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5 octobre 2016 3 05 /10 /octobre /2016 13:18

La laïcité à l'Ecole, ce n'est pas gagné...

Résumé : « Dans les lieux publics, on ne peut pas affirmer sa religion ou ses idées comme on veut, car cela pourrait gêner d'autres personnes. » Cette phrase est extraite du manuel Hatier (p.361), un des sept nouveaux manuels scolaires d'Enseignement moral et civique (EMC) de sixième. Quelle conception de la laïcité véhicule-t-elle? Le Réseau école laïcité religions a posé cette même question à tous les manuels et constaté que les définitions de laïcité y souvent erronées. Autre constat, les diverses mesures prises par le ministère de l'Education nationale pour promouvoir l'étude et la pratique de la laïcité à l'Ecole ne sont pas à la hauteur des enjeux. A quand une laïcité moins préoccupée d'exclure que d'inclure ? A quand, entre autre, l'introduction d'une initiation à la philosophie et la prise en compte d'expériences d'enseignement à la citoyenneté et à l'interculturel menées chez nos voisins européens ? On est encore loin de la laïcité d'intelligence que souhaitait déjà en 2002 Régis Debray dans son rapport sur l'Enseignement du fait religieux à l'école laïque !

Abstract : Laïcité ("Secularism") in French Schools, Still a Way to Go...

‘In public places we cannot assert our own faith or ideas as we want because it may cause discomfort to others’. This phrase is quoted from the school manual by Hatier (p. 361), one of seven new manuals for teaching the concepts of morality and civism (Enseignement moral et civique) to first grade high schoolers. Which is the concept of laïcité, "secularism", being conveyed there ? Réseau école laïcité religions reveiwed all the manuals on this criteria and remarked that the definition of "secularism" is often incorrect. Another observation was that the diverse measures adopted by the National Ministry of Education to promote the study and practice of "secularism" in french schools are not facing up to the challenge. When will "secularism" focus less on excluding than including ? When will other actions implemented by our Europeans neighbours such as introduction to philosophy and assessing teaching experiments on citizenship and intercultural values be adopted? There is still a long way to the laïcité d'intelligence called for by Régis Debray in his 2002 report ‘Enseignement du fait religieux à l'école laïque’ (Teaching about religion in public schools).

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On présente aujourd'hui la laïcité comme un rempart magique contre la barbarie djihadiste. Donne-t-on aujourd'hui aux élèves de France une formation dans ce domaine à la hauteur des enjeux ? Le Réseau école laïcité religions dont le but est depuis plusieurs années d'étudier les représentations de la laïcité et des faits religieux à l'Ecole, propose quelques éléments de réponse à cette question.

Le ministère de l'Education nationale n’est pas resté sans réaction et a réagi par de multiples mesures : la Charte de la laïcité à l'Ecole de septembre 2013, la Réserve citoyenne en janvier 2015 qui permet aux " équipes éducatives de faire appel à des intervenants extérieurs pour illustrer leur enseignement ou leurs activités éducatives ", l'Enseignement moral et civique (EMC) de juin 2015, le Livret laïcité de septembre 2015 destinés aux chefs d'établissement, les nouveaux programmes de 2015 et les manuels qui les appliquent à la rentrée 2016. Cette liste fort impressionnante répond-elle vraiment à l'urgence de la situation ? Examinons-les l'une après l'autre.

Des mesures d'un intérêt et d'une valeur fort inégale

La Charte de la laïcité à l'Ecole est un cadre précieux. C'est une référence désormais essentielle. Un regret : les convictions des non croyants auraient pu être davantage prises en compte.

La Réserve citoyenne est un beau projet sur le papier. Or, dans la pratique, les établissements font fort peu appel à ces intervenants extérieurs dont les institutions, les chefs d'établissement et les enseignants se méfient.

L'EMC, introduit à la rentrée 2015 est devenu une matière qui est prise au sérieux dans les programmes, faisant désormais appel à la sensibilité des élèves, cherchant à éveiller leur jugement et à susciter leur engagement. Cependant, plusieurs questions : quelle réelle formation pour les enseignants ? Le renvoi à des sites numériques est-il la panacée ? Quelles ressources pédagogiques ? Quelles méthodes d'évaluation ?

Un livret laïcité à la formulation approximative

Le Livret laïcité de septembre 2015 destiné plus particulièrement aux proviseurs contient des formulations approximatives voire obscures. Dans le chapitre IV, "laïcité et enseignements", en ce qui concerne l'enseignement des disciplines scientifiques, on lit : "Il faut pouvoir...éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir scientifique. Dans les disciplines scientifiques (SVT, Physique-chimie etc.) il est essentiel de refuser d'établir une supériorité de l'un sur l'autre comme de les mettre à égalité." Comprenne qui pourra!

