffère peu du learning about / learning from.

 

L'articulation avec l'enseignement laïque des faits religieux est à reformuler. Réponses doivent être faites aux questions comme : quelle place faire à l'histoire des religions, à une prise en compte du symbolique, de la spiritualité, de la transcendance ? Quelle articulation avec l'histoire des arts ? Quelles différences, quelle cohérence à l'école, au collège et au lycée? Quelles modalités d'évaluation?

 

Tous les pays européens et le Québec sont face à ce défi : faire connaître, sans chercher à les faire partager, au plus grand nombre d'élèves, en particulier au niveau du lycée, les convictions et les croyances les plus courantes, dans le respect d'une juste liberté d'expression. Une pratique pédagogique d'ouverture démocratique, celle du débat culturel, serait une piste possible qu'il faudrait explorer méthodiquement . Et si c'était une nouvelle manière de faire vivre les valeurs républicaines et démocratiques, issues des grandes traditions philosophiques et religieuses européennes ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

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14 octobre 2014 2 14 /10 /octobre /2014 11:06

Rencontre-débat  RELIGIONS et LAICITE  dans les nouveaux manuels scolaires  le 11 juin 2014. 

 

 

Le mercredi 11 juin 2014 de 15h00 à 16h30 à l'initiative du Réseau école laïcité religions (Récolarel) avec le soutien de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) s'est tenue une rencontre-débat sur le thème : Religions et Laïcité dans les nouveaux manuels scolaires d'histoire et d'éducation civique de collège au Bâtiment France, 190 avenue de France 75013 Paris. 

L’auditoire est relativement clairsemé pour cause de grève de transports ferroviaires. L'absence des éditeurs est regrettable ; l'équipe d'auteurs de Lelivrescolaire s'est excusée. les présents sont extrêmement attentifs et visiblement très concernés par le sujet abordé comment le montreront les nombreuses questions posées. 

Sont intervenus Alain Merlet, inspecteur honoraire de Lettres classiques de l'académie de Créteil , Jean-Marc Noirot, enseignant d'histoire-géographie et retraité de l'enseignement public, co-animateurs de Récolarel et Anna Van den Kerchove, responsable formation-recherche de l'IESR.

 

Jean-Marc Noirot rappelle le but de Récolarel créé en 2010. Pour le réseau, si choc des civilisations il y a, c'est d'abord et avant tout un choc des ignorances. Letravail de Récolarel centré sur l'école se fonde sur la volonté de lutter contre les idéologies intégristes et les comportements fanatiques de tout bord et de promouvoir une société plus harmonieuse . Les destinataires de notre propos sont multiples : les éditeurs-auteurs, les concepteurs des programmes, les enseignants  et tout personne intéressée par ce sujet. Les commentaires critiques formulés à l'encontre de tel ou tel aspect des manuels d'histoire et d'éducation civique des collèges n'empêchent pas Récolarel de reconnaitre le travail très complexe des éditeurs et des auteurs. Le détail de ces critiques est développé dans les pages de recolarel.over-blog.com. Un dialogue est souhaité de notre part. Une dernière précision : Récolarel et l'Iesr conduisent ensemble un travail interactif depuis plusieurs années mais il va de soi que l'Iesr n'est pas engagé par les propos de Récolarel  qui parle en son nom propre.

 

Anna Van den Kerchove insiste d'emblée sur la particularité française concernant l'élaboration des manuels scolaires : la production est le fait d'éditeurs privés, les enseignants sont libres de choisir le manuel qu’ils veulent utiliser dans leurs classes en se mettant d’accord entre eux pour choisir un manuel par niveau.

 

 

Analyse des nouveaux manuels d'histoire du collège 

 

une certaine "dévitalisation" des faits religieux....

 

Alain Merlet présente ensuite la synthèse des analyses de la présentation des faits religieux dans les manuels d'histoire de 6ème à la 3ème des collèges de 2009-2013 (1). Il rappelle que ces commentaires prennent en compte les programmes officiels ainsi que le socle commun et les ressources pour la classe, documents à l'usage des enseignants. Il est choisi d'étudier les faits religieux dans les manuels avec un regard délibérément sélectif : l'étude des lexiques, l'étude des textes d'auteurs, des documents d'accompagnent : textes, cartes et iconographie.

1 - Le lexique : avec trois critiques principales : A) absence d'un certain nombre de termes attendus tels que âme, foi, civilisation, mystère, révélation, prière, alors que deux d’entre eux étaient présents dans les éditions antérieures : foi, révélation. B) présence de confusions qui ne sont pas sans conséquence , exemple : islam/islamisme, djihad : combat intérieur/ combat guerrier. C) Autre type de critique, l'imprécision : ce n'est pas la même chose de définir l'antisémitisme comme la "haine" à l'égard des Juifs (3e Hachette, Hatier, Magnard et Nathan), ou de préciser qu'il s'agit de "racisme envers les Juifs" (3e Lelivrescolaire), "doctrine et pratique racistes dirigées contre les juifs" (3e Belin), le racisme étant un délit qui tombe sous le coup de la loi quel que soit le groupe humain concerné.

Ces exigences de précisions ne sont aucunement une perte de temps surtout pour les élèves en difficulté et sont indispensables pour entrer dans la signification symbolique des faits religieux.

2 - Les textes d'auteurs : trois critiques principales.

- Les convictions de croyants ne sont pas respectées par certaines formes de modalisations, où l'énonciateur intervient dans le contenu des énoncés : exemple, pour les juifs, "cette terre leur aurait été promise par leur Dieu." (6e Nathan) ; " pour les chrétiens, Jésus serait ressuscité" (6e Belin) ; " Une sîra raconte comment Muhammad aurait reçu la révélation" (5e Magnard).

- La quasi absence de contextualisation apparaît dans l'étude du judaïsme au 1er siècle de l’ère commune - absence des différentes composantes de la société juive de cette période - et aussi dans celle des débuts du christianisme. Le Coran est présenté d'une façon essentialiste ; rien n'est dit de  l'évolution des commentaires du Coran.

- La présentation de certains textes aboutit à une dévalorisation de récits reçus par les croyants comme porteurs d'un sens essentiel. Les "Ressources pour la classe" ne suggèrent-elles pas pourtant de prendre au sérieux l'étude "des mythes et croyances destinés à donner un sens à l’existence [des sociétés]?"(2). Un manuel - 6e Magnard éd.2009 - s'inscrit clairement dans une optique historico-critique, ce que ne fait pas l'édition suivante.

3 - Les documents :

- Les textes : l'indication des sources des textes "sacrés" manque fréquemment. De nombreuses coupures de documents en dénaturent le sens. Ainsi, celles du texte de la Genèse empêchent de voir ce récit comme un mythe porteur de sens. Celles du Credo, texte d'ailleurs peu cité, ce qui est regrettable, ne permettent pas de présenter la spécificité du christianisme : l'existence d'un dieu trinitaire. Certains questionnements sur les textes s'en tiennent à une littéralité factuelle au lieu d'inviter à la recherche d'une valeur qui la dépasse. Par exemple, il est rare que la traversée de la mer Rouge soit présentée comme le symbole de la libération d'un peuple. Autre exemple, les fêtes religieuses des trois monothéismes sont très présentes mais les prières sont systématiquement gommées.

- Les cartes : certaines n'aident pas à la contextualisation, donc à l'intelligence des faits. Exemple, la carte des voyages de Paul de Tarse n'est pas éclairée, sauf exception, par la mention de la présence de nombreuses communautés juives dans tout le bassin méditerranéen au Ier siècle. Autre exemple, sur les cartes des croisades, les chrétiens d'Orient et les communautés juives d'Europe sont oubliés.

- L'iconographie: elle reste souvent purement illustrative ou sans véritable aide à l'interprétation. Or, l'image a aussi un fonctionnement propre et un sens qu'il est intéressant d'explorer précisément. Exemple, cinq livres de 6e proposent une mosaïque représentant le baptême de Jésus. La présence de la divinité mythologique du dieu fleuve du Jourdain n'est identifiée dans aucun d'entre eux et seuls, Magnard 2009 et 2013 précisent que la colombe représente l'Esprit Saint. En outre,on  aurait intérêt à faire davantage fonctionner entre eux les documents iconographiques et textuels, ce que commencent à faire plusieurs manuels à travers l'histoire des arts.

 

En conclusion,                                                                                                                - des mots-clés absents ou mal définis.                                                                             - des simplifications trop fréquentes.                                                                                 - un certain cloisonnement des connaissances entre chapitres, entre niveaux comme entre disciplines, en particulier l'histoire et l'éducation civique.                                                  Entrer dans un peu de complexité n'est pas de l'encyclopédisme , mais, par l'accès au symbolique, propose du sens, nourrit l'intérêt des élèves, permet une transmission  culturelle et plurielle et une meilleure  compréhension des réalités d'hier ...et d'aujourd'hui. Cette clarification, cette "revitalisation" des faits religieux, est nécessaire pour déconstruire les préjugés, sources de malentendus et de peurs, et peut favoriser les conditions d'un meilleur "vivre ensemble" dans notre société plurielle.

 

Analyse des manuels d'éducation civique

 

Laïcité de méfiance et laïcité de confiance...

 

Jean-Marc Noirot présente ensuite l'image de la laïcité dans les manuels de collège. La laïcité est un thème présent dans le programme d'éducation civique de 6ème et dans celui d'histoire de 4ème.

"Dans les établissements publics, la laïcité est un principe fondamental ...(elle) est à la fois une valeur et une pratique. " : lit-on dans le programme d'éducation civique de 6ème. Qu'en dit-on dans les dix manuels que proposent six maisons d'éditions?  Quelles conceptions de la laïcité sont présentes dans les lexiques et dans les pages qui lui sont consacrées?

1. La laïcité dans les lexiques                                                                                       Tout d'abord, sept manuels choisissent une définition de laïcité telle qu'elle doit s'appliquer dans l'espace public en général. Les définitions mettent l'accent sur une opposition entre Etat et religions sauf un manuel qui précise : "L'Etat garantit cependant la liberté religieuse et le libre exercice des cultes."                                                                                                    Trois éditions seulement définissent la laïcité dans le cadre scolaire, et ce, avec des acceptions très diverses. Magnard éd.2013 propose pour " laïcité " : "refus de faire entrer les croyances religieuses à l'intérieur de l'école publique." Cette définition n'exclut-elle pas implicitement l'enseignement des faits religieux? Nathan éd.2009 donne pour " laïcité " une définition très prudente :" l'Etat ne favorise aucune religion, qui relève de la vie privée. A l'école publique, la religion ne doit pas être ostentatoire (trop marquée) ". L'un des deux manuels Hatier - C.Barideau et D.Dubois - est le seul à donner une définition de laïcité en milieu scolaire sans référence explicite aux croyances religieuses : "neutralité de l'enseignement par respect pour la liberté de conscience des élèves."                                                                                             Cette dernière définition de laïcité est donc la seule sur les dix à être véritablement en cohérence avec l'esprit du programme et à prendre en compte l'existence de l'enseignement des faits religieux.                                                                                                          Concernant les lexiques, quelles notions relevant d'ordinaire du champ sémantique de laïcité sont-elles présentes dans les manuels?

Les notions de conviction, fraternité (3), liberté, opinion et  solidarité sont absentes. Celles d'égalité, dignité, foi, neutralité, pluralisme, prosélytisme, respect, responsabilité, ségrégation, valeur apparaissent une seule fois sur dix. La notion de tolérance apparaît seulement deux fois. Celles de civisme/incivisme, démocratie et liberté de conscience apparaissent trois fois seulement.                                                                                                                Par ailleurs, certaines définitions comme association, citoyen, identité, neutralité et ségrégation sont particulièrement imprécises.                                                                              Seconde remarque : rareté et/ou imprécision de définitions de notions donnant accès à la compréhension de laïcité, et plus particulièrement dignité, liberté de conscience, neutralité et pluralisme.                                                                                                                    Les lexiques présents dans les manuels ne contribuent donc pas à éclairer suffisamment la notion fondatrice de laïcité dans le contexte scolaire, vue majoritairement d'une façon simplificatrice et faussée car opposée aux religions.

 

2.  La laïcité dans les pages des manuels.                                                     

Que disent les manuels - sauf Bordas qui fait l'impasse complète de l'étude de la laïcité - dans les textes d'auteurs, les documents textuels et visuels?                                                             2.1 Concernant les textes d'auteurs, huit manuels ont un discours qui ne distingue pas religion et enseignement des faits religieux : " le collège est laïc...la religion relève de la vie privée et les croyances ne font pas partie de l'enseignement public, comme c'était le cas en France avant la loi de Jules Ferry de 1882. Cela est rappelé dans le règlement intérieur. ": lit-on chez Belin éd.2013. Plus grave, deux manuels - Belin éd.2009 et Hachette A. - présentent une histoire de la laïcité française non contextualisée, donnant une vision réductrice de  la République qui serait, par essence, opposée à la religion. Aucun manuel ne mentionne qu'au XIXe siècle le clergé catholique majoritairement monarchiste et influent était antirépublicain et que le système scolaire était un enjeu vital pour la survie du jeune régime républicain.                                                                                                               L'un des manuels de Hatier - C.Barideau et D.Dubois - offre une toute autre image, celle d'une laïcité de confiance. Il titre, à la page 14, : " L'école respecte mes croyances " et donne comme problématique : " Comment respecter les croyances de chacun?". Toutefois, le terme de convictions ajouté à celui de croyances aurait amélioré ce titre en évitant de se focaliser sur les croyants. Ce manuel est aussi le seul à distinguer prosélytisme et enseignement des faits religieux.                                                                                                          

2.2 Concernant les nombreux documents textuels, ceux-ci par leur choix et leur découpage illustrent généralement l'image de la laïcité véhiculée par le texte d'auteur. On retrouve logiquement deux images opposées : la première, dominante, celle d'une laïcité de défiance, très sourcilleuse sur les signes religieux ; la seconde, très minoritaire, donne à voir une laïcité de confiance parlant autant de dialogue et de respect des différentes convictions que de comportements à sanctionner.                                                                                                 

2.3 Concernant les documents visuels, le manuel Hatier - C.Barideau et D.Dubois se démarque encore des autres. Il présente six photos d'élèves portant des signes religieux et questionne sur les signes autorisés ou interdits à l'école publique .

