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13 juin 2014 5 13 /06 /juin /2014 10:15

La laïcité dans les manuels d'éducation civique 6e - 2009 - 2013

 

Laïcité ou laïcités...

 

Le programme d'éducation civique 6e est centré sur " les différents aspects de la vie en collectivité ". Il comprend trois volets principaux : " le collégien ", " l'enfant ", " l'habitant ". Dans le premier volet, le premier thème s'intitule " les missions du collège" . On peut y lire : " Dans les établissements publics, la laïcité est un principe fondamental ...(elle) est à la fois une valeur et une pratique. "

Nous nous proposons d'organiser l'étude de ces manuels (1) selon le plan suivant :

1- La laïcité et autres mots-clés dans les lexiques

2- La laïcité dans les manuels

3- Conclusion

 

(1) Six maisons d'éditions proposent dix manuels d'éducation civique que nous identifierons de la manière suivante : Belin éd.2009 - 2013, Bordas, Hachette A (Adoumié), Hachette D (Defebvre), Hatier BD (Barideau-Dubois), Hatier JS (Joffrion-Sestier), Magnard éd.2009 - 2013 et Nathan.

 

1- La laïcité et autres mots-clés dans les lexiques

 

1.1 Définitions de laïcité dans les lexiques (1)

 

Une majorité de définitions qui ne laissent pas d'espace à l'enseignement des faits religieux en 6e.

 

Sept manuels donnent une définition de laïcité telle qu'elle doit s'appliquer dans l'espace public en général, trois dans le contexte scolaire.

Belin éd.2009(p.18), Hatier JS (p.14) définissent laïcité comme "neutralité religieuse". Pour Bordas, laïcité : " principe d'indépendance par rapport à la religion ". Ces définitions sont courtes et abstraites.

Pour Belin éd.2013 et Hachette A., la laïcité est définie comme "neutralité de l'Etat et de ses institutions vis-à-vis de la religion." Pour Hachette D : " séparation de l'Etat et des religions". Ces définitions, si justes soient-elles, restent trop loin de la vie quotidienne des élèves

Magnard éd.2009 se place dans une perspective beaucoup plus ouverte : "la laïcité est le principe qui caractérise un Etat dans lequel le pouvoir politique...(est) indépendant de toute religion. L'Etat laïque est donc neutre. il garantit cependant la liberté religieuse et le libre exercice des cultes."

Trois éditions seulement définissent la laïcité dans le cadre scolaire, et ce, avec des acceptions très diverses.

Magnard éd.2013 propose pour " laïcité " : "refus de faire entrer les croyances religieuses à l'intérieur de l'école publique." définition qui laisse entendre une " sanctuarisation " de l'école publique par rapport aux religions.

Nathan donne pour " laïcité " la définition prudente :" l'Etat ne favorise aucune religion, qui relève de la vie privée. A l'école publique, la religion ne doit pas être ostentatoire (trop marquée) ". (p.16)

Hatier BD. est le seul à donner une définition de laïcité en milieu scolaire sans références aux croyances religieuses : " neutralité de l'enseignement par respect pour la liberté de conscience des élèves."

En résumé, une seule définition de la laïcité en milieu scolaire est véritablement en cohérence avec l'existence de l'enseignement des faits religieux en 6e.

 

1.2  Autres mots-clés des lexiques

 

Rareté et flou de plusieurs définitions

 

1.2.1 Rareté de nombreuses définitions

 

- Les notions de conviction, fraternité, de liberté, opinion et de solidarité sont absentes des lexiques.

- Apparaissent une seule fois les notions d'égalité (Hatier JS. p.23), dignité (Hatier BD.), foi  (Hatier BD.), neutralité (Magnard 2009 pour disparaître en 2013), pluralisme (Belin 2013), prosélytisme (Hatier BD.), respect (Hachette D. p.29), responsabilité (Hachette D. p.29), ségrégation ( Magnard 2013), valeur (Hachette D. p.15)

- Apparaît seulement deux fois la notion de tolérance (Belin éd.2009 - pour disparaître en 2013 - et Magnard éd.2013).