Un peu plus loin, le livret laïcité affirme, à propos des " grands textes religieux, des oeuvres d'art... bien commun universel " : " Leur découverte permet une véritable ouverture aux autres cultures". Est-il si évident qu'il y ait cette parfaite équivalence énoncée entre croyance et culture? N'est-ce pas réintroduire des confusions dans les limites à distinguer avec rigueur entre domaines qui relèvent du savoir et du croire?

Cet ensemble de mesures d'un intérêt et d'une valeur inégale serait à mettre en cohérence avec un autre élément essentiel, l'enseignement des faits religieux, pour permettre aux professeurs et aux élèves de déconstruire des préjugés tenaces et favoriser une meilleure vie collective à l’intérieur et en dehors du cadre scolaire. En particulier, il faudrait effectivement mettre en oeuvre l'articulation préconisée par le ministère entre l'EMC et l'enseignement des faits religieux, articulation recommandée à la fois par l'Observatoire de la laïcité (rapport de juin 2015) et par le Conseil de l'Europe (Diversité religieuse et éducation interculturelle : manuel à l'usage des écoles, 2007, Conseil de l'Europe).

Dans les manuels, des définitions de laïcité souvent erronées

Etudions maintenant les sept manuels d'EMC de 6e issus des nouveaux programmes de cette rentrée 2016 du point de vue de la présentation de la laïcité.

Examinons d'abord les différentes définitions du concept de laïcité lui-même puis les définitions des termes liés à celui de laïcité. Voyons ensuite quelle présentation les manuels ont choisi de faire de la Charte de la laïcité à l'école et enfin quel type de laïcité est proposé dans les pages qui lui sont consacrées.

1.a. Trois images du concept de laïcité se dégagent de ces définitions dont deux sont à des degrés divers erronées.

La première image de la laïcité apparaît chez trois éditeurs sur six : Bordas, Hachette et Magnard. Elle associe la neutralité de l'Etat en matière de religion et la liberté de conscience. Celle de Magnard a notre préférence ; la laïcité, c'est " le principe selon lequel l'Etat ne favorise aucune religion et qui garantit à chacun la liberté de conscience et d'expression de ses convictions." Une remarque importante : la définition de laïcité du rapport du Conseil d'Etat de 2004, ajoute à la neutralité et la liberté de conscience un troisième aspect, le pluralisme, et prend ainsi en compte la réalité plurielle de la société française aux convictions philosophiques et religieuses multiples, aux cultures nombreuses. Chez ces trois éditeurs, l'image de la laïcité qui reste proche l'esprit de la Loi de 1905 est sinon complète du moins satisfaisante.

Une deuxième image chez Belin et Nathan omet le concept de liberté de conscience, ce qui réduit la laïcité à la simple neutralité de l'Etat envers les croyances. Cette image de la laïcité est erronée.

Une troisième image de la laïcité, chez Hatier, non seulement exclut la liberté de conscience mais définit la laïcité en termes radicaux : " le principe de la séparation de l'Etat et des religions dans une société. En France, la laïcité exclut les Eglises des domaines politiques et administratifs, et en particulier de l'enseignement public." On est bien loin de notre réalité concrète : du point de vue institutionnel, la laïcité est celle d'une autonomie réciproque entre deux entités, Etat et cultes ; du point de vue de la société, elle permet des compromis favorisant la vie collective dans une société plurielle. Cette définition offre l'image d'une laïcité de soupçon voire de combat envers les religions.

Si la deuxième image de la laïcité ne semble guère faire de place à l'enseignement des faits religieux à l'école, la troisième semble l'exclure. Seuls Bordas, Hachette et Magnard sont en cohérence avec le discours du ministère et permettent à cet enseignement d'exister, en particulier dans les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires.

1.b. D'autres concepts dans les manuels aident-ils à la compréhension de cette notion complexe de laïcité ?

Un premier constat : des termes importants et présents dans la Charte de la laïcité ne sont définis dans aucun manuel : égalité, conviction, Etat, ordre public, prosélytisme, liberté d'expression, pluralisme, neutralité.

D'autres mots-clés ont des définitions erronées. Par exemple, le terme d'identité n'est défini que dans un seul manuel : " Respect dû à quelqu'un ou à quelque chose ". On aurait mieux fait d'insister sur le fait qu'une identité, c'est un nom, un prénom, une date de naissance comme dans la carte d'identité mais que c'est aussi une somme d'appartenances multiples, familiales, culturelles, convictionnelles, religieuses ou non, mouvantes au cours de la vie. Une telle définition prend en compte la réalité plurielle de notre société et fait lien avec les concepts de pluralité et d'altérité.

2. Choix fréquents d'une version enfantine de la Charte de la laïcité à l'école

Qu'en est-il alors de la présentation de Charte de la laïcité à l'école, support privilégié pour l'approche de la laïcité ?