En conclusion de cette lecture critique de la laïcité dans les manuels d'éducation civique de 6ème, un seul manuel sur dix donne une image d'une laïcité de confiance, image cohérente avec la charte de la laïcité de septembre 2013, en particulier les articles 4, 6 et 8, avec l'esprit du Socle commun et les directives sur l'enseignement des faits religieux à l'école.

 

Conclusion d'ensemble sur la laïcité

Les manuels d'histoire et d'éducation civique de 4ème parus en 2011  donnent de la laïcité une présentation comparable à celle que nous venons de voir : nombreuses définitions  absentes ou très imprécises,présentation de plusieurs documents officiels dont les coupures durcissent et/ou dénaturent l’esprit des textes...

Le long processus pour la mise en place de la laïcité française et la lente évolution des mentalités ne sont pas pris en compte. Ainsi se trouve renforcé le cliché de l'incompatibilité entre religion et démocratie, cliché qui, transposé à l'actualité présente, n'est pas sans conséquence. Cliché qui fonctionne dans deux sens opposés : religion s'opposant à la démocratie, démocratie s'opposant à la religion.

La laïcité, dans les manuels étudiés, est surtout présentée comme une laïcité de méfiance. Cette image prépare bien mal à  l'enseignement des faits religieux et risque fort de renforcer bien des stéréotypes.

 

Conclusion d'ensemble et suggestions

 

Pour des programmes plus cohérents...

 

Ne pas cantonner l'enseignement des faits religieux dans les petites classes de façon à ne pas simplifier ni essentialiser les religions monothéistes et de façon aussi à ne pas les vider de toute dimension d'intériorité.

Se soucier d'une réflexion qui prenne en compte l'ensemble de la scolarité et mette en cohérence toutes les matières concernées : histoire-géographie, éducation civique, ecjs, français, philosophie, arts plastiques, éducation musicale...ainsi que les disciplines "transversales" comme l'histoire des arts et l'enseignement laïque de la morale.

Le but visé est de construire progressivement des notions complexes et des convictions citoyennes en s'interrogeant sur ce que l'on veut que les jeunes sachent, sur le meilleur moment pour cet apprentissage et sur le choix des méthodes pédagogiques les plus adaptées.

Former délibérément les élèves à une étude des faits religieux ouverte à l'analyse, sujette à l'interprétation, intégrant les questionnements existentiels des élèves, préparant au débat, évitant tout dogmatisme et tout fanatisme, s'inspirant des expérimentations déjà mises en place dans ce domaine (4).

 

Pour des manuels eux aussi plus cohérents...

 

- Informer les élèves de la dimension propre des faits religieux par des mots clés bien choisis et bien définis.

- Analyser les documents pour en dégager le sens et la portée symbolique, en mettant le questionnement pédagogique de ces documents, en particulier les images, au service du contenu.

- Ne pas hésiter à multiplier les liens entre les différents chapitres par des annonces et des rappels.

- Faire des liens dans l'étude des faits religieux en histoire et en éducation civique.

- Rapprocher explicitement les enseignements entre tous les différents niveaux du collège et du lycée.

- Face à l'afflux d'images et de savoirs non certifiés que véhicule internet, former délibérément les élèves à l'esprit critique et à la recherche individuelle et collective.

 

(1) Pour plus de détails, voir les études détaillées du blog : recolarel.over-blog.com.

(2) Voir site eduscol.

 (3) Le mot fraternité est curieusement absent des programmes d'éducation civique de collège encore en usage.

(4) Consulter plus particulièrement Le défi de l'enseignement des faits religieux à l'école, Réponses européennes et québécoises, sous la direction de Jean-Paul Willaime, Riveneuve Editions, 2014.

 

 

 

 

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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 18:54

11e FORUM   "LA NON-VIOLENCE à l'ECOLE"  avec le soutien de Non-Violence  XXI (1)

Samedi 30 novembre 2013. Mairie du X arrondissement de Paris

 

Thème : Choisir la non-violence

 

Le Théâtre-Forum (2) comme outil de résolution non-violente des conflits.

 

Programme :

 

Matin :

-  Ouverture par Christian Renoux, président de NV XXI.

Présentation de la quinzaine de la Non-Violence  et de la paix 2013 par Anne Férot

Présentation du CD final et des saynètes réalisées par les enfants

-  Table ronde : "Choisir le Théâtre-Forum, pourquoi, comment?" avec Véronique Guérin, psychosociologue, directrice d'Etincelle (3), Fabienne Brugel, directrice artistique de NAJE  (4) et Guillaume Tixier, formateur IFMAN-Méditerranée (5)

 

Après-midi :

- Spectacle "Rififi et médiation" joué, depuis l'an 2000, par l'ARP (6) sur demande dans les écoles.

- Ateliers pratiques suivis d'échanges entre le public et les intervenants.

- Clôture par un sketch "Rififi et médiation" de Pierre Moryousef.

 

Pour conclure : cette pédagogie par le théâtre, destinée à mettre en scène les conflits entre enfants, entre adultes, et entre enfants et adultes, permet ensuite d'aborder une réflexion à partir des situations vécues. Par son aspect ludique qui fait place à l'humour, elle contribue à chercher des solutions  à et ouvrir des pistes pour une convivialité plus harmonieuse.

 

Claudine Charleux

 

(1) Non-Violence XXI : coordination pour l'éducation à la non-violence et à la paix. site : education-nvp.org.

(2) Guillaume Tixier, Le théâtre-forum : Apprendre à réguler les conflits, Chronique Sociale, 2009.

(3) ETINCELLE propose des formations pour tous publics : http://www.etincelle-theatre-forum.com/

(4) La compagnie NAJE organise des spectacles et propose des stages. http://www.naje.asso.fr/

(5) IFMAN propose des formations sur la régulation des conflits : http://www.ifman.fr/

(6) ARP, Association Ressources Pédagogiques pour une culture de non-violence : http://rififi.mediation.free.fr/

 

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11 décembre 2013 3 11 /12 /décembre /2013 13:34

Eclairages partiels sur le colloque des 18 et 19 octobre 2013 sur l’enseignement laïque de la morale et l’enseignement des faits religieux organisé par l'Institut Européen en Sciences des Religions.

 

Le colloque qui vient de se tenir sur ces enseignements transversaux était d’une telle richesse et d’un tel intérêt qu’il mérite quelques réactions immédiates  à chaud en quelque sorte, que le temps permettra ensuite d’approfondir et d’affiner. Les propos qui suivent sont donc délibérément subjectifs et extrêmement partiels. Leur seul mérite est de pointer dès maintenant certaines idées et propositions qui nous ont paru essentielles d’un point de vue théorique et pratique parmi les passionnantes contributions des intervenants qui semblaient souvent se compléter et se prolonger entre elles assez naturellement.

 

une morale enseignée et non imposée...

 

Pour lancer le colloque, le directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye a souligné la nécessité d’un humanisme fondé sur la culture du respect et le refus des discriminations et de l’endoctrinement. Humanisme  qui implique une morale enseignée et non imposée et qui débouche sur la transmission de valeurs et sur leur mise en pratique.

 

Le président du conseil de direction de l’IESR, Gérald Chaix se réfère à la charte de la laïcité : l’enseignement des faits religieux est fondé sur la scientificité, l’historicité, s’oppose à tout fondamentalisme, implique une réflexion permanente, des actions de formation, des publications. La laïcité fonde le vivre ensemble, questionne le rôle des disciplines et la formation initiale des enseignants à qui elle doit donner des outils sans les y enfermer.

 

La directrice de l’IESR, Isabelle Saint-Martin, souligne qu’il ne s’agit pas d’essentialiser la notion de faits religieux (au pluriel désormais!). Il convient de les situer dans le cadre européen (cf. le colloque de Sèvres de septembre 2012). On étudie des cas concrets dans leur dimension anthropologique, sociale, culturelle, dans leur conséquence dans les manières de vivre. Il s’agit de prendre acte sans prendre parti dans le croisement de la dimension laïque et morale.

 

Après cette triple introduction, Laurence Loeffel, rapporteure de la mission sur l’enseignement moral à l’école présente le projet d’un enseignement laïque de la morale.

L’horizon du commun se perd ; quel universel fait lien ? L’école pose de manière critique et parfois douloureuse la question du « nouage » de l’individu et du commun : comment se sentir relié aux autres en période d’individualisation et de défaillance du symbole ? Le rapport prend acte de l’échec des propositions dogmatiques concernant le rapport aux normes scolaires et propose de  rechercher en commun des normes partagées ou partageables. « Il faut avoir des convictions pour se tenir quelque part » dit Paul Ricoeur.

 

Philippe Gaudin, responsable de formation recherche à l’IESR termine son intervention par des propositions concrètes précises. A l’école primaire, recourir aux récits, aux mythes en n’oubliant pas le goût naturel des jeunes enfants pour la métaphysique. Au collège, on peut recourir aux œuvres artistiques, littéraires et musicales d’un grand intérêt symbolique. Au lycée, les grandes questions éthiques, biologiques, bioéthiques…Il s’agit d’articuler l’enseignement laïque du symbolique et les croyances religieuses.

 

Abdennour Bidar, chargé de mission à la DGESCO, fait retour sur la notion de lien et se réfère à Pierre Hadot et à l’art de vivre. Faire lien, c’est se relier à l’univers, se relier aux autres, mais d’abord se relier à soi-même, "affronter un trou de déliaison radicale". Il faut être capable de se saisir des programmes de philosophie dans cet esprit et former le personnel enseignant à s’en saisir.

 

Frédérique Leicher-Flack, maître de conférence à Nanterre retrouve d’emblée la distinction déjà posée entre morale prescrite et morale enseignée. Le contexte social est celui d’une crise du civisme et des déchirures de la société. Dans un monde en désarroi, la morale ne tombe plus d’en haut, les valeurs s’éprouvent en situation. La littérature peut fonctionner comme un laboratoire d’expériences de questionnements moraux. On apprend par le laboratoire des cas littéraires à se couler dans la vie des autres. Le texte devient le support d’une herméneutique pluraliste, laboratoire des cas de conscience.

 

Questionnement sur la hiérarchie des valeurs...

 

Anna Van den Kerchove, responsable de formation recherche à l’IESR, reprend les fondements de l’étude de l’histoire : les anecdotes morales jouent un rôle essentiel chez Hérodote.
L’histoire reste aujourd’hui un réservoir d’expériences humaines : les sacrifices, les persécutions des chrétiens, l’esclavage peuvent devenir l’objet de questionnement sur la hiérarchie des valeurs. D’une manière concrète, on peut envisager des modules transdisciplinaires de deux heures tous les quinze  jours en français et en histoire par exemple sous forme de débats dont on précisera contenu, méthodes et formation.

 

Charles Coutel, directeur de l’Institut d'Etude des Faits Religieux, à Amiens, demande que l’interdisciplinarité se fasse avec des disciplines maîtrisées et rappelle une phrase de Lévinas : « Une humanité morale antérieure à toute révélation est présupposée par la révélation même. » Il s’interroge ensuite philosophiquement sur les conditions a priori d’un enseignement laïque de la morale. Il réclame une évaluation de la maîtrise d'éléments lexicaux  comme patrie, nation, territoire,  maîtrise favorable à la mémorisation et à la  prise de conscience.

 

Le lendemain matin, Isabelle Saint-Martin souligne qu'enseignement des faits religieux, histoire des arts, enseignement laïque de la morale sont trois "non disciplines".

La morale en images d’Epinal qui sont montrées présente des modèles vertueux et une surabondance des vertus chrétiennes. Au-delà, la finalité de l’histoire des arts, c’est l’élévation individuelle et collective, c’est donner des éléments d’identité nationale, c’est ouvrir à l’altérité.

En butte aux critiques,  l'histoire des arts résiste et concerne la peinture, mais aussi le théâtre, le cinéma, la musique : les TPE sont, pour elle, un lieu de croisements et une voie royale.

 

Hanifa Cherifi fait le récit circonstancié de l’histoire de septembre 89 à Creil où trois cousines nullement appuyées par leur famille se présentent au lycée avec un foulard et sont refoulées par le principal. Quatre ans plus tard l’affaire rebondit et Hanifa Cherifi explique son rôle de médiatrice à la demande de Mme Veil. Elle analyse l’adhésion de ces jeunes comme le recours à une identité de substitution et à un islam moins religieux qu’idéologique.