-Apparaissent trois fois les notions de Civisme/incivisme (Belin 2009, Hachette A. et Magnard 2009), démocratie ( Bordas, Hachette A.et Magnard 2013) et liberté de conscience ( Hatier BD. ; Hatier JS. p.14  ; Belin éd.2013 ).

- Apparaît quatre fois la notion de discrimination ( Belin éd.2009 ;  Hachette A. ; Hatier BD. et Nathan). Nous notons que cette définition disparaît dans Belin éd. 2013.

- Apparaît cinq fois la notion de citoyen/ citoyenneté (Belin 2013, Hachette A., Hatier JS., Magnard 2009-2013.

 

1.2.2  Questions et remarques autour de quatre définitions

Le mot association défini dans tous les manuels est présenté avec un élément important dans cinq manuels - Belin 2009-2013, Hachette A., Hachette D. (p. 49) et Nathan (p.74) -, celui d'agir de façon désintéressée, "sans vouloir faire des bénéfices".

Le mot citoyen défini dans cinq manuels se polarise sur " le droit de participer à la vie politique de son pays" et/ou "le droit de vote". Une définition plus proche de la vie quotidienne des élèves et intégrant le terme association, présent dans le programme, était souhaitable. 

 

Une identité qui occulte le culturel, le convictionnel

 

La notion d'identité est présente seulement dans six lexiques sur dix : Belin 2009 et 2013, Hachette A., Hatier BD., Hatier JS. (p.42) et Nathan. Cinq définitions  se cantonnent à l'aspect strictement juridique.  Seul Belin 2013 inclut " les croyances ". De nombreux manuels présentent en documents de larges extraits de textes de référence dont la Convention internationale des Droits de l'enfant de 1989 mais sans interroger sur les articles traitant "du développement spirituel, moral et social"..."du bien-être social, spirituel et moral" de l'enfant, des "valeurs culturelles du pays"..." des civilisations différentes de la sienne" (Art. 14, 17 et 29).  Dans les pages consacrées à l'identité, le culturel et le convictionnel sont occultés. La dimension subjective de l'identité faite d'appartenances multiples comme la famille, le quartier, l'adhésion à une tradition philosophique, religieuse ou non, la participation à la vie d'une association ou à un club de sports...n'est présente dans aucun manuel.

 

La notion de neutralité définie dans Magnard 2009 : " En France, l'enseignement est neutre. En vertu de ce  principe, aucune religion, doctrine politique ou philosophique n'est enseignée dans les écoles publiques et les personnels et élèves ne doivent pas imposer leurs idées." Quelle place est alors laissée à l'enseignement des faits religieux en 6e?

 

Le mot ségrégation est défini dans Magnard 2013  comme : " fait de séparer différents groupes de personnes." La connotation antidémocratique manque.

En résumé, les lexiques présents dans les manuels ne contribuent pas à éclairer suffisamment la notion fondatrice de laïcité dans le contexte scolaire et risquent ,là encore, de mal préparer la place de l'enseignement des faits religieux en 6e.

 

 (1) Ont un lexique : Belin 2009 - 2013, Hachette A (2), Hatier BD (2), Magnard 2009 - 2013, Nathan (2). Pour les autres éditions, nous prenons les définitions à l'intérieur des chapitres.                                     

(2) renvoie à la page du chapitre correspondant.

 

2.  La laïcité dans les manuels.

 

 laïcité de défiance ...ou laïcité de confiance!...

 

Bordas fait l'impasse complète de l'étude de la laïcité et se borne à une définition dont nous avons vu qu'elle est courte et abstraite.

 

2.1 La laïcité dans les textes d'auteurs.

 

Quatre groupes d'auteurs se distinguent parmi les huit manuels restants :

 

-  Quatre manuels - Hachette D., Hatier JS. Magnard 2009 (p. 21), Magnard 2013 (p.311) et Nathan (p.13) - choisissent de laisser d'abord parler les documents.

 

- Un manuel, Belin 2013 (p.334), estime que " le collège est laïc...la religion relève de la vie privée et les croyances ne font pas partie de l'enseignement public, comme c'était le cas en France avant la loi de Jules Ferry de 1882. Cela est rappelé dans le règlement intérieur. " Quelle place est faite ici à l'enseignement des faits religieux en 6e qui ne peut exister sans se référer à l'étude des croyances?