Cinq manuels sur sept ont choisi une version réécrite et illustrée de la Ligue de l'enseignement "expliquée aux enfants" et non pertinente pour des élèves de sixième. Cette charte en effet gomme ou introduit de la confusion dans des concepts fondamentaux : le citoyen devient un habitant (art. 1 et 3), les convictions, des idées (art. 3), la notion d'Etat est remplacée par la notion de pays, la France (art. 2). Cette charte est également illustrée de dessins où l'école apparaît comme lieu de rigolade (cf. art.7). Une version simplifiée produite par le ministère de l'Education nationale et la Fédération des APAJH, cohérente avec des objectifs pédagogiques exigeants, était pourtant disponible !

3. Qu'en est-il, enfin, de la présentation de la laïcité dans les chapitres qui lui sont consacrés ?

La laïcité dans les pages qui lui sont consacrées est aussi à visages multiples. Trois commentaires.

3.a. Tout d'abord, les différentes images rejoignent globalement celles repérées dans les lexiques, allant d'une image fidèle à l'esprit des rédacteurs de la loi de 1905 à une image dévitalisée d'une laïcité de soupçon voire d'opposition envers le convictionnel religieux.

Deux manuels, Belin et Hatier, présentent des éléments d'une laïcité où la religion n'est guère bienvenue et cela sans argumentation.(Belin, p.306 et Hatier, p.361). Le concept de laïcité est exposé d'une façon fort ambigüe à la page 361 du manuel Hatier :"Dans les lieux publics, on ne peut pas affirmer sa religion ou ses idées comme on veut, car cela pourrait gêner d'autres personnes." Qu'en est-il dans ces conditions de la notion centrale d'ordre public ?

Bordas, Lelivrescolaire présentent, eux, une image renouvelée de la laïcité et des pratiques de l'engagement citoyen.

Bordas propose un dossier 15 - " Liberté, égalité, fraternité et laïcité au collège " (p.272) - suivi d'un dossier 16 - " S'engager pour les autres " (274).

Lelivrescolaire retient l'attention pour deux raisons. Tout d'abord, à l'étude de " La Charte de la laïcité ", succède le chapitre : " A la découverte des trois monothéismes ". La volonté d'articuler l'EMC et l'enseignement des faits religieux est on ne peut plus claire et pertinente. Un choix du même genre se retrouve d’ailleurs dans le manuel de français de la même collection Ensuite, dans ce même chapitre, l'élève est invité à faire le lien entre l'histoire du judaïsme et du christianisme qu'il étudie en sixième et la naissance de l'islam qu'il étudiera en début de cinquième.

3.b. Deuxièmement, certains manuels plus ou moins explicitement lient la notion de laïcité avec "la culture de l'engagement", un des quatre piliers de l'EMC, par la présentation de très nombreux engagements citoyens et de multiples initiatives de collégiens pour un mieux vivre ensemble, chez Bordas en particulier. A propos d'actions de personnes d'exception, plusieurs manuels présentent, entre autres, Jean Moulin, l'Abbé Pierre ou Lassana Bathily, jeune Malien, qui par son courage a sauvé une quinzaine de personnes le 9 janvier 2015 au cours de l'attaque du supermarché casher de Vincennes. Aucun manuel ne présente Latifa Ibn Ziaten, mère d'Imad, assassiné par Mohammed Merah le 11 mars 2012. Cette femme a créé l'association Imad-Ibn-Ziaten pour la jeunesse et pour la paix en avril 2012, dans le but de venir en aide aux jeunes des quartiers en difficulté, et de " promouvoir la laïcité et le dialogue interreligieux ", association soutenue par le ministère de l'Éducation nationale qui lui octroie une subvention annuelle.

3.c. Enfin, comparées aux conceptions de la laïcité contenues dans les manuels issus des programmes de 2008 (voir recolarel.over-blog.com), les conceptions les plus erronées sont certes en déclin ; elles n'en sont pas moins gênantes.

Un message brouillé de la laïcité à l'école qui ignore la réalité multiculturelle de notre société

En conclusion, l’Education Nationale a pris de multiples mesures en peu de temps mais d’une valeur inégale et pas toujours très cohérentes.

Les définitions erronées de laïcité ignorant la réalité de notre société multiculturelle dans certains manuels scolaires d'EMC en sixième sont en totale contradiction avec l’article 12 de la Charte de la laïcité qui, lui, appelle à " l’ouverture la plus objective à la diversité des visions du monde ", loin aussi de la conception apaisée de l'Observatoire de la laïcité, en cohérence avec l'esprit de la loi de 1905.