 

Jean Baubérot, directeur d’études émérite à l’EPHE présente la morale laïque sous la III° République à partir de l’étude rigoureuse de 207 cahiers d’écoliers entre 1882 et 1914 selon deux axes : la dignité humaine et la solidarité sociale qui n’exclut nullement par ailleurs scientisme, sexisme et racialisme. Pas de stigmatisation des marginaux néanmoins. Les tricheries sociales sont dénoncées. Et la dynamique de la solidarité fait que la morale laïque n’est pas limitée à l’école. La génération paye sa dette culturelle (pas seulement envers le christianisme) en faisant avancer la civilisation, en organisant une solidarité collective à l'origine de notre Sécurité sociale actuelle. Le cataclysme de la grande guerre va être pour cette morale républicaine une victoire à la Pyrrhus. Mais, malgré ses impensés - inégalités de genres par exemple -, saurons-nous être aussi inventifs qu’elle le fut en son temps ?

 

une « laïcité positive de confrontation »...

 

Jean-Paul Willaime, directeur d’études à l’EPHE présente le plaidoyer de Paul Ricoeur pour une « laïcité positive de confrontation ». La laïcité d’abstention de l’Etat cantonne l’école dans une neutralité mortelle ; la laïcité de la nation est vivante, prend en compte son buissonnement et un vouloir vivre ensemble : la laïcité positive de confrontation est ouverte à toutes les possibilités spirituelles de la société séculière avec une seule règle : le respect de la personne de l’enfant. Des éléments importants sont à prendre en compte : les transcendances religieuses et séculières sont affaiblies ; il y a un désenchantement des idéaux séculiers naguère survalorisés ; la radicalisation de la sécularisation participe au désenchantement ; nous sommes pris dans une logique de l’incertitude : défi technologique, ultra libéralisme ; l’humanisme est questionné. Le débat devient public sur les questions comme le genre, le mariage de couples homosexuels. Les pluralités de religions et de cultures sont là parmi nous. Il faut des informations, des confrontations. S’impose l’éducation à la discussion ; préparons les enfants à être de bons discutants. Préparons le débat argumenté avec procédure de vérification, cohérence, apprentissage de la diversité  et des désaccords raisonnables.

 

une méthode pédagogique de l'ouverture...

 

Philippe Portier, directeur d'études à l'EPHE, précise que le projet Peillon s'inscrit dans une réflexion internationale sur le développement de l'éducation, une des priorités de celle-ci étant de "refaire du lien". Il propose d'analyser en trois périodes l'évolution historique de l'enseignement laïque de la morale.

Tout d'abord, construction de la morale laïque. Celle-ci repose sur l'angoisse de la dissolution de la cité au XIXème. Est inventé un dispositif normatif. L'Etat s'appuie sur l'Eglise avant de s'affirmer contre elle à partir de 1880. Le référent républicain prône comme première valeur la dignité des hommes qui associe deux affirmations : celle de l'autonomie de l'individu et celle de la solidarité. Le désir de la personne se trouve toujours encadré par la norme de la raison.

Puis, obsolescence du référent républicain. Surtout, depuis les années 60, on observe en Europe une dissolution de la culture traditionnelle. En France, plus particulièrement, le corps social se transforme avec un nouveau régime de la subjectivité : côté philosophie, déconstruction de notions comme celle de raison (Foucault); côté démocratie,  affirmation de l'individu. Le concept de désir l'emporte sur celui de raison. La reconfiguration de l'Etat entraîne celle de l'école, même si la structure de cette dernière ne change pas. L'école se dissocie des moralités d'hier. Changement significatif : l'Instruction civique et morale disparaît au profit des Faits économiques et sociaux dans les années 70. A la république se substitue le libéralisme.

Enfin, reconfiguration du modèle républicain. Le déficit de cohésion risquant d'anémier notre société, il importe de "refaire du lien" à partir de deux options contradictoires : être seul et aspirer à la restauration du lien. En matière d'éducation, deux pistes sont à cultiver. Premièrement, des enseignements comme l'enseignement laïque de la morale et l'enseignement des faits religieux ont des fonctions communes cognitives et éthiques mais l'enseignement laïque de la morale relève du prescriptif et l'enseignement des faits religieux de l'analytique. Ces deux pôles se croisent posant la question du sens, du rapport à soi, aux autres, au monde. Deuxièmement, une méthode pédagogique de l'ouverture doit privilégier le modèle du réseau au modèle pyramidal. Il n'y a plus d'objectivité imposée. Si les normes morales sont constitutionnelles, seule la confrontation avec le réel permet de faire travailler sa propre conscience et penser sa propre existence. Le principe d'expérience prime et les études de cas sont indispensables.

 

Lors de la table ronde finale, Charles Conte, chargé de mission et d'études sur la laïcité à la Ligue de l'enseignement, insiste sur le fait que l'enseignement laïque de la morale et l'enseignement des faits religieux n'intéressent pas seulement les disciplines mais l'ensemble de la vie scolaire. Il souhaite que soit faite une véritable évaluation de l'utilisation des nouvelles techniques du numérique en matière d'éducation.

 

Eric Vinson, directeur de l'Institut de formation pour l'étude et l'enseignement des religions à Dijon, met laïcité comme fait religieux au pluriel. Il souhaite des lieux académiques pour poser toutes questions relatives à ces deux domaines d'une grande complexité, des lieux de formation et d'élaboration d'outils d'évaluation comme il en existe déjà ailleurs en Europe. Enfin, il demande que la société civile soit mobilisée sur ces sujets.

 

Valentine Zuber, maitre de conférences à l'EPHE, s'interroge sur l'opportunité même d'un enseignement laïque de la morale à l'école publique. L'apprentissage moral des enfants ne devrait relever, selon elle, que de l'éducation familiale tandis que l'école devrait essentiellement se concentrer  sur l'apprentissage de connaissances, c'est à dire l'instruction. Elle critique aussi certains points de la récente Charte de la laïcité à l'école qu'elle trouve par trop contextualisés et comportant ainsi des risques pour la défense des libertés. Elle plaide enfin pour une enseignement qui fasse la part belle au débat de type démocratique, comme un entraînement nécessaire à l'apprentissage de la citoyenneté. 

Quelques remarques finales de Récolarel...

 

Quelques remarques finales sur le colloque sur l’enseignement laïque de la morale et l'enseignement des faits religieux.

 

Il est impressionnant de voir que ce colloque sans doute porté par le sujet a fonctionné d’une manière collective, les apports de l’un prenant leur sens par les apports d’un autre ou de plusieurs autres : on pouvait facilement tisser des liens entre les interventions des représentants des disciplines (philosophie, lettres, histoire, histoire des arts) mais aussi entre eux et les sociologues ou historiens.

 

Une exigence commune est apparue, la précision lexicale : vivre ensemble ne prend de sens fort que lorsqu’il s’agit de vouloir vivre ensemble ; le perfectionnisme n’est pas le méliorisme ; la notion de spiritualité est une référence trop floue. Quelques notions-clés  sont interrogées avec insistance : l’individualisme contemporain et la nécessité de faire lien  dans ce contexte individualiste, le lien, par delà la famille et les amis,  avec autrui et/ou avec ce qu'on a en commun, l'ouverture à l’altérité et la nécessité de favoriser l'accès au symbolique.

D’accord sur des éléments du diagnostic, les intervenants se sont  retrouvés  sur certains remèdes : il ne s’agit pas de revenir à la morale de Jules Ferry quelles qu’aient été ses mérites, ni d’introduire une morale substantielle mais de favoriser l’étude critique de cas, y compris de cas de conscience dans une éthique du débat organisé, construit, évalué : des pratiques servent ici de références, celles des TPE et de l’ECJS auxquelles plusieurs se sont référés. Mais d’autres propositions ont été faites de modules de deux heures en lettres-histoire par exemple…

 

Des prolongements possibles...

 

Oser un enseignement de la fraternité

 

Ces points d’accord sont certes très encourageants. L'accent mis sur l’acquisition de l'esprit critique et la discussion est quand même plus adapté au lycée qu'au collège et surtout qu'à l'enseignent primaire.  La culture des débats suppose une adhésion antérieure aux valeurs qu'ils sont censés inculquer et déjà une certaine forme de maturité.

 Comment ne pas tenir compte des spécificités individuelles des élèves alors même que notre époque est celle du triomphe de l’individualisme ? Ne craignons pas d’assumer une légitime posture d’autorité pour lutter efficacement contre tous les fondamentalismes. Toute affirmation prescriptive n’est pas disqualifiée : on a le droit de dire à de jeunes élèves qu’il existe des règles et des lois auxquels tous les citoyens d’un pays ont à  se conformer. 

Sans oublier les potentialités si nombreuses des jeunes élèves - créativité, prise d'initiative, capacité d'organisation d’actions concrètes de solidarité...qui ouvrent des perspectives.

Les élèves ne sont pas des esprits sans corps ! Ils sont pris dans la longue durée de l’histoire, c’est vrai mais ils appartiennent aussi à l’espace d’aujourd’hui, celui d’une certaine école, d’un certain quartier, d’une ville, d’un pays qu’il vaudrait mieux dans un souci d’efficacité pratique chercher à comprendre et à prendre en compte non pour en rester là mais pour pouvoir continuer à progresser ensemble.

Est-il possible d'imaginer des échanges concrets entre ces deux "non-disciplines", l'enseignement laïque de la morale et celui des faits religieux? Par exemple, l'étude d'un tableau comme celui de Bartolomeo Manfredi, Caïn tuant Abel, celui de Tiepolo, Etéocle et Polynice ou celui de Rubens, Réconciliation de Jacob et d'Esaü, peut susciter une réflexion collective sur les conflits fraternels et s'inscrire dans le prolongement d'une étude esthétique rigoureuse.

Enfin, il existe une autre dimension que l'enseignement laïque de la morale devrait s’approprier : plutôt que de ressasser des discours antiracistes qui piétinent, on devrait s’occuper, dans les écoles, des modalités théoriques et pratiques d’un enseignement effectif du troisième terme de la devise républicaine si ambitieux soit-il, celui de fraternité.

 

 

Récolarel

Réseau école laïcité religions

recolarel.over-blog.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 17:36

Du manque de rigueur à l'ouverture:

la grande variété des manuels d'histoire-géographie et d'éducation civique

 

 

Le mercredi 8 juin 2011 de 11h00 à 12h00 à l'initiative du Réseau école laïcité religions (Récolarel), avec le soutien de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) s'est tenue une rencontre-débat sur le thème : LAICITE, RELIGIONS dans les NOUVEAUX MANUELS SCOLAIRES à l'IESR, 14 rue Ernest Cresson, 14ème.

Dans l’auditoire d’une vingtaine de personnes, étaient présents des journalistes et un représentant d'une maison d'édition - trois éditeurs s'étaient par ailleurs excusés.

 

Sont intervenus Alain Merlet, inspecteur honoraire de Lettres classiques de l'académie de Créteil (Récolarel), Jean-Marc Noirot, enseignant d'histoire-géographie dans l'enseignement public (Récolarel) et Anna Van den Kerchove, responsable formation-recherche (IESR).

Déroulement de la rencontre - débat :

Introduction

méthode de travail

thèmes abordés

I. laïcité et religions

II. mondialisation et diversité religieuse

conclusion

débat

 

INTRODUCTION

Cette rencontre est la deuxième de ce type après celle de 2010 consacrée à la présentation des faits religieux dans les nouveaux manuels d'histoire de Cinquième. L'objectif, cette année, est de rendre compte de l'analyse des pages consacrées à la laïcité et aux faits religieux dans les nouveaux manuels d'histoire-géographie et d'Éducation civique de 4ème suite aux nouveaux programmes de collège - voir Bulletin officiel spécial n°6 du 28 août 2008. Ces ouvrages parus chez sept éditeurs - Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Le Livre scolaire, Magnard et Nathan - sont en ce moment dans les mains des enseignants pour être choisis courant juin. Ces manuels concernent environ cinq millions d'élèves, un ouvrage ayant une durée de vie de sept à huit ans.

Le but de cette analyse est d'apprécier la manière dont les manuels tiennent compte des exigences parfois contradictoires entre les connaissances, la pédagogie et les contraintes éditoriales sur des domaines qui concernent les élèves à la fois dans le cadre scolaire mais aussi dans leur vie quotidienne.

Les remarques sont présentées dans un double but : dialoguer avec les auteurs et les éditeurs ; faire connaître nos commentaires aux enseignants avant leur choix d'un manuel.

 

Rappelons que le Réseau école laïcité religions créé en mars 2011 a pour but de lutter contre tous les clichés et amalgames créateurs de fanatismes et communautarismes, de promouvoir la connaissance des différentes cultures et des faits religieux inhérents à ces cultures, de favoriser un "vivre ensemble" dans une société laïque, fraternelle, respectueuse de la dignité de chacun.

 

METHODE DE TRAVAIL

La méthode de lecture utilisée s'inspire surtout de l'idée exprimée par Régis Debray dans son rapport sur l'enseignement du fait religieux de février 2002. Il y écrit, à la page 30 : "Les religions ont une histoire, mais ne sont pas que de l'histoire. Dire le contexte historique sans la spiritualité qui l'anime, c'est courir le risque de le dévitaliser. Dire, à l'inverse, la sagesse sans le contexte social qui l'a produite, c'est courir le risque de mystifier. Il est parié ici sur une troisième voie, mais qui n'a rien de nouveau dans notre meilleure tradition scolaire, depuis un bon siècle : informer des faits pour en élaborer les significations."