                              

- Deux manuels, Belin 2009 (p.16) et Hachette A. (p.14) présentent un historique de la laïcité française non contextualisé, donnant une vision réductrice de  la République qui serait, dans son essence, opposée à la religion. Aucun manuel ne mentionne qu'au XIXe siècle le clergé catholique influent était majoritairement monarchiste et antirépublicain et que le système scolaire était un enjeu vital pour la survie du jeune régime républicain. Une contextualisation  aussi simplificatrice alimente les préjugés, les amalgames comme " République égal athéisme".                                                                                                  Les deux mêmes manuels ne laissent pas d'espace à l'enseignement des faits religieux en 6e, classe où l'on étudie les débuts du judaïsme et du christianisme. Hachette A. annonce en problématique : " Comment la laïcité s'est-elle imposée à l'école? " ; il précise, dans le paragraphe, " la laïcité aujourd'hui " : " Depuis la loi du 15 mars 2004, les symboles religieux trop visibles sont interdits par la loi et par le règlement intérieur dans les établissements publics. Des sanctions disciplinaires peuvent être décidées dans les cas où la laïcité n'est pas respectée." ( les mots en gras le sont par l'éditeur.)

- Enfin, Hatier BD. (p.14)  titre : " L'école respecte mes croyances " et donne comme problématique : " Comment respecter les croyances de chacun?". le terme de convictions ajouté à celui de croyances permettait de ne pas focaliser l'étude sur un groupe particulier plutôt qu'un autre.

 

2.2  La laïcité dans les documents textuels

 

Si de nombreux textes officiels sont présentés, un seul, la loi du 15 mars 2004 art. L. 141-5-1. sur l'interdiction du port de signes religieux à l'école, se retrouve dans toutes les éditions, excepté Nathan. Ce document est toutefois  tronqué dans quatre éditions - Hatier BD. (p.14), Hatier JS. (p.15), Magnard 2009 (p.21) et Magnard 2013 (p.311), qui ne précisent pas que " la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève", ce qui durcit le texte.

Six éditions sur neuf présentent des extraits de règlements intérieurs. Quatre traitent des signes religieux. Magnard 2013 (p.311) choisit un texte qui ne mentionne pas l'étape du dialogue alors qu'Hachette A. (p. 15) privilégie un document qui le précise. Hachette D. (p.14) et Nathan (p.13) donnent une rédaction apaisée et ouverte de règlement intérieur. On lit, par exemple chez Nathan, un extrait du règlement intérieur du collège de Val-de-Rance (Côtes d'Armor) : " le port de signes discrets, manifestant un attachement personnel à des convictions, notamment religieuses, est admis, mais les signes ostentatoires (trop marqués) de même que toute forme de propagande ou de discrimination sont interdits."

Hachette A. (p. 14) avec un autre document choisit de fournir des informations  précises sur de ce qui relève de l'ostensible ou non : "...La loi de 2004 n'admet donc que le port de signes discrets : les médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatima, ou petits corans. Elle doit se comprendre comme une chance donnée à l'intégration..." ( Rapport de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, 2004).

Enfin, retenons la présence de deux textes donnant deux visages de la laïcité, une laïcité de défiance et une laïcité de confiance. 

Belin 2009 propose La lettre aux instituteurs de Jules Ferry, 17 novembre 1883, (p.16) mais sans contextualisation, donnant poids à ce que le texte d'auteur expose déjà sous l'angle d'une laïcité de défiance.

A l'opposé de cet esprit de défiance voire de confrontation avec la sphère du religieux, Nathan (p.13) fait un heureux choix en présentant, dans la page concernant l'école, un extrait d'un discours du président de la République, Jacques Chirac, 17 décembre 2003 : "Dans notre République, chacun est respecté dans ces différences... La laïcité garantit la liberté de conscience. Elle protège la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle assure à chacun la possibilité d'exprimer et de pratiquer sa foi, paisiblement, librement (...). c'est la neutralité de l'espace public qui permet la coexistence harmonieuse des différentes religions."