Une question demeure pour ce généreux projet EMC : les professeurs de sixième eux-mêmes pourront-ils s’approprier une telle ambition ? L’instruction civique les laissait souvent sceptiques ou peu concernés. Tout comme l'enseignement des faits religieux. Les professeurs de collège seront-ils aussi réticents à cet enseignement que leurs collègues du primaire dont un récent sondage à l'initiative de l'association Enquête montre qu'un tiers seulement d'entre eux le pratiquent ? Par ailleurs, à quand une initiation à la philosophie? Que devient le rapport Séré d'avril 2007 sur une telle initiative? Pourquoi se priver aussi de l'examen d'expériences menées chez nos voisins européens où la "culture du débat" favorise le vivre ensemble?

On est encore loin de la laïcité d'intelligence souhaitée par Régis Debray....

Finalement, à la rentrée 2016, les manuels d'EMC de sixième proposent aux élèves des définitions souvent très insuffisantes, une charte de la laïcité plutôt enfantine, des contenus inégaux, parfois cependant capables de les aider vraiment. On est encore loin de la laïcité d'intelligence que souhaitait déjà en 2002 Régis Debray dans son rapport sur l'Enseignement du fait religieux à l'école laïque!

On souhaite quand même, que puisse se répandre une laïcité moins préoccupée de séparer que de faire coexister, d'exclure que d'inclure, cherchant non seulement à interdire mais surtout à faire connaître et comprendre, incitant au débat, proposant des initiatives citoyennes. On le souhaite mais à l’heure actuelle, malgré tant de nouvelles mesures, ce n’est pas gagné !

Le 30 septembre 2016,

Alain Merlet et Jean-Marc Noirot,

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22 février 2016 1 22 /02 /février /2016 22:49

L'enseignement des faits religieux à la rentrée 2016 : les textes officiels sont-ils à la hauteur des enjeux ?

A la rentrée 2016, les élèves suivront de nouveaux programmes. Qu'en est-il de l'enseignement des faits religieux? Parallèlement, un livret laïcité destiné aux chefs d'établissement a été publié en novembre 2015.

Ces changements attendus soulèvent de multiples questions dans les programmes comme dans le livret .

Un livret laïcité à la formulation approximative

Dans ce dernier, regardons dans le chapitre IV, "laïcité et enseignements", ce qui concerne l'enseignement des disciplines scientifiques. On y lit : "Il faut pouvoir:...éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir scientifique. Dans les disciplines scientifiques (SVT, Physique-chimie etc.) il est essentiel de refuser d'établir une supériorité de l'un sur l'autre comme de les mettre à égalité."

On n'aurait donc pas le droit de contester une prise de position créationniste qui revient pourtant à donner à une religion particulière un droit de regard indu sur le domaine scientifique. Il aurait mieux valu écrire que la religion n'a pas à s'introduire dans un domaine qui n'est pas le sien et réciproquement que la science n'a rien à gagner si elle se substitue au discours religieux, chacun n'étant légitime que dans son propre domaine qui doit être délimité avec rigueur. La question ne se pose d'ailleurs pas seulement dans les disciplines scientifiques mais également en histoire.

Toujours dans le même chapitre de ce livret laïcité, un peu avant, il est dit: "L'enseignement des faits religieux est laïque. Ce n'est pas un cours d'instruction religieuse. Il faut pouvoir:

- montrer que les grands textes religieux, les oeuvres d'art constituent un bien commun universel et ne sont pas la propriété exclusive des croyants. Leur découverte permet une véritable ouverture aux autres cultures".

Passage qui appelle plusieurs commentaires.

1) L'opposition entre l'enseignement des faits religieux et un "cours d'instruction religieuse" est trop élémentaire pour clarifier les enjeux. Il aurait été plus utile de souligner que les grands textes religieux et les oeuvres d'art peuvent faire l'objet d'une approche différente selon les circonstances, les contextes et les personnes qui les prennent en charge et que les enseignants, dans un cadre laïque, peuvent et doivent expliciter ces différences entre le savoir et le croire.

Les élèves croyants accepteraient mieux la présentation de ce qu'ils croient si on leur expliquait qu'il ne s'agit pas de remettre en cause leur propre croyance mais d'accepter pour une durée limitée de les mettre entre parenthèses pour faire connaître leur contenu à leurs camarades qui les ignorent. Les élèves non-croyants, de leur côté, accepteraient mieux les connaissances présentées si on leur expliquait qu'il ne s'agit pour eux que d'être informés et nullement d'être endoctrinés.

De telles clarifications préalables permettraient de désamorcer les conflits et d'apaiser les débats tout en favorisant une liberté d'expression conforme à la laïcité.

2) S'il semble donc incontestable que "les grands textes religieux, les oeuvres d'art constituent un bien commun universel et ne sont pas la propriété exclusive des croyants", encore faudrait-il se donner les moyens de faire partager ce bien commun dans les meilleures conditions. Est-il sûr que, comme l'affirme le livret laïcité, " Leur découverte permet une véritable ouverture aux autres cultures".