Nous lisons également les manuels en analysant leur degré de cohérence avec, d'une part, les programmes et, d'autre part, le projet éducatif du ministère appelé "socle commun de connaissances et de compétences". Parmi les objectifs éducatifs, trois retiennent particulièrement notre attention : développer la culture humaniste, développer les compétences sociales et civiques, enfin, développer l'autonomie et l'esprit d'initiative.

 

Les thèmes présentés

Vu le temps imparti à la rencontre et afin de laisser de la place au débat, deux thèmes seulement ont été retenus :

1) Comment la laïcité est-elle abordée en histoire - en relation avec la partie III sur le XIXe siècle et plus particulièrement le thème 2 sur l'évolution politique de la France, 1815-1914 - et en éducation civique - en relation avec la partie I, sur l'exercice des libertés en France ?

2) Comment les manuels parlent-ils de la diversité religieuse en géographie – en relation avec la partie III du programme qui traite des "Questions sur la mondialisation", et plus particulièrement, avec le thème I, sur la mondialisation et la diversité culturelle ?

 

I. La laïcité et les religions dans les manuels d'histoire et d'éducation civique

1- Manque de rigueur dans les lexiques des manuels d'histoire

Dans les lexiques, les sept manuels donnent huit définitions - deux chez Hachette -, soit de laïcité soit de laïque. Pour ces termes, l'accent est mis dans quatre manuels – Belin, Hachette, Magnard et Nathan – sur l'idée d'indépendance vis-à-vis de la religion. Cette définition ambigüe laisse, pour les élèves, la place à des interprétations parfois erronées, telles que le cliché assimilant laïcité à opposition - voire hostilité - à toute religion. En revanche, Bordas, Hatier, Hachette et Le Livre scolaire évitent une telle confusion en mettant l'accent sur l'idée de séparation entre l'Etat et les Eglises, ce qu'évoque essentiellement la loi de 1905. Mais, ne serait-il pas plus juste de parler d'autonomie réciproque entre l'Etat et les religions, ce qui sous-entend que, d'une part, le gouvernement ne se voit pas dicter ses décisions par les religions et que, d'autre part, des liens subsistent entre responsables politiques et responsables des cultes. Cette définition écarte donc l'idée d'opposition.

 

2- Manque de rigueur dans les lexiques des manuels d'éducation civique

Le manque de rigueur se retrouve aussi dans les lexiques des manuels d’éducation civique où beaucoup de définitions sont absentes ou imprécises.

Cinq remarques peuvent être faites.

- la rareté des définitions concernant le champ laïcité et religions: un manuel n'en présente que trois, alors que le plus "complet" six !

- parmi les définitions présentes, nous écartons le mot "secte" difficile à définir. En revanche, le terme "dérive sectaire", absent des lexiques, devrait y figurer. À signaler, dans le manuel édité par Le Livre scolaire, une très bonne étude sur ce sujet.

- manquent dans les lexiques beaucoup de termes utilisés ailleurs dans les ouvrages tels "dogme", "fanatique", "liberté de culte". Le mot "valeur" est d'un usage fréquent, sans que son contenu ne soit précisé. Un seul manuel, Hatier, l'intègre dans une définition : "la liberté est une des valeurs républicaines (avec l'égalité, la fraternité, le refus de toutes les discriminations)."

- des termes importants pour la compréhension d'un sujet difficile n'apparaissent qu'une fois, et pas dans le même manuel : conviction, pluralisme, prosélytisme.

- certaines définitions sont ambigües et/ou sont à préciser les unes par rapport aux autres. Ainsi les termes "opinion"/ "conviction"/"croyance" ou bien "liberté d'expression"/ "liberté de culte"/ "vie privée".

Le mot "laïcité" n'est pas défini dans le lexique de Belin, Magnard et Nathan. Il est, dans les autres éditions, bien défini, sans les ambigüités repérées dans les manuels d'histoire. Le terme "liberté de conscience" n'est défini que dans quatre manuels sur les sept.

 

3– Abstractions et omission

Indépendamment des lexiques, le contenu des pages d’éducation civique traitant de la laïcité et des faits religieux se signale par une trop grande abstraction et/ou trop d'omissions. Trois commentaires peuvent être faits :

- les auteurs restent souvent loin du quotidien des élèves. Trois manuels seulement - Bordas, Hachette, Magnard - présentent des extraits de règlement intérieur de collège.

- ils ont tendance à présenter les lois d'une façon rigide. Par exemple, si les sept ouvrages citent la loi du 15 mars 2004 sur l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires à l'école, quatre fois sur huit - Hachette la citant deux fois -, le texte est tronqué. Bordas, Hachette, Hatier et Nathan omettent une phrase pourtant essentielle :"la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève."

- enfin, les notions de liberté de conscience et de pluralisme religieux sont insuffisamment mises en valeur. Ainsi, la Convention européenne des Droits de l'Homme de 1950 affirmant la liberté de religion, le droit de changer de religion ou de conviction, de manifester son opinion ou sa conviction, n'est présente que dans trois manuels - Belin, Hachette et Nathan. Et pourtant les élèves ont un réel besoin d'intégrer ces repères pour comprendre bien des faits d'actualité.

 

4- Manque de rigueur dans la présentation et dans la contextualisation

* Concernant les documents textuels, tous les manuels utilisent, à juste titre, des documents relatifs à Jules Ferry - essentiellement la loi du 28 mars 1882 et la lettre de Ferry aux instituteurs - et des extraits de la loi de 1905. Toutefois, dans le détail, on observe de grandes différences qui témoignent d'une certaine désinvolture par rapport aux documents. Certaines coupures, qui souvent ne sont pas signalées, durcissent l’esprit des textes et/ou le dénaturent. Deux exemples peuvent être donnés : excepté Le Livre scolaire, tous les manuels tronquent l’article 2 de la loi de 1905, oubliant" ainsi de mentionner la création des aumôneries. L'extrait d'un article du 2 octobre 1882 paru dans le journal L'Univers est cité différemment dans Bordas et dans Nathan. Si Bordas choisit deux extraits qui rendent bien compte de l'intention de l’auteur, Nathan n’en choisit qu’un, laissant de côté le passage suivant :"Il faut maudire ce jour d'innovation funeste qui livre nos écoles, nos enfants à l'expérience d'un enseignement contraire à la tradition française, contraire à la religion nationale." ; l’oubli de ce passage ne permet pas de saisir l'opposition virulente de l'auteur catholique et monarchiste de l'article aux lois Ferry. La mise en page de la citation chez Nathan laisse supposer que la coupure est liée à une contrainte éditoriale. Faut-il privilégier cette dernière au sens ?

* Concernant les documents iconographiques, nous donnerons un seul exemple, la première du journal républicain anticlérical Lanterne, présent dans trois manuels - Belin, Bordas et Hatier. Si Bordas, p 164, ne donne aucune contextualisation et ne tire aucun profit pédagogique du document, Belin, p 132, présente au contraire le document avec une légende très pertinente : "Un homme d'Eglise, sous les traits d'une chauve-souris, couvre de son ombre menaçante Pars, la "ville lumière". Il est accroché à la basilique du Sacré-Cœur construite sur la colline de Montmartre après la Commune de Paris pour effacer le souvenir de cette dernière." Ainsi les élèves pourront répondre à la question qui permet de comprendre l'image : "Relevez deux éléments montrant que cette image est anticléricale."

* Concernant le texte des auteurs de manuel proprement dit, les liens entre les lois Ferry et la loi de 1905 sont insuffisamment faits. Les relations étroites entre les catholiques et les monarchistes ainsi que leur évolution ne sont pas spécifiquement abordées dans ces pages. Alors que l’enjeu social et politique des débats sur l’école n’est pas suffisamment mis en avant., les causes du conflit autour de ces lois sont présentées par la plupart des auteurs comme le fait d'un catholicisme intrinsèquement intolérant. Est tout aussi gênant l'absence de référence au Concordat de 1801, essai d'inféodation du catholicisme - comme des autres religions - au pouvoir politique par Napoléon, pour une bonne compréhension de cette période, sauf une allusion chez Bordas et Nathan. L'idée d'un processus long pour la mise en place de la laïcité française n'est pas assez bien montrée.

En conclusion de cette partie, citons l'extrait d'un texte évoquant la laïcité en France aujourd'hui, un siècle après la loi de 1905, tiré de Des religions et des hommes de Jean Delumeau, 1997, choix heureux fait par Bordas (p 165) : "En France, désormais, tolérance et laïcité sont liées..Aujourd'hui...laïcité signifie, certes, que la religion ne doit pas chercher à contrôler l'Etat et que le choix d'une religion ou d'une non-religion est libre, mais aussi que l'Etat doit permettre aux religions de poursuivre leurs activités et ne doit pas les brimer...La laïcité permet donc la liberté de croyance et le "vivre ensemble". Elle fait en sorte qu'autrui soit accepté dans sa différence."

 

II . Mondialisation et diversité religieuse

* En relation avec la partie III, "questions de mondialisation", plus particulièrement avec le thème 1, "la mondialisation et la diversité culturelle", et conformément au programme, tous les manuels présentent une carte des aires religieuses. Cependant, Ils se différencient fortement quant au contenu des autres documents et du cours.

 

1- "Aire religieuse", une notion ambigüe.

Un problème s'est posé aux auteurs, problème lié au libellé du programme. Qu'entend-on par "aire religieuse"? La lecture des légendes des cartes comme le contenu du cours font surgir de nombreuses questions : à quoi renvoient les idées de "religion majoritaire" et "religion dominante", les notions de croyants, de pratiquants et d'appartenance on non à une religion ? Les manuels ne définissent pas ces termes, pourtant problématiques.

* Les cartes illustrent ce malaise. Si on suppose résolue la question de la religion majoritaire, l'impact de celle-ci n'est pas le même selon les régions. Aucune différence n'est faite, par exemple, entre un pays fortement sécularisé et un qui ne l'est pas. Entre la France et l'Egypte, tous deux ayant une religion majoritaire, l'impact social et culturel est-il comparable ? Qu'en est-il des pays où toute religion est interdite, où une seule est autorisée, où une religion est officielle ? Seul Le Livre scolaire évoque la difficulté de cartographier les aires religieuses.

Hachette est le seul à proposer une carte des athées et agnostiques (p 347) où curieusement le Viêt-Nam apparait comme champion de l'athéisme et de l'agnosticisme!

Ces cartes sont problématiques, car elles sont le plus souvent statiques. Hatier propose toutefois un élément dynamique en notant les lieux d'accroissement de la diversité religieuse, tandis que Nathan propose deux autres cartes, l'une du christianisme dans le monde, l'autre de l'islam, montrant ainsi les extensions respectives au-delà de leurs aires d'origine.

* Néanmoins, c'est surtout avec les autres documents que l'aspect évolutif et même prévisionniste apparaît, en particulier chez Belin, Bordas, Magnard et Nathan. Des documents montrent la diversité interne aux pays. Il faut souligner aussi le choix de textes ou photos contribuant à casser des idées préconçues. Ainsi, chez Bordas, un texte souligne le nombre croissant de musulmans au Brésil ou, chez Nathan, une photo d'une mosquée en Chine.

 

2- Diversité religieuse et les défis qu’elle pose

*La qualité du contenu des textes d'auteurs est fort variable. Tous les manuels utilisent les notions de civilisation, de culture, d'identité et de valeurs. Rares sont ceux qui les définissent : le mot "culture" est défini chez Belin et Magnard, seul Belin définit "civilisation". Les manuels mettent l'accent sur la diversité religieuse mais avec plus ou moins de précision. Le Livre scolaire, à juste titre, appelle à la prudence quant à l'utilisation des données chiffrées. Peu de manuels s'expriment sur les enjeux que représente cette diversité religieuse. Belin montre bien le rôle culturel et social des religions et évoque les cohabitations entre communautés religieuses. Hachette offre deux visions opposées de la diversité religieuse. Dans une double page (340-341) titrée "L'île de La Réunion, un exemple de diversité religieuse", l'auteur donne à voir "une société plurielle et multiculturelle" où, depuis l'an 2000, un groupe de dialogue interreligieux permet "un dialogue régulier entre les responsables des différentes religions présentes sur l'île" et un règlement de tensions subsistant entre ceux qui refusent une uniformisation culturelle et religieuse et les autres. Pourtant, sans lien aucun avec cette "étude de cas", la diversité religieuse devient source... de terrorisme. À la page 346 de ce manuel, on peut lire en effet :

" Cette diversité doit affronter des défis dans lesquels la résistance à la mondialisation joue parfois un rôle. En effet, certaines régions sont toujours le centre d'affrontements religieux, qui font des victimes, séparent des Etats et détruisent leurs économies. Le terrorisme d'une petite minorité islamiste notamment bouleverse les équilibres planétaires et fait peser des menaces..."

Qu'en conclure ? Que la diversité religieuse est une menace ? Que les religions sont une menace ? Et pour qui ? N'est-il pas fait, dans ce texte, l'amalgame entre islam et islamisme, islam et terrorisme ? Le postulat religion = conflits est encore pointé dans le questionnement du document 4, à la page suivante. Ce dernier est une photo titrée : " Jérusalem, lieu de rencontre de trois religions". Les élèves devraient avoir quelques difficultés à répondre à deux questions seulement, dont la seconde est pour le moins ambigüe :"Pourquoi peut-on dire que ce lieu symbolise la diversité religieuse ?" et" Quelles tensions cela peut-il engendrer ?"