En résumé, les textes opposent deux images de la laïcité à l'école : la première, dominante, montre une laïcité de défiance, très sourcilleuse sur les signes religieux, l'autre, plus discrètement présente, une laïcité de confiance parlant autant de dialogue et de respect des différentes convictions que de comportements à sanctionner. Cette dernière est la plus en cohérence avec la charte de la laïcité de septembre 2013, en particulier les articles 4, 6 et 8, avec l'esprit du Socle commun et les directives sur l'enseignement des faits religieux à l'école.

 

2.3  La laïcité dans les documents visuels

 

Sur les neuf manuels traitant la laïcité au collège, huit présentent un - ou plusieurs - document visuel : dessin, photo, caricature.

Hatier BD. offre l'image d'une laïcité de dialogue, de respect des différences,  respectant l'esprit de la loi du 15 mars 2004. Il présente six photos d'élèves portant des signes religieux et questionne sur les signes autorisés ou interdits à l'école publique (p.15).

Six manuels ne font pas la différence entre signes religieux discrets et signes ostensibles.

En résumé, une majorité d'ouvrages privilégient des documents textuels et visuels qui ne donnent pas suffisamment l'image d'une laïcité outil de rassemblement.

 

3.  Conclusion

 

Laïcité de défiance ou laïcité de confiance?...

 

Quelle cohérence y a-t-il entre le contenu des manuels et le Socle des connaissances? Ce dernier, dans sa sixième partie, " Les compétences sociales et civiques ", mentionne " le principe de laïcité ". L'élève doit " être capable de jugement et d'esprit critique ; savoir construire son opinion personnelle et pouvoir la remettre en question, la nuancer (par la prise de conscience de la part d'affectivité, de l'influence de préjugés, de stéréotypes)...; (prendre) conscience que nul ne peut exister sans autrui..." (1). L'ouverture de ces propos ne se retrouve pas suffisamment dans la majorité des manuels qui véhiculent trop souvent l'image d'une laïcité de défiance.

Dans les définitions, dans les textes d'auteurs, dans les documents textuels et iconographiques, est souvent sous-jacente l'image d'une République qui serait,  par essence, opposée à la religion. Les élèves retrouveront cette même image dans la majorité des manuels d'histoire de 4e lors de l'étude des lois Ferry et de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat (2).

Un manuel, Hatier BD. déjà nommé, ne s'inscrit pas dans ces représentations. Dans une double page (14-15), il est le seul à définir les mots de dignité, de foi, de prosélytisme ; il permet de distinguer avec clarté les droits et les obligations en ce qui concerne les croyances de chacun ; il donne les motifs du projet de loi sur le port de signes religieux à l'école ; enfin, il ne se contente pas de proposer des photos des signes religieux interdits, il présente aussi les signes religieux autorisés. Une réserve, toutefois, dans l'énoncé du titre du chapitre, il aurait fallu ajouter au mot croyances celui de convictions.

Il y a aujourd'hui, depuis septembre 2013, une Charte qui définit la laïcité comme " conciliant la liberté de chacun avec l'égalité et la fraternité de tous dans le souci de l'intérêt général " ( art. 4 ) (3), comme " protégeant de tout prosélytisme " ( art. 6 ), comme permettant l'exercice de la liberté d'expression (art. 8). Il est nécessaire et urgent qu'une nouvelle rédaction des programmes, des Ressources pour la classe en tienne compte. Une formation spécifique des enseignants, une réflexion approfondie sur les modalités d'évaluation permettront alors de concrétiser ces principes généraux. 

 

(1) cf. site eduscol.gouv.fr et notre commentaire dans L'analyse des manuels d'histoire 6e 2009-2013. Voir recolarel.over-blog.com

(2) lire nos commentaires dans L'analyse des manuels Histoire Quatrième 2011: laïcité et religions sur recolarel.over-blog.com  

(3) Le mot fraternité est curieusement absent des actuels programmes d'éducation civique de collège.

 

Claudine Charleux, Alain Merlet et Jean-Marc Noirot (synthèse). 

 

 

 

 

 

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