Est-il si évident qu'il y ait cette parfaite équivalence énoncée entre croyance et culture? N'est-ce pas réintroduire des confusions dans les limites à distinguer avec rigueur entre domaines qui relèvent du savoir et du croire?

Un enseignement des faits religieux en français en 6e en peau de chagrin

Si l'on considère le nouveau programme du français en 6° à la rentrée 2016, on étudie :" un extrait long de La Genèse dans la Bible (lecture intégrale) et des extraits significatifs de plusieurs des grands récits de création d'autres cultures, choisis de manière à pouvoir opérer les comparaisons."

Or, pour que les élèves découvrent d'autres cultures, il est nécessaire qu'ils soient préalablement initiés à ce qu'est leur propre tradition qu'ils ignorent très fréquemment tout autant que ces cultures dites "autres ".

La Bible n'étant plus représentée désormais que par un seul extrait (en lecture intégrale?), on ne remédiera pas aux lacunes des élèves dans la connaissance des récits et des mythes bibliques si constamment présents dans l'histoire des arts.

En outre, au moment où on organise les enseignements pratiques interdisciplinaires, on se prive ainsi de possibilités de travail commun en français et en histoire.

La Charte de la laïcité de la rentrée 2013, au § 12, veut " garantir aux élèves l'ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu'à l'étendue et à la précision des savoirs". Les programmes de 2016 en ce qui concerne l'enseignement des faits religieux n'assure ni l'étendue ni la précision des savoirs.

On peut donc dire que la place de cet enseignement et surtout sa mise en place pratique telles qu'elles apparaissent dans les textes officiels, n'ont pas été prises en considération avec un sérieux et une rigueur à la hauteur des enjeux.

22 février 2016

Recolarel, Réseau école laïcité religions

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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 13:28

L'Enseignement moral et civique, un beau projet mort-né ?

L'introduction de l'Enseignement moral et civique (EMC), évènement le plus important de cette rentrée scolaire, est un projet ambitieux, pas tout à fait nouveau. Dans quel contexte se situe-t-il ? Quel est son contenu ? Quelles sont ses chances de fécondité ?

L'EMC qui se veut " grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République " s'inscrit dans une société qui fait de plus en plus allégeance à un système financier mondial, efficace entreprise de démolition de valeurs de la République, plus précisément de l'égalité et de la fraternité...au nom de la liberté! Contexte rude!

Si les avions décollent mieux par vents contraires, qu'en est-il de l'aéronef Education nationale et de son projet EMC ? Ce dernier dont la feuille de route est loin d'être claire a-t-il alors quelques chances de décoller?

Parmi les éléments positifs de ce projet : son ampleur - il concerne tous les élèves du cours préparatoire à la terminale - ; une pédagogie à entrées multiples - la sensibilité, le jugement, la règle et le droit, l'engagement - , son choix d'ouverture à l'environnement familial et social.

Parmi les éléments sources de questionnement : un concerne les objectifs du projet, les autres, les modalités de mise en oeuvre.

A propos des objectifs, pourquoi ne pas avoir donner plus de cohérence au projet en choisissant d'introduire une initiation à la philosophie dès la Seconde ? A ce sujet, le très instructif rapport Séré d'avril 2007 sur "L'enseignement de la philosophie en baccalauréat professionnel : évaluation du dispositif mis en œuvre dans l'académie de Reims " ne mérite pas de rester dans un tiroir de l'Inspection générale de l’Éducation nationale.

A propos des modalités de mise en oeuvre du projet, plusieurs questions concernant : la formation des enseignants ou plus précisément son absence, d'autant plus criante que l'EMC peut être faite par tout enseignant, quelle que soit sa discipline ; la rareté des ressources pédagogiques ; l'absence de méthodes d'évaluation.

De nombreux enseignants d'histoire préférant déjà terminer leur programme pléthorique et ne pas faire d'éducation civique, l'évitement risque de se poursuivre. Autre cause importante, le flou sur les contenus, en particulier l'absence de définitions claires de notions centrales comme laïcité ou identité. Qu'en est-il, par exemple, de ces deux notions dans les manuels d'éducation civique ? Un groupe du "Réseau école laïcité religions", Récolarel s'est attelé à cette tâche et en fait un bilan assez consternant. (1)

En ce qui concerne la définition de la laïcité, celles présentes dans huit manuels sur dix d'éducation civique de 6e sont partielles et marquées par une méfiance envers le religieux, exemple : "Neutralité religieuse" (Belin 2009), " Principe d'indépendance par rapport à la religion " (Bordas 2009). On est loin d'une définition plus précise et plus éclairante, centrée sur "la liberté de conscience " qu'on retrouve seulement dans Hatier (Barideau-Dubois) et Magnard 2009.