Dans l'ensemble, les manuels n'abordent pas vraiment la question, certes délicate, des rapports entre le religieux, le culturel, le politique et l'économique à l'échelle nationale, régionale ou mondiale. Sur ce point, les objectifs du "socle commun" - comprendre l'unité et la diversité du monde par une première approche du fait religieux en France, en Europe et dans le monde... dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions" - ne sont pas atteints.

 

Conclusion

En ce qui concerne la présentation de la laïcité et des religions dans les pages étudiées, nous constatons un essai d'ouverture mais aussi, et surtout, un manque de rigueur et un traitement plus ou moins superficiel et frileux de ces thèmes.

Quatre remarques peuvent être faites. Leur but est d'alerter les enseignants pour un meilleur accompagnement des élèves et d'inviter les auteurs de manuels à une meilleure vigilance sur ces sujets.

La première remarque concerne les définitions soit manquantes soit au contenu imprécis.

La deuxième porte sur les documents. Certains ne sont pas respectés quand ils sont tronqués sans indication. D'autres sont insuffisamment mis en valeur par un questionnement qui en dégage le sens. La construction d'une argumentation en sera d'autant plus difficile.

La troisième concerne la contextualisation souvent insuffisante au niveau d'un chapitre, entre les chapitres ou en référence aux années précédentes. Un contenu haché ne permet pas une compréhension véritable des phénomènes dans la longue durée.

La quatrième et dernière remarque porte sur la nécessité d'établir, sur ces thèmes, des liens entre les trois disciplines, l'histoire, la géographie et l'éducation civique et, au-delà, avec le Français, les langues, les arts plastiques.

Nous sommes conscients des nombreuses contraintes liées à la confection des manuels dont nous citons de nombreux exemples positifs et souhaitons contribuer -pour une modeste part - à l'amélioration de leur contenu.

Enfin est-il besoin de souligner, une fois de plus, le rôle indispensable de l'enseignant pour une bonne appropriation des contenus par les élèves et le développement de leur autonomie de pensée.

 

Débat

Question : la laïcité est-elle abordée pour la première fois en 4ème?

R : Elle est présente dans le programme d'éducation civique de 6ème, mais souvent occultée faute de temps. La 4ème est la classe-charnière pour ce thème.

R : (d'un enseignant d'histoire en lycée) la laïcité est un sujet très peu présent dans les programmes d'histoire des lycées. Les faits religieux apparaissent peu avec la chrétienté médiévale et la religion aux Etats-Unis.

Q : depuis quand la laïcité est présente dans les programmes? Et  combien d'heures pour la traiter?

Réponse : pour ce thème, lois Ferry et loi 1905, trois heures sont nécessaires, ce qui peut être au détriment d'un autre sujet.

Une discussion aborde ensuite les difficultés de cartographier la diversité religieuse : problèmes des sources, de représentation des athées et des agnostiques, questions d'ordre techniques.

Q : quelle formation spécifique ont les enseignants du primaire et du secondaire pour traiter les faits religieux et la laïcité?

R : il existe des plans de formation par académie. Chacune est autonome pour définir ses choix. On ne peut donner une réponse sur un plan national. Par ailleurs, les stages académiques sont sur la base du volontariat. L'IESR a été créé pour assurer aussi de telles formations.

Q : qui définit le contenu de la formation?

R : (d'une personne de la Direction générale de l'enseignement scolaire, DGESCO) il y a un cahier des charges pour la formation des enseignants sur les faits religieux et la laïcité. Les textes "Ressources" font une large place aux faits religieux et inspirent la formation continue. Le ministère a élaboré, en 2004, un document, "le socle commun de connaissances et de compétences" qui permet d'aborder ces thèmes sous un angle interdisciplinaire.

Q : est-ce que Récolarel intervient dans  les écoles?

R : nous centrons aujourd'hui nos activités sur les analyses des manuels scolaires du collège en histoire, géographie, éducation civique et autres disciplines en collaboration avec l'IESR, analyses à consulter sur notre blog : recolarel.over-blog.com

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11 mars 2013 1 11 /03 /mars /2013 15:15

 

Avec la participation de :M. Guy COQ, philosophe, auteur de La laïcité, principe universel, éd. Le Félin, 2005 et récemment de La Foi épreuve de la vie, éd. Parole et Silence, et de M. Philippe PORTIER, professeur de Sciences politiques, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, où il occupe la chaire « Histoire et sociologie des laïcités ». Soirée animée par François Boëdec, jésuite.

François Boëdec introduit le thème de la conférence, donne quelques définitions de laïcité et rappelle brièvement les contextes politiques qui ont vu l'évolution de cette dernière. La première définition a été proposée par Fernand Buisson en 1887, dans son Dictionnaire de la pédagogie. La laïcité est pour lui: " la sécularisation des institutions politiques d'un Etat." La définition s'est ensuite élargie. Pour Jean Baubérot, c'est, à la fois, "un règlement juridique" et "un art de vivre". Jusqu'au début du XXème, l'idée de laïcité représentait la volonté de réduire l'influence de l'Eglise catholique sur les institutions. Peu à peu, les relations se sont apaisées entre l'Eglise catholique, les chrétiens et la République.

Le principe de laïcité a été précisé par plusieurs textes dont le principal a été la Loi de 1905. Celle-ci stipule indépendance et neutralité de l' Etat par rapport aux religions, liberté de conscience et donc de religion, libre exercice des cultes. Pour François Boëdec, la laïcité à la française ne devrait pas signifier l'ignorance des religions, la méconnaissance de l'apport de celles-ci à la société. la laïcité est un cadre qui doit permettre à tous, croyants ou incroyants, de vivre ensemble. Ces dernières années, le contexte sociopolitique a évolué et se caractérise par une sécularisation massive, l'installation de l'islam dans la société française, le souci des chrétiens que leurs paroles puissent être entendues dans le débat des idées et, peut-être, un certain anticléricalisme prêt à resurgir. Ces éléments qui ne sont pas les seuls ont conduit à voir le modèle de laïcité à la française chahuté et remis en cause. Certains veulent voir ce principe réaffirmé avec force, d'autres le voir évolué, chacun ayant sa propre conception de la laïcité.

Pour François Boëdec, alors que le président de la République, François Hollande, a annoncé pour 2013 la création d'un Observatoire national de la laïcité, il est opportun de poser la question: Où en est aujourd'hui la laïcité à la française ?

 

Philippe Portier répond à cette vaste question en commençant par un nécessaire détour historique qui permet de comprendre comment le système de laïcité s'est installé en France. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le monarque, institué lui-même par la Providence, devait rassembler les populations autour d'une même norme, la loi de Dieu. La civilisation moderne est marquée par le principe de séparation du religieux et du politique. A celui-ci s'ajoute un second, non négligeable, celui de la liberté de conscience. On entre alors dans l'époque de la laïcité. Il s'agit de saisir la société dans toute sa pluralité.

Mais, poursuit Ph. Portier, les réalités juridiques de l'Europe se sont construites diversement. Deux modes d'accession à la citoyenneté laïque peuvent être repérées. La première est celle du Nord de l'Europe, dite de confessionnalité où l'Etat tout en gardant sa propre souveraineté affirme l'idée qu'une religion parmi d'autres - exemple, la religion de Luther dans les Pays scandinaves ou celle de l'Angleterre- doit être protégée, éventuellement encouragée par l'Etat. La seconde est celle de l'Europe intermédiaire ou du sud, dite de séparation avec deux variantes: un modèle de séparation souple comme en Allemagne ou en Belgique; un modèle strict, voire rigide, qui se caractérise par l'absence de toute reconnaissance positive accordée à quelque culte que ce soit; c'est celui de la France.

Pour Ph. Portier, la France est marquée par une conflictualité plus grande que dans les autres pays européens mais aussi par une conception très rectrice de l'Etat chargé dans le cadre républicain de transmettre une sorte de foi laïque. La question de l'évolution de la laïcité à la française s'ouvre sur deux thèses: la première est celle de la permanence du modèle marqué par une culture d'affrontement, la seconde celle d'une évolution de l'articulation entre Eglises et Etat dans le sens d'une plus grande prise en compte de la dimension religieuse de nos existences."

Ph. Portier défend cette dernière et en trace l'histoire caractérisée par trois grands moments.

 

Tout d'abord, de 1880 aux années 1960, une laïcité de séparation permet à l'Etat de réaffirmer les principes d'égalité - l'agnosticisme et l'athéisme n'ayant pas moins de place que toute religion - et de liberté, en particulier de conscience, au moment où l'Eglise catholique avec le Syllabus (1864)manifestait une position intransigeante et hostile aux idées "de progrès, de liberté, de civilisation moderne." Face à une Eglise catholique toujours forte, l'Etat républicain se fera moral et enseignant avec de dispositifs juridiques permettant la séparation de l'Eglise catholique et de l'école vers 1880 et celle des Eglises et de l'Etat en 1905. Cette loi repose sur deux principes:

- le premier, et non des moindres, celui de l'indépendance des Eglises qui crée, de fait, les conditions d'une pacification des esprits et des comportements. L'Eglise catholique gagne un certain nombre de prérogatives comme la liberté de conscience, la liberté de culte et la reconnaissance de son dispositif hiérarchique d'organisation.

- le second, celui de la privatisation, donc perte des subventions accordées avec lesquelles l'Eglise catholique vivait.

"C'est souvent encore, à partir de ce modèle, précise Philippe Portier, que nous envisageons la laïcité à la française."

 

Ensuite, à partir des années 1960-1970, la laïcité se mue en une laïcité de reconnaissance. La société a profondément changé. Le droit va s'en ressentir. L'Eglise a elle-même beaucoup évolué: déjà avec la condamnation de l'Action Française, mais surtout avec le concile Vatican II (1962-1965) et l'acceptation des principes de la philosophie moderne dont la liberté de conscience. De même, la société va évolué dans sa conception de l'égalité avec un accent mis sur l'individualisme, la primauté de la subjectivité, le respect des différences. Une autre conception de l'Etat républicain se fait jour. Celui-ci fort et pyramidal au XIXe siècle devient plus négociateur, régulateur; il s'ouvre beaucoup plus aux forces de la société civile auxquelles il donne des potentialités d'intégration et de signification nouvelles ou renouvelées. La transformation des imaginaires politiques va engendrer une autre conception de la laïcité beaucoup plus ouverte à l'aspect religieux de l'existence des Français. D'abord, une évolution de l'articulation entre Ecole et Etat apparaît, en particulier sur deux points: le premier, une série de lois favorables à l'enseignement privé: lois Debré (1959), Guermeur (1977), Rocard (1984), Carle (2007); le second, à partir de 1990, l'introduction de l'enseignement des faits religieux qui est, précise Ph Portier, "pensé non seulement à partir de la valence académique mais aussi à partir de la valence sociale susceptible d'accroître les tolérances dans une société marquée désormais par le pluralisme religieux." Ensuite, une évolution conséquente du rapport Eglises - Etat voit le jour. Deux exemples: le premier concerne le financement avec le droit fiscal - article 200 du Code des impôts ; le second, plus signifiant, concerne la création en 1983 du Comité consultatif national d'éthique face au déraillement possible de la science. François Mitterrand y souhaite la présence de représentants des forces religieuses et convictionnelles car il s'agit d'articuler la logique du nombre avec la logique de la sagesse. Ces forces, à partir d'un principe de gratuité, sont susceptibles d'alimenter le débat public.

 

Enfin, à partir des années 2000, la laïcité, selon Ph Portier, évolue vers une laïcité d'intégration. La société est marquée par une double transformation: celle de son champ religieux avec la montée en puissance d'un islam visible; celle de son champ politique avec le retour de deux forces oubliées: un néo-populisme et un néo-républicanisme qui, ensemble, ont profondément modifié la façon d'envisager la laïcité.

S'il n'y a pas de remise en cause des équilibres trouvés dans les années 1960-1970, se mettent en place une série de textes juridiques signifiant une nouvelle surveillance des cultes sur un mode "néo-gallican": exemple, la loi de 2004 concernant les signes religieux dans l'espace scolaire public ou celle de 2011 sur la dissimulation du visage dans l'espace public dont la définition a été modifiée. A côté des interdits se mettent en place de nouvelles prescriptions autour de l'invention - ou de la réinvention - de cours de morale laïque qui ne visent pas à se substituer aux valeurs religieuses, comme le précise Vincent Peillon, et qui "permettent  au vivre-ensemble de se réassurer".

"Ce modèle de laïcité d'intégration, conclut Ph Portier, n'est pas une spécificité française. Il caractérise aussi de nombreux Etats européens."

 

Guy Coq situe son intervention à partir des débats contemporains et autour des fondamentaux de la loi de 1905. Faut-il relativiser cette dernière ou la constitutionaliser? Le débat porte d'abord sur un premier point, la question du financement des cultes, et plus particulièrement sur les articles 2 et 19 de la loi de 1905. L'article 2 stipule: " La République ne reconnaît, ni ne salarie, ni ne subventionne aucun culte..." Mais, dès le vote, celle-ci fait un cadeau formidable à l'Eglise catholique en finançant l'entretien des lieux de cultes dont elle avait perdu la propriété en 1789. D'où l'étrangeté de cette loi que certains voient comme antireligieuse et qui est d'une grande ouverture historique. D'autres mesures suivront  comme la garantie par les départements et les communes des emprunts que nécessite la construction d'édifices liés au culte, ou l'octroi par la commune de baux emphytéotiques correspondant à un loyer symbolique pour un terrain destiné à un bâtiment cultuel. Dans la période récente, la troisième période décrite par Ph Portier, la jurisprudence joue avec la frontière du cultuel et du culturel. En juillet 2011, le Conseil d'Etat produit des arrêts qui valident le financement d'un orgue par une commune "pour des raisons culturelles" ainsi que la construction d'un abattoir pour la fête musulmane de l'Aïd "pour des raisons d'hygiène." Cette jurisprudence souple est conforme aux souhaits de Jaurès et Briand.