En ce qui concerne la notion d'"identité", les définitions présentent dans ces mêmes manuels des catégories formelles - nom, prénom, date et lieu de naissance...- qui ne permettent pas de prendre en compte le fait que l'identité de chaque individu est constituée d'appartenances multiples, différemment hiérarchisées au fil du temps, dans la société plurielle et multiculturelle où nous vivons en 2015.

Autre questionnement, l'articulation préconisée entre L'EMC et l'enseignement laïque des faits religieux (ELFR) - articulation mentionnée également par l'Observatoire de la laïcité dans son rapport de juin.

Quant à sa mise en oeuvre, on peut émettre quelques craintes dans la mesure où l'ELFR est un enseignement mal perçu par des enseignants non formés. L'enquête faite par Sébastien Urbanski, L’enseignement du fait religieux : une enquête dans trois collèges in REE (Recherches en éducation)de janvier 2015, présente les très nombreuses difficultés de mise en oeuvre d'un projet aux justifications insuffisantes et contesté sur bien des points par un nombre non négligeable d'enseignants. Le ministère de l'éducation nationale proposera, avant la fin de l’année, un parcours de e-formation (site internet M@gistère) à l’enseignement laïque des faits religieux. Le contenu de cette formation se démarquera-t-il de la "dévitalisation" des faits religieux repérée dans de nombreux manuels scolaires, dévitalisation que craignait déjà Régis Debray dans son rapport de 2002 ? Enfin, et surtout, les nouveaux programmes annoncés pour la fin septembre seront-ils profondément remaniés?

En conclusion, dans un contexte rude de démocratie fragilisée, l'EMC est ô combien nécessaire pour l'éducation à la citoyenneté. En l'état, ce beau projet est peu crédible. Sa durée de vie risque d'approcher celle d'un mort-né si ses concepteurs laissent autant de flous dans les contenus et de lacunes dans les modalités d'application, en particulier dans la formation des enseignants. Pour éviter un processus d'évitement ou une dérive vers " un catéchisme républicain hypocrite "(Jean Baubérot), l'urgence est à la mise en place d'une formation à la hauteur de l'enjeu citoyen, formation de qualité qui devrait comprendre, comme le formule si justement le ministère, "la formation à la conduite de débats argumentés et la formation à l’éthique de la discussion requise pour cela ".

(1) voir recolarel.over-blog.com

Jean-Marc Noirot,

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16 mars 2015 1 16 /03 /mars /2015 12:55

 

Article paru dans Mediapart, le 16 mars 2015


http://blogs.mediapart.fr/edition/laicite 


Le Front national est-il en passe de gagner la bataille de la laïcité ? Parmi ses meilleurs alliés, paradoxalement, le ministère de l'Education nationale qui diffuse prioritairement l'image d'une laïcité qui occulte la réalité sociale et culturelle de notre société, d'une laïcité de méfiance vis-à-vis des religions et de l'islam en particulier. Cette laïcité d'assimilation/exclusion en totale contradiction avec l'esprit de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat côtoie la pseudo-théorie du choc des civilisations dont se nourrit la rhétorique du FN.

 

Le thème de la laïcité est au collège dans le programme d'éducation civique de 2008 en 6e - et seulement en 6e! Neuf manuels scolaires sur les dix manuels que proposent six maisons d'éditions, ignorent la réalité de la pluralité de notre société et se méfient des diverses interrogations de sens que proposent ces différentes  cultures. L'image d'une laïcité d'assimilation/exclusion est omniprésente.

 

Dans les lexiques, sept manuels ont choisi une définition de laïcité dans l'espace public en général. Six en donnent une définition tronquée. Trois éditions seulement précisent ce que veut dire la laïcité dans le cadre scolaire. Magnard 2013 propose : "refus de faire entrer les croyances religieuses à l'intérieur de l'école publique." Nathan 2009 donne une définition très prudente :" l'Etat ne favorise aucune religion, qui relève de la vie privée. A l'école publique, la religion ne doit pas être ostentatoire (trop marquée) ".

 

Une exception. Caroline Barideau et Dominique Dubois (Hatier) définissent  laïcité : "neutralité de l'enseignement par respect pour la liberté de conscience des élèves ", loin d'une laïcité de suspicion par rapport aux religions.  

 

Toujours dans les lexiques, l'image d'une laïcité de méfiance, est omniprésente. L'absence de définitions -  blasphème, conviction, fraternité, liberté, opinion et  solidarité - et l'imprécision d'autres produisent ou renforcent stéréotypes, amalgames, discours radicaux - athées ou religieux -, tous porteurs de peurs, de haine, d'exclusion. Un exemple parmi d'autres de cette laïcité d'assimilation/exclusion, toutes les définitions d'identité sont exclusivement juridiques, sauf Belin 2013 qui ajoute "les croyances" comme élément constitutif d'identité.  