Après la question du financement des cultes, Guy Coq aborde un deuxième point, celui de l'école républicaine née avec sa morale laïque et sa fonction politique d'installer la République contre l'autre France antirépublicaine et catholique. La société évoluant vers plus d'individualisme dans les années 1970 et après ébranle les institutions. C'est une période de désinstitutionalisation de l'école: perte du respect de l'autorité, interventionnisme de l'opinion publique mettant en cause enseignants et institution, problèmes sociaux et inégalités scolaires. C'est dans ce contexte qu'à la fin des années 80 éclate l'affaire des voiles islamiques dans l'école. En effet, par ce moyen, l'islam interpelle la laïcité scolaire à un moment où, aux yeux des les autorités elles-mêmes, celle-ci n'est plus une évidence. Du coup, au lieu de fixer d'emblée une position claire - comme l'aurait fait Jean Zay au temps du Front populaire -, le Ministre de l'Education nationale socialiste laisse dans le flou les contraintes et les conditions de la laïcité scolaire. Il méconnait que si l'école est publique, elle n'est pas l'espace public de la rue, et que, comme institution, elle pratique une laïcité de discrétion sur les signes religieux. Il faudra attendre 2004 pour que la loi sur les signes religieux ostentatoires précise les limites. Depuis lors, cette loi est appliquée, respectée par tous. Toutefois, dans "les territoires perdus de la République", l'école a des difficultés à faire respecter les idées républicaines et la laïcité.

Dans les années 1980, le gouvernement socialiste et en particulier la Ligue de l'enseignement trouvent qu'il n'est pas normal que les jeunes ignorent les religions. Des rapports comme ceux de Philippe Joutard en 1990 et de Régis Debray en 2002 ont suivi. "Mais si des choses se font, elles sont largement insuffisantes. C'est malheureusement un problème que je trouve abandonné.": constate amèrement Guy Coq. L'enseignement des faits religieux est pris en compte très inégalement suivant les disciples: assez bien pour l'histoire, médiocre côté enseignement littéraire et formation des enseignants.

Depuis cinq ans, la Ligue de l'enseignement et Confrontations, un groupe d'intellectuels chrétiens dont  Guy Coq fait partie estiment que parler des valeurs de la République, des valeurs communes était insuffisant et qu'il serait bon qu'une culture éthique se développe à l'intérieur de l'école, sans revenir à Jules Ferry dont l'éducation morale destinée aux enfants était bien supérieure à ce qui en est pensé communément. L'actuel ministre de l'Education s'est emparé de cette question. Le précédent avait d'ailleurs initié une circulaire sur la morale à l'école. Mais, pour Guy Coq, une question immense demeure. Il la formule de la manière suivante: " Si l'école doit transmettre une morale, il faut qu'elle sache quelle société elle transmet. Et si la société ne sait plus ce qu'elle est, que peut faire l'école?!"

Le troisième point de Guy Coq concerne les religions dans la laïcité. Selon lui, le problème pour l'Eglise catholique, à l'heure de "la sortie de la religion" (Marcel Gauchet), est le suivant : ayant abandonné tout désir de pouvoir et de domination sur la société, quelle inscription nouvelle dans une société démocratique  alors imaginer? Guy Coq reprend des idées d'auteurs "non suspects de trop fréquenter les bénitiers", Marcel Gauchet et Jürgen Habermas. Dans notre société où la question des fins ultimes ne peut recevoir que des réponses individuelles, les religions retrouvent un statut éminent pour proposer du sens et sont indispensables. Cette légitimité n'est possible que dans un cadre sécularisé. "Il est requis du point de vue laïque que l'on puisse être religieux...C'est une possibilité que l'athéisme lui-même se doit d'intégrer" (1). Les fins dernières ne se déterminent pas au niveau commun, il faut reconnaître l'existence des choix collectifs. Les institutions religieuses sont légitimes "pour se faire entendre dans l'élaboration des choix collectifs et d'y peser" (2) à condition qu'elles reconnaissent les implications de l'exigence pluraliste. Si elles veulent être entendues, il importe qu'elles sachent traduire leurs propositions inspirées de la foi dans un langage non religieux.

Autre point, l'islam. Guy Coq constate un "hiatus" qui fait problème. Alors que des chiffres d'enquêtes récentes montrent que les musulmans à 42% se disent français avant d'être musulmans - chiffre beaucoup plus élevé que chez nos voisins allemands ou anglais -, l'opinion publique française estime à 72% que l'islam n'est pas compatible avec les valeurs de la société française. Le temps pressant, Guy Coq passe à son dernier point.

 

"Y a-t-il des limites à la sécularisation?": questionne-t-il. D'abord, une différence est à faire entre sécularisation et laïcité. La laïcité rassemble surtout des principes de droit alors que la sécularisation est un mouvement multiséculaire de recul de l'influence des religions dans les sociétés. Pourrait-on dire alors que les religions ne sont plus nécessaires? La "sortie de la religion" implique-t-elle à terme l'effacement dans la civilisation de toute trace de religion? La notion de christianisme culturel est-elle contradictoire avec la laïcité? (3). Guy Coq avance deux idées:

- la première : une mémoire de l'histoire religieuse de la France est absolument nécessaire pour garder l'intelligence de notre héritage culturel, comprendre notre passé commun.

- la seconde : pour la situation actuelle, beaucoup d'éléments de la culture commune porte des traces de la culture traditionnelle, mais des traces sécularisées. La structuration des mémoires passe par ces traces et "Noël appartient à tout le monde!" Les éléments signifiants d'une civilisation peuvent accueillir plusieurs niveaux de signification. La recherche systématique d'un effacement des traces religieuses est-t-elle légitime?

Un article de Yolaine Dials Rochevieux, paru dans la revue Hommes et Migrations (4) pose clairement le problème:" Or toute société a son histoire et personne ne peut envisager d'y renoncer ou même d'en élaguer certains épisodes - même quand ils sont négatifs - sous prétexte de diversité culturelle et religieuse." Du coup, cet auteur rejette l'idée de l'instauration d'un jour férié dédié à chaque religion: juive, musulmane, etc... Car cela "reviendrait en fait à redonner au calendrier issu de la chrétienté un caractère sacré, à inverser le processus de sécularisation."

Guy Coq cite ensuite le Grand rabbin de France, Gilles Bernheim : " La sphère publique a été façonnée par l'histoire politique, culturelle et religieuse de chaque pays. Cela ne peut être gommé au nom d'un universalisme..." et Guy Coq poursuit : " 2000 ans d'influence d'un culte sur une société, ça pèse! 1300 ans d'influence de l'islam en Afrique du Nord, ça pèse et pèsera de toutes façons! Gilles Bernheim cite la réflexion de Jean Rivero, grand juriste, spécialiste de la laïcité: "Les moeurs, même coupées de leur racines religieuses, ont prévalu sur la logique intégrale de la séparation. Par là s'explique aussi le fait qu'en dépit de l'égalité de principe entre toutes les religions, l'Etat entretienne avec les cultes traditionnels des rapports plus suivis qu'avec les cultes nouveaux..." ". Guy Coq  conclut par une citation de Julia Kristeva : " Le génie du christianisme a introduit et continue de diffuser des innovations dont nous n'avons pas fini de mesurer la portée révélatrice et en un sens révolutionnaire que les chrétiens eux-mêmes ne se risquent ni à reconnaître ni à faire reconnaître comme différence chrétienne."(5)

 

François Boëdec ouvre le débat, prend questions et réflexions venant de la salle.

 

- Sur l'article 200 du Code fiscal et laïcité, Philippe Portier précise que celui-ci permet indirectement le financement des cultes en détournant ce que la loi de 1905 pouvait avoir de rigide et ouvre droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant les sommes prises dans la limite de 20 % du revenu imposable qui correspondent à des dons et versements.

- Sur l'Eglise catholique et la laïcité, il retrace son évolution, tout à fait notable, en partant de trois dates: d'abord, 1905: affolement de l'Eglise car cette loi de séparation des Eglises et de l'Etat remet en cause la royauté sociale de Dieu. S'en suit une période de résistance à la laïcité française qui, elle-même, comporte de nombreuses traces d'anticléricalisme. Puis, 1945: l'Eglise accepte de considérer qu'en pratique le principe de laïcité est acceptable dès lors qu'il ne s'identifie pas à un principe positiviste et anticlérical. Enfin, le concile Vatican II admet désormais la thèse de l'Etat démocratique. La laïcité devient pour l'Eglise catholique une possibilité. Mais cette dernière ne souhaite pas la fin du régime concordataire mosellan-alsacien. Guy Coq apporte un complément en évoquant la déclaration des évêques de France de 1945 qui oppose la laïcité - qu'elle reconnait - au laïcisme qui est une posture de lutte contre les religions. Ce grand texte périme périme la déclaration de 1925 qui dénonçait la laïcité comme illégitime et "procédant de l'athéisme." en 1945, les évêques écrivent que si par laïcité de l'Etat "on entend proclamer la souveraine autonomie de l'Etat dans son domaine propre de l'ordre du temporel...nous déclarons cette doctrine conforme à la doctrine de l'Eglise."

Guy Coq rappelle que, dans un article quasi-historique de la revue Esprit, en 1949, deux intellectuels catholiques, André Latreille et Joseph Vialatoux, précisent que : " La laïcité exprime juridiquement les conditions de la liberté de l'acte de foi." Ceux-ci récusent la vieille distinction entre la thèse et l'hypothèse selon laquelle la laïcité serait tolérée pour l'instant en attendant que redevienne possible un Etat chrétien. " C'est supposer que le catholique ne veut pas pleinement cette laïcité et toujours qu'il la tolère en attendant le jour où il pourra la supprimer, au nom de sa religion. Il faut dire qu'une authentique laïcit é est désirée et voulue par le christianisme, et pour les avantages qu'entire la vie humaine de civilisation, et pour les avantages qu'en tire la vie de foi."

Au moment du centenaire de la laïcité en 2005, une lettre du pape Jean-Paul II aux évêques de France dit clairement : " Le principe de laïcité auquel votre pays est très attaché, s'il est bien compris, appartient aussi à la doctrine sociale de l'Eglise. Il rappelle la nécessité d'une juste séparation des pouvoirs..." Et les évêques de France reprennent une position établie dès 2003 et selon laquelle ils ne sont aucunement demandeurs d'une révision ou d'un changement de la loi de 1905 : " On en est venu à la considérer comme l'expression d'un équilibre satisfaisant des relations entre l'Etat et les organisations religieuses; elle a acquis par là une valeur symbolique certaine. En conséquence, il nous semble sage de ne pas toucher à cet équilibre par lequel a été rendu possible en notre pays l'apaisement d'aujourd'hui."

- Sur l'islam en France, les pays musulmans et la laïcité, Guy Coq parle de l'"énorme difficulté" de cette question en France car l'opinion est "très stressée" sur la question de la construction de mosquées, les maires redoutant souvent leur électorat. Au plan international, "il y a urgence à la laïcité!" : insiste-t-il et précise que le terme laïcité est beaucoup plus adéquat que celui de secularisation utilisé par les Anglo-saxons. Pour lui, "un certain nombre de pays musulmans ne sortiront pas de leur malheur sans passer par une forme de laïcité où l'Etat 'souverain dans son ordre' sera autonome par rapport à la religion". Il y a urgence à sortir de la confusion, matrice de l'islamisme et, éventuellement, des Etats terroristes.

Philippe Portier complète ce propos en pointant que ces sociétés - Tunisie, Egypte, Syrie...- se sont construites dans les années 1950-1960 sur des modèles de laïcité autoritaires où les gouvernements fonctionnaient en prédateurs de la richesse nationale. "D'où une rétractation sur le religieux dont on a vu les effets lors des printemps arabes et l'arrivée au pouvoir de gouvernements qui ne répondent pas à nos critères de laïcité. Mais, ces sociétés sont des sociétés beaucoup plus sécularisées qu'on ne le croit. Elles se servent du religieux plus comme une ressource que comme un fondement et peuvent remettre en cause les régimes politiques mis en place lors des Printemps arabes."

- Sur la mondialisation et la laïcité, "s'il peut y avoir tentatives de remises en cause de la laïcité, c'est aux gouvernements de chaque pays d'être vigilants et d'être même exportateur du principe de laïcité qui est aspect de la démocratie. La laïcité et la démocratie vont ensemble! Dans un pays où il n'y a pas de liberté de croyance, où la religion prend le pas sur l'Etat, il ne peut y avoir de démocratie!": insiste encore Guy Coq.