 

Dans les pages des manuels, l'image d'une laïcité d'assimilation/exclusion est également omniprésente. Belin 2009 et Hachette (V.Adoumié) présentent une histoire de la laïcité mais la religion y semble par essence opposée à la République. Une exception. Le manuel de C.Barideau et D.Dubois (Hatier) offre l'image d'une laïcité de confiance,d'intégration/inclusion. Il est aussi le seul à distinguer prosélytisme et enseignement des faits religieux.                              

 

La laïcité d'assimilation/exclusion est également omniprésente dans les autres manuels d'éducation civique et d'histoire-géographie du collège.

Loin de nous l'intention d'accabler les auteurs-éditeurs de manuels ; les programmes et instructions officielles véhiculent en premier cette laïcité de méfiance, d'assimilation/exclusion. On est loin de la pensée Paul Ricoeur sur la laïcité et des rapports de Philippe Joutard en 1991, de Régis Debray de 2002 sur l'enseignement des faits religieux, enseignement d'ailleurs globalement sinistré. Sur le terrain, une laïcité d'abstention semble concurrencer la laïcité de méfiance.

 

Aujourd'hui, notre école est condamnée à une révolution copernicienne : passer d'une laïcité d'assimilation/exclusion prêchée par le Front national à une laïcité d'intégration/inclusion, à une laïcité où le vivre ensemble rime avec le respect de la dignité de chacun, à une laïcité espace-creuset où s'expérimentent les valeurs républicaines issues des différentes traditions religieuses et philosophiques.

   

Alain Merlet, IA-IPR de Lettres (Créteil) en retraite,

co-animateur du Réseau école laïcité religions, 

et Jean-Marc Noirot, enseignant retraité, fondateur de Récolarel   

 

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 17:54

 

Article complet . Le 12 mars 2015

 

Depuis les attentats des 7 et 9 janvier 2015 à Paris et Montrouge, nombreux sont les regards, pas forcément bienveillants, qui se portent sur l'école. Le 22 janvier 2015, lors d'une conférence de presse sur "Education, jeunesse, citoyenneté, laïcité : l'Etat se mobilise", Najat Jallaud Belkacem, la ministre de l'Education nationale, a lancé "une grande mobilisation de l'école pour les valeurs de la République", et a martelé : "L'école a une fonction morale". Le Premier ministre, quelques jours avant, du haut de la tribune de l'Assemblée nationale, avait crié trois fois le mot : laïcité! Le cri était-il déjà solution?

 

Laïcité ou laïcités ? 

 

Quelle conception de la laïcité véhicule l'école ? Sans attendre les attentats de début janvier, le Ministère de l'éducation, sous l'impulsion de Vincent Peillon, reprenait à frais nouveaux dans sa "refondation du système éducatif" le thème de la laïcité. La profusion des titres de  projets de ce qui deviendra  l'Enseignement moral et civique témoigne de l'enjeu social, sociétal, culturel, civilisationnel, et de conflits politico-idéologiques, divisant même les groupes politiques. Quels changements sont proposés? Sont-ils à la hauteur de l'enjeu? Mais, d'abord, quel diagnostic faire?

 

L'école véhicule majoritairement l'image d'une laïcité de méfiance vis-à-vis des religions, une laïcité d'occultation de la diversité culturelle de la société française, soit une laïcité d'assimilation/exclusion en contradiction avec l'esprit des Lumières ou celui de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat. Cette conception de la laïcité est curieusement proche de la pseudo-théorie du choc des civilisations et de la rhétorique du Front national qui capte et détourne le concept de laïcité de son acception originelle ouverte à la fraternité.

 Aujourd'hui, qu'en est-il précisément de cette laïcité dans les instructions et discours officiels, les manuels scolaires et les pratiques pédagogiques?  

D'abord dans les manuels scolaires. Quelles images de la laïcité, thème au programme d'éducation civique de 2008 pour la 6e - et seulement en 6e! -, sont véhiculées dans les dix manuels que proposent six maisons d'éditions ? Que dit-on de la laïcité mais aussi de l'identité ?

 

 Une identité strictement juridique qui occulte le pluralisme social et culturel 

 

La conception d'identité est quasiment exclusivement juridique et rejoint celle d'une laïcité d'occultation de la diversité culturelle de notre société.   La notion d'identité est présente seulement dans six lexiques sur dix. Cinq définitions  se cantonnent à l'aspect strictement juridique. Seul Belin 2013 y  inclut " les croyances ".

De nombreux manuels présentent en documents de larges extraits de textes de référence dont la Convention internationale des Droits de l'enfant de 1989. Mais sans interroger  ces articles traitant "du développement spirituel, moral et social", "du bien-être social, spirituel et moral" de l'enfant, des "valeurs culturelles du pays" ou " des civilisations différentes de la sienne" (Art. 14, 17 et 29).