- " La poussée de l'islam peut-elle remettre en cause la laïcité d'intégration ?" A cette question, Philippe Portier répond en choisissant d'inverser les termes de celle-ci. Pour lui, il y a eu laïcité d'intégration parce qu'il y a eu poussée de l'islam. La phase qui courre de 1970 à 1990 était marquée par une reconnaissance du caractère multiculturel de la société française. En 1989, un avis du Conseil d'Etat suivi d'une décision de Lionel Jospin admet le port de signes religieux à l'école. Dans les années 1990, l'islam s'affirme, en France, plus identitaire et, sur la scène internationale, plus dangereux voire terroriste. La laïcité est amenée à changer son modèle de fonctionnement tout à la fois en restant ouverte mais, en même temps, en accroissant le contrôle de l'Etat sur la diffusion d'idées "qui peuvent apparaître immaîtrisables". "La laïcité d'intégration est, pour Philippe Portier, une réponse à une angoisse de l'opinion publique". La société française, mais  aussi européenne, est marquée par l'incertitude de son devenir, par la question de la cohérence de son vivre ensemble, à la fois, marquée par une tendance profondément individualiste et acceptant les reconnaissances dans la mesure où celles-ci ne remettent pas en cause la cohésion sociale.

- Sur l'espace d'entreprise et la laïcité, Philippe Portier indique que celui-ci n'est pas régit par le principe français de la laïcité, qui ne vaut que dans l'espace public d'Etat. Contrairement à ce dernier, l'espace d'entreprise n'interdit pas le port de signes religieux.

Lors de grandes grèves, début des années 1980, au sein d'entreprises d'Etat comme Renault, des salles de prières ont été ouvertes pour les musulmans qui le souhaitaient.

- Sur l'apport possible des ressources de sagesse et d'éthique des religions à la laïcité, Guy Coq répond que cette question concerne en fait tout l'arrière-plan de son intervention. Pour lui, les chrétiens doivent être les partenaires de l'enrichissement de l'enseignement sur les religions dans les écoles et les lieux de formation. A la suite du Rapport Debray, l'Institut européen en sciences des religions a été créé mais n'a jamais eu de réels moyens pour cette recherche et formation. La société française a vu longtemps l'Eglise catholique refuser la sécularisation. "Celle-ci, poursuit cet intervenant, a maintenant à 'se rendre aimable', selon l'expression de Mgr Rouet (6), et les catholiques dont le nombre diminue - mais est-ce le plus important! - , ont peut-être à retrouver le degré d'intensité spirituelle des premiers chrétiens!". Philippe Portier, en complément, cite Johannes Rau, Président de la République allemande (1999-2002): "Il fallait que l'Allemagne se différencie, à la fois, du système de confessionnalité scandinave et du système laïciste français. L'Allemagne est un système de sécularité ouvert à l'apport civilisationnel des religions." et conclut par une question: "Y a-t-il une si grande différence avec ce qui est advenu à la France ces dernières années?"

- "La laïcité nouveau dogme moderne?": Pour Philippe Portier, cette tentation est apparue dès l'origine avec Emile Combes, et d’autres avant lui, qui souhaitait ériger la laïcité en nouvelle religion et éradiquer la religion catholique et sa gouvernance sur les esprits. Mais ce n'est pas ce courant qui l'a emporté en 1905. Ce dernier a fait reposer son analyse de la laïcité sur une idée de liberté de conscience ménageant des espaces de développement aux Eglises et refusant d'accepter l'idée d'une religion de type rousseauiste. Selon Philippe Portier, cette tentation peut resurgir mais reste minoritaire dans le courant laïque. Aujourd'hui, le discours de communication des responsables politiques a évolué dans le sens d'une ouverture plus grande aux apports de sagesse, de ressources de signification et de liens, propres aux religions historiques: cf. les discours de F. Mitterrand, L. Jospin, N. Sarkozy ou, mais avec beaucoup plus de réticences, de F. Hollande. Ce dernier, dans ses voeux de début d'année, promettait cependant qu'il aura "une écoute pleine et attentive des forces religieuses dans les débats à venir." Philippe Portier, s'inspirant de la pensée de Jürgen Habermas, voit comme conséquence à la mondialisation le bouleversement des structures d'intégration sociales ordinaires, en particulier, la délibération publique et l'institution étatique. Il est donc nécessaire à ces sociétés en proie à l'incertitude de retrouver un médium d'intégration dans un débat public qui trouverait à se régénérer auprès de ressources de sens, de liberté et de liens propres aux institutions écclésiales à condition qu'elles acceptent - et cela semble le cas, depuis les années 1970, pour l'épiscopat français - de ne plus se croire comme source unique de vérité.

 

(1) Marcel Gauchet, Le monde désenchanté? éd. de l'Atelier. 2004

(2) M. Gauchet, op. cité.

(3) Cette notion a fait l'an passé l'objet d'un colloque de l'OFC ( l'Observatoire Foi et Culture): actes publiés par Parole et Silence, 2012, sous le titre: Vers un christianisme culturel?

(4) n° 1258, déc. 2005.

(5) in Cet incroyable besoin de croire, Bayard, 2007, p. 160.

(6) Dans son dernier ouvrage, L'étonnement de croire, éd. de l'Atelier, janvier 2013, il propose d'"inventer une Eglise de la tendresse".

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La longueur de ce compte-rendu, relu et amendé par les intervenants, est directement fonction de la densité, de la richesse des interventions et de la variété des questions posées.

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Pour aller plus loin sur "laïcité et enseignement des faits religieux"...

Quelques informations, prolongements et questions du Réseau école laïcité religions - Récolarel  

 

Informations complémentaires...

 

Dans le temps qui leur était imparti, les intervenants n'ont pu développer autant qu'ils l'auraient souhaité, la question de la laïcité et de l'enseignement des faits religieux à l'école. Toutefois, ils ont tout deux pointé l'importance de celle-ci pour les différents gouvernements français - comme pour ceux des autres Etats européens - , et ce, sous deux aspects liés, celui des connaissances et celui de la construction du vivre ensemble (1). A été aussi déploré la faiblesse des moyens fournis par les ministères concernés à l'Institut européen en sciences des religions créé à la suite du Rapport Debray sur L'enseignement du fait religieux à l'école de 2002 (2). La formation des enseignants est donc largement insuffisante sur un sujet qui peut engendrer très vite des réactions passionnelles tant chez les adultes que chez les jeunes. Les auteurs des programmes malgré des réécritures  relativement récentes - par exemple, en 2008 pour le collège, en 2011 pour le lycée - cantonnent l'étude des faits religieux à un niveau d'âge peu élevé  sans donner à l'adolescent plus âgé - en 3ème du collège et/ou au lycée - la possibilité, d'une part, d'approfondir ses connaissances,  de se construire et d'étayer des éléments de réflexions, de convictions, et, d'autre part, de pouvoir échanger sereinement, au cours de débats préparés et guidés par un adulte formé, sur leurs convictions philosophiques, religieuses ou non, de déconstruire les préjugés, sources de peurs et de pertes du goût de l'autre, et de ce minimum de fraternité, constitutif du lien démocratique dans une société plurielle.

Il devient donc urgent de résoudre les contradictions - voire paradoxes - entre :

- des finalités et objectifs de l'éducation - ouverts, explicitement ou non, à l'enseignement des faits religieux, et présents dans le Socle commun des compétences (3),

- des programmes et compléments de programme - plus ou moins ouverts selon les disciplines et les niveaux - ,

- des contenus discutables de manuels, en particulier en histoire(4). Certains font encore  office de "bibles laïques"...et donc faussement laïques car confondant, entre autre, ce qui est de l'ordre du savoir et de l'ordre du croire,

- une formation des enseignants communément reconnue comme étique.

- des pratiques pédagogiques  qui seraient à évaluer avec des moyens conséquents. Si de nombreux enseignants créent des parcours pédagogiques riches et divers, interdisciplinaires parfois, renouvelés ou non, semblent plus fréquents les comportements d'évitements ou cavalcades pédagogiques, pour des raisons très diverses dont , rappelons-le, l'insuffisance de formation, mais aussi la peur de réactions de quelques élèves et/ou de certains parents et la perspective d'un dialogue difficile, pas toujours soutenu par la hiérarchie administrative ou pédagogique. Alors, les faits religieux risquent, dans une simplification excessive, soit la "dévitalisation", soit la "mystification".(5)

 

 

Prolongements et questions... (6)

 

·      Questions épistémologiques

Peut-on, doit-on choisir entre ce que les Anglo-saxons appellent teaching about religion et teaching from religion? Quels liens entre l'enseignement des faits religieux, l'histoire des arts, la laïcité, l'éthique, la philosophie? Comment faire prendre conscience aux élèves de différents statuts de vérité, vérité de l'ordre du savoir et du contenu de connaissances, d'une part, vérité de l'ordre du croire et du contenu de foi, d'autre part, la première relevant de la recherche historique, la second de l'expérience spirituelle, vérités qui ne s'opposent pas mais ne sont pas du même ordre?

·       Questions déontologiques

A quel âge  le jeune peut-il commencer à réfléchir à la pluralité des religions sans provoquer l'inquiétude des parents pour la construction de son identité personnelle, convictionnelle, religieuse? Comment orienter l'élève vers le meilleur usage d'internet dans le domaine de l'enseignements des faits religieux et lui apprendre à décrypter les préjugés qui y circulent? Comment faire percevoir au jeune le lien entre respect, ouverture aux autres et le nécessaire engagement concret, solidaire dans son environnement proche ou lointain?

·        Questions pédagogiques

Si le dialogue peut être présenté comme instrument pédagogique permettant de quitter la dichotomie entre ce qui est de l'ordre du savoir et ce qui est de l'ordre du croire, quelles sont les conditions précises de sa mise en oeuvre? Quelle part, dans cette perspective, faut-il faire aux questionnements philosophiques et éthiques? Comment sur le plan pratique ces différentes questions peuvent-elles susciter des débats, des dialogues réfléchis, argumentés et vivants dans une laïcité ouverte et respectueuse de tous les points de vue? Comment actuellement évalue-ton les compétences acquises dans le domaine de l'enseignement des faits religieux? Quelles modalités d'évaluation seraient à prendre en compte à l’avenir ?

- Quelles formations initiale  et continue pour les différents personnels d'éducation en ce qui concerne l'enseignement des faits religieux?

(1) voir, sur "recolarel.over-blog.com", catégorie: "évènements", le compte-rendu du Colloque "École et enseignement des faits religieux en Europe: objectifs et programmes ": colloque international organisé par l' IESR (Institut européen en sciences des religions) avec la collaboration du CIEP (Centre international d'études pédagogiques) les 20, 21 et 22 septembre 2012. Pour les Actes, contacter l'IESR, tel. 01 40 52 10 00.

(2) Régis Debray,  L’Enseignement du fait religieux dans l’École laïque , 2002.

(3) Programmes, Socle commun des connaissances et des compétences, Ressources pour faire la classe rédigés par le Ministère de l'éducation nationale sont consultables sur le site: eduscol.education.fr

(4) De nombreuses analyses de manuels concernant les faits religieux ont été faites et continuent d'être faites. La plus exhaustive est celle de Véronique Deneuche - L'enseignement des faits religieux dans les manuels d'histoire, Ed L'Harmattan, Paris, 2012. 263p. - dont un compte-rendu est disponible sur le blog: recolarel.over-blog.com. Ce même blog propose des commentaires critiques et constructifs sur la présentation des faits religieux dans les nouveaux manuels d'histoire de collège, destinés aux enseignants, auteurs et éditeurs de manuels, responsables de formation, rédacteurs des programmes et circulaires de l'Education nationale.

 

(5) in Régis Debray,  opus cité, p 30.

(6) Cette partie reprend l'essentiel des réflexions de Récolarel suite au colloque "École et enseignement des faits religieux en Europe: objectifs et programmes ": voir (1).

 

Jean-Marc Noirot

Récolarel - Réseau école laïcité religions

 recolarel.over-blog.com

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 21:14

 

L'IESR ( Institut Européen en Sciences des Religions), en coopération avec le CIEP(Centre International d'Etudes Pédagogiques), a organisé un colloque international : "École et enseignement des faits religieux en Europe: objectifs et programmes les 20, 21 et  22 septembre 2012.

Le but de ce colloque était de poursuivre la comparaison européenne en se focalisant tout d’abord sur les objectifs assignés à cet enseignement sur les faits religieux non seulement en matière de connaissances et de compétences, mais aussi comme élément d’une éducation à la citoyenneté démocratique dans des sociétés pluralistes. Ce colloque organisée en France suppose d'emblée une distinction préalable entre "Enseignement des Faits Religieux" (EFR) à la française assuré dans plusieurs disciplines et l'heure hebdomadaire de "Religious Education" (RE) que l'on trouve dans les autres pays sous des formes nationales spécifiques. Comparaison à dominante européenne -Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Espagne, France (y compris le cas particulier d’Alsace-Moselle), Italie et Suisse - qui s’est ouverte à la francophonie en intégrant le Québec. 

En attendant les Actes de ce colloque important, Récolarel a souhaité en faire une courte synthèse, moins exhaustive que prospective.

 Quelles réalités ont été présentées? Quelles perspectives entrevues, esquissées?

Des réalités nationales, régionales diverses et complexes

Au niveau européen, nos sociétés  sécularisées sont confrontées à un certain nombre de défis, à une pluralité sociale, culturelle et religieuse et donc à la question du vivre ensemble.

 Pour Jean-Paul Willaime, EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes) - IESR, les gouvernements  - et les opinions publiques - ont pris conscience des enjeux de cette situation nouvelle,  s'impliquent dans des programmes d'enseignement des religions qui sont divers "dans leur conception et leur élaboration, dans leurs options convictionnelles et métaphysiques, dans leur dimension éthique et anthropologique".