La dimension vécue de l'identité faite d'appartenances multiples, hiérarchisées, évolutives comme la famille avec ses racines culturelles propres, avec ses divers degrés d'adhésion à un tradition religieuse, philosophique ou autre, comme la participation à un club de sports ou à la vie d'une association, n'est présente dans aucun manuel. Dans les pages consacrées à l'identité, le social, le culturel, le convictionnel et le religieux sont occultés ainsi que la réalité plurielle de la société. L'idée d'altérité n'a-t-elle rien à voir avec ce concept?  Un changement de programme est ici encore attendu. 

 

 Laïcité de méfiance, laïcité d'assimilation/exclusion, omniprésente, la religion peu ou pas compatible avec la République

 

 Que dit-on de la laïcité dans ces mêmes manuels ? L'image d'une laïcité d'occultation de la diversité culturelle, de méfiance envers le convictionnel et le spirituel, soit d'une laïcité d'assimilation / exclusion est également omniprésente.

 

Dans les lexiques, sept manuels ont choisi une définition de laïcité telle qu'elle doit s'appliquer dans l'espace public en général. Six en donnent une définition tronquée centrée uniquement sur la neutralité de l'Etat vis-à-vis des religions. Magnard 2009 se place dans une perspective plus ouverte : "la laïcité est le principe qui caractérise un Etat dans lequel le pouvoir politique...(est) indépendant de toute religion. L'Etat laïque est donc neutre. il garantit cependant la liberté religieuse et le libre exercice des cultes."

Trois éditions seulement définissent la laïcité dans le cadre scolaire, et ce, avec des acceptions très diverses. Magnard 2013 propose pour laïcité : "refus de faire entrer les croyances religieuses à l'intérieur de l'école publique." Nathan 2009 donne une définition très prudente :" l'Etat ne favorise aucune religion, qui relève de la vie privée. A l'école publique, la religion ne doit pas être ostentatoire (trop marquée) ".

 


laïcité de confiance,  d'intégration /inclusion à dose homéopaphique

 

Une exception. Une seule définition sur dix en cohérence avec l'esprit de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat en 1905, avec certains textes du ministère de l'Education, donne une définition d'une laïcité de confiance envers le culturel, le convictionnel et le spirituel, une laïcité d'intégration /inclusion. Caroline Barideau et Dominique Dubois dans l'un des deux manuels Hatier sont les seules auteurs à donner une définition de laïcité qui ne soit pas suspicion ou opposition par rapport à la religion : "neutralité de l'enseignement par respect pour la liberté de conscience des élèves." 

 

Toujours dans les lexiques, quelles notions relevant du champ sémantique de laïcité sont présentes? Sur les dix manuels, blasphème, conviction, fraternité - notion absente du libellé des programmes d'éducation civique du collège encore en vigueur -, liberté, opinion et  solidarité sont absentes. Celles d'égalité, dignité, foi, neutralité, pluralisme, prosélytisme, respect, responsabilité, ségrégation, valeur apparaissent une seule fois sur dix. La notion de tolérance apparaît seulement deux fois. Celles de civisme/incivisme, démocratie et liberté de conscience apparaissent trois fois seulement.

Dans les lexiques encore, rareté et/ou imprécision de définitions de notions donnant accès à la compréhension de laïcité, et plus particulièrement dignité, liberté de conscience, neutralité et pluralisme, ainsi que association, citoyen, identité, neutralité et ségrégation.

 

Première conclusion, les lexiques présents dans les manuels d'éducation civique de 6e présentent très majoritairement  une laïcité de méfiance vis-à-vis religions, comme, une laïcité exclusive pour les sociologues, une laïcité d'opposition, disait Paul Ricoeur. L'ignorance de termes précis risque de peser lourd dans la fabrication ou le renforcement de préjugés, d'amalgames, de discours doctrinaux ou radicaux, religieux ou athées, tous porteurs de peurs, d'exclusion ou de haine

 

Que disent les textes d'auteurs ? Huit ont un discours qui ne distingue pas religion et enseignement des faits religieux : " le collège est laïc...la religion relève de la vie privée et les croyances ne font pas partie de l'enseignement public, comme c'était le cas en France avant la loi de Jules Ferry de 1882. Cela est rappelé dans le règlement intérieur. ": lit-on chez Belin 2013. Deux manuels - Belin 2009 et Hachette A. - présentent une histoire de la laïcité française sans le contexte historique, donnant une vision réductrice d'une part de  la République qui serait par essence opposée à la religion, d'autre part de la religion par essence opposée à la République. Aucun manuel ne mentionne qu'au XIXe siècle le clergé catholique majoritairement monarchiste et influent était antirépublicain et que le système scolaire était un enjeu vital pour la survie du jeune régime républicain. Ainsi construit-on du préjugé, de la pensée dogmatique, ahistorique, qui féconde les intégrismes. On retrouve ici l'image omniprésente d