En Angleterre, le pays a été sensibilisé à la question religieuse et au rôle de l'islam par les émeutes de 2001 et l'attentat de Londres de 2005. Julia Ipgrave de l'Université de Warwick souligne l'importance grandissante des idées athées dans la RE qui a de plus en plus de succès et devient de plus en plus philosophique. Elle reste préoccupée par le grave problème d'une déshérence collective, l'analphabétisme religieux et conclut : "Aujourd'hui, la RE est au milieu du gué."

En Italie, Roberto Mazzola de l'Université de Piemonte Orientale souligne que l'enseignement confessionnel imposé par le poids historique de l'Eglise catholique se heurte à l'indifférence massive des jeunes en matière religieuse dans une société civile en mouvement. Au souhait d'un enseignement  déconfessionnalisé s'oppose un blocage institutionnel.

En Allemagne, Wolfram Weisse de l'Université de Hambourg dont le land dispense un "cours de religions" obligatoire, expose les finalités et méthodes de celui-ci. Cet enseignement s'attache à montrer les points communs entre toutes les religions tout en faisant apparaître les différences dans leurs ancrages respectifs. Une part importante, voire centrale, est accordée au dialogue dont l'objectif est double: d'une part, la reconnaissance mutuelle de sa différence comme moyen d'avancer dans la découverte de sa propre identité  et, d'autre part, l'invitation à réfléchir, à partir de sa propre expérience, sur des questions d'éthique - le sens de la vie, la justice, la paix... - et à agir de façon responsable, individuellement et en groupe. "Un tel enseignement est une contribution importante à l'éducation à la citoyenneté démocratique" conclut Wolfram Weisse.

Mireille Estivalèzes de l'Université de Montréal présente la situation du Québec qui développe depuis quelques années, dans son enseignement, un programme d'"Ethique et Culture Religieuse" pour promouvoir un meilleur vivre ensemble. Celui-ci poursuit trois compétences : d'abord, réfléchir sur les questions d'éthique avec examen des conduites et valeurs; ensuite, comprendre les phénomènes religieux et établir un lien entre l'expression du religieux et l'environnement social et culturel; enfin, pratiquer le dialogue pour agir de façon responsable par rapport à soi-même et aux autres. L'accueil de cet enseignement ne reçoit que peu d'opposition sauf pour une infime minorité de parents  qui demandent que leurs enfants en soient exemptés : au nom de la liberté de conscience, du danger de "relativisme"- qui ouvre, de leur point de vue, à un prosélytisme athée - et au nom d'une conception de l'éducation "qui rejette la réalité multiculturelle de la société ainsi que le rôle de l'Etat"(citation d'un jugement récent). La formation des maitres est en cours ainsi que l'élaboration des outils pédagogiques dont les manuels, sujet toujours sensible.

Les interventions relatives à la production de manuels scolaires ont montré combien leur élaboration est toujours un lieu de cristallisation d'enjeux idéologiques, philosophiques, confessionnels autant qu'économiques et corporatistes importants. Les processus de validation de ces ouvrages, absents dans certains pays comme la France, sont très divers en Europe, très différents au Québec et en Suisse.

Au Québec existe un bureau d'approbation du matériel scolaire, du manuel de l'élève comme du guide de l'enseignant. Les manuels du cours d'éthique et culture religieuse (ECR) doivent répondre aux deux finalités définies par le ministère: reconnaissance de l'autre qui est "indissociable de la connaissance" et la poursuite du bien commun, et ce, afin de promouvoir un meilleur vivre ensemble. Des compétences et un programme sont définis. Une commission d'une quinzaine de personnes analyse le contenu des ouvrages, sujet "sensible". Dix manuels de quatre maisons d'éditions ont été approuvés. Les enseignants des établissements publics ne sont pas obligés de les choisir. Une enquête sommaire semble montrer une utilisation fort variée des manuels par les enseignants. 

Pour la Suisse, Séverine Desponds et Christine Fawer-Caputo (Haute école pédagogique de Lausanne) présentent une situation particulière. Enbiro (Enseignement biblique et interreligieux roman), maison d'édition de statut privé, fondée en 1967 par les Départements de l'instruction publique des cantons de Vaud, Fribourg et Berne ainsi que par les Églises catholique et protestante, s'est imposée sur le marché et fait référence. Son dernier manuel, Abraham, 2010, (11-12 ans) n'a plus rien de dogmatique et propose des démarches comparatistes et des discussions sur des thèmes existentiels. Il s'agit de faire acquérir des compétences.

Pour l'EFR ou la RE, et au delà de la complexité des contextes nationaux ou régionaux, des convergences apparaissent : refus d'un enseignement catéchétique, approche distanciée et historicisée, plus existentielle et plus philosophique, recherche d'une pédagogie fondée sur le dialogue.

Le cas français

En France, L'EFR, son articulation avec la laïcité, avec l'histoire des arts, sa présence dans les programmes et les manuels en histoire et en français, ont fait l'objet de riches interventions qui ont souligné l'importance de cet enseignement déjà ancien, sa lente évolution et les défis de sa mise en oeuvre dans le cadre d'une nouvelle laïcité.

Philippe Gaudin présente, dans son intervention, une analyse précise et contextualisée de la laïcité à la française. Pour lui, la laïcité a pour horizon et pour but le Code de l'éducation avec un triple souci: développer la personnalité de l'élève, lui permettre de s'insérer dans la société et d'y exercer sa  citoyenneté. On pouvait croire, dit-il, que les années 1985-1995, "les Dix Glorieuses de l'Education"(grand moment de démocratisation/massification), allaient déboucher sur une progression régulière. Philippe Gaudin cite Jacques Berque, grand spécialiste de l'Islam, qui avait bien vu dès 1985, à propos de l'immigration, que "notre unité sera à la mesure de ce que nous allons proposer à ces enfants d'une culture différente". Mais, peu de formations, excepté à l'IUFM de Créteil, ont été proposées aux professeurs de toutes disciplines en ce qui concerne la laïcité et en EFR. La montée en puissance de la société civile, la présence du religieux dans l'espace public rendraient d'autant plus nécessaires une Education civique et une Education Civique Juridique et Sociale pour l'instant trop peu souvent prises au sérieux.

Isabelle Saint-Martin, directrice de l'IESR, rappelle que l'introduction de l'histoire des arts a été mise en place en 2008. La lettre de mission reçue par le ministre de l'époque, Xavier Darcos, présentait cet enseignement comme « un facteur d’élévation individuelle et collective » et lui donne ainsi une mission de civilisation. Cet enseignement est actuellement distribué dans plusieurs matières notamment mais non exclusivement histoire, lettres, arts plastiques, éducation musicale. Cependant certains au sein de l’association des professeurs d’histoire de l’art des universités voudraient un enseignement disciplinaire spécifique. Quoi qu'il en soit, pour aborder les œuvres à sujet religieux (même si toutes ne sont pas nécessairement religieuses), il importe de croiser les deux approches l’histoire des arts et la connaissance des faits religieux.

Stéphanie Laithier et Anna Van den Kerchove (IESR) présentent les programmes d’histoire et les principaux résultats d’une analyse des manuels scolaires. Concernant ces derniers, elles soulignent un effort de la part des éditeurs (plus d’attention au langage, plus de contextualisation), mais la qualité du contenu est parfois inégale. Par exemple,  en 6éme, la présentation de la carte du trajet de Moïse, alors que l’auteur du chapitre indique bien que son existence historique n’est pas assurée. En 4ème, en géographie, la diversité culturelle et religieuse est proposée, dans la mêmeédition, d'une manière contradictoire : d'un côté, un chapitre qui traite de la diversité religieuse pour terminer sur le terrorisme, de l'autre, un exemple de coexistence harmonieuse entre toutes les religions pris dans  l'île de la Réunion (dont l'islam). Les deux conférencières ont ensuite proposé les principaux résultats d’une enquête qualitative effectuée auprès d’une cinquantaine d'enseignants d'histoire de 6ème et 5ème sur la pratique de l’EFR. Une évolution lente se dessine. De la part des  professeurs : un plus grand souci du respect des croyances des élèves est noté, en particulier chez les plus jeunes. La légitimité de l'EFR leur parait incontestable. Toutefois, une méconnaissance des faits religieux peut aller jusqu'à une présentation pas toujours historique des monothéismes chez ces enseignants. Le problème de l'indigence du vocabulaire lié au champ religieux est un véritable obstacle que leur posent leurs élèves tout comme l'est la délicate distinction entre connaissances et croyances. La plupart des problèmes concerne l’islam, avec des raisons diverses et une grande disparité selon les régions et les établissements.

Evelyne Martini, inspectrice pédagogique régionale de lettres modernes de l'académie de Paris situe les programmes de lettres dans le cadre de deux infléchissements qui lui semblent importants pour l'EFR : la réaffirmation du sens et le refus de l'instrumentalisation  des textes, l'importance renouvelée de la vertu du récit. Dans ces programmes, il y a peu d'affichage explicite de l'EFR mais un feu vert donné à tous les niveaux. C'est la classe de sixième où les injonctions sont les plus précises. Au lycée, contrairement à ce qui se passe au collège, il n'y a pas de programmes d'œuvres, mais un éventail de choix d’objets d'étude. Les occasions de traiter des faits religieux dépendent donc de ces objets d’étude et des auteurs que le professeur a choisi d’y intégrer ; le résultat sera évidemment très différent selon qu’on y trouvera Francis Ponge ou Paul Claudel. Tout dépend donc de la bonne volonté et de la culture personnelle des professeurs pour lesquels peu d'outils de formation sont par ailleurs proposés.

 

L'inspecteur général honoraire d'histoire Philippe Joutard a conclu le colloque en présentant l'enseignement des faits religieux comme "une cause d'intérêt national, européen et international." Pour lui, le danger vient de la poussée des mémoires religieuses qui se braquent sur le mythe  des origines, surtout dans l'islam, le judaïsme et le christianisme évangélique, influençant les mémoires politiques et mettant en cause notre système démocratique. Philipe Joutard prône une  approche comparative des religions, met en garde contre une laïcité "étriquée" et s'interroge par ailleurs sur ce que sera "la morale laïque" annoncée par le nouveau ministre de l'Education, Vincent Peillon : "quelle interprétation sera faite de la pensée de Fernand Buisson? L'analyse des diverses spiritualités sera-elle édulcorée?"

Ce colloque européen dont Jean-Paul Willaime a été la cheville ouvrière, a fait prendre conscience aux participants, s'il en était besoin, que les problèmes se posaient de façon très similaire dans les différents pays, d’une certaine manière "nous sommes tous dans le même bateau". Mais si l'EFR/RE est un des instruments que les responsables politiques ont à privilégier, instrument qui peut éveiller ou soutenir chez les jeunes le goût du vivre ensemble, le désir de devenir, selon la belle expression d'un participant, "frères en humanité", les choix politiques et pédagogiques sont très différents selon les pays.

Questions et prolongements possibles pour Récolarel...

·          Questions épistémologiques

- Peut-on, doit-on choisir entre ce que les Anglo-saxons appellent teaching about religion et teaching from religion?

- Quels liens entre L'EFR/RE , la philosophie, l'éthique, l'histoire des arts?

- Comment faire prendre conscience  aux élèves de différents statuts de vérité, vérité de l'ordre du savoir et du contenu de connaissances, d'une part, vérité de l'ordre du croire et du contenu de foi, d'autre part, la première relevant de la recherche historique , la second de l'expérience spirituelle, vérités qui ne s'opposent pas mais ne sont pas du même ordre?

·         Questions déontologiques

- A quel âge  le jeune peut-il commencer à réfléchir à la pluralité des religions sans provoquer l'inquiétude des parents pour la construction de son identité religieuse et culturelle?

- Comment orienter l'élève vers le meilleur usage d'internet dans le domaine de l'EFR/RE,  lui apprendre à décrypter les préjugés qui y circulent?

·         Questions pédagogiques

- Si le dialogue peut être présenté comme instrument pédagogique permettant de quitter la dichotomie entre ce qui est de l'ordre du savoir et ce qui est de l'ordre du croire, quelles sont les conditions précises de sa mise en oeuvre? Quelle part, dans cette perspective, faut-il faire aux questionnements philosophiques et éthiques? Faut-il choisir des thèmes comme justice, paix, pouvoir politique ...et réfléchir à la position de différentes  religions dans ces domaines? Faut-il mettre en parallèle l'histoire des religions et l'histoire de la philosophie? Faut-il analyser des cas d'évènements passés ou présents comme l'affaire Calas, l'affaire Dreyfus ou la récente guerre de Bosnie? Comment sur le plan pratique ces différentes questions peuvent-elles susciter des débats, des dialogues réfléchis, argumentés et vivants dans une laïcité ouverte et respectueuse de tous les points de vue?

- Comment organiser une connaissance mutuelle des objectifs, programmes et outils pédagogiques des différents pays européens et du Québec?

- Quelles formations initiale  et continue pour les maîtres dans l'EFR/RE? S'ils doivent choisir le dialogue, comme instrument pédagogique privilégié n'est-il pas nécessaire qu'ils en bénéficient eux-mêmes dès leur formation?

- Comment actuellement évalue-ton les compétences acquises dans le domaine de l'EFR/RE? Quelles modalités d'évaluation seraient à prendre en compte à l’avenir ?

 

Alain Merlet et Jean-Marc Noirot

Récolarel

Réseau école laïcité religions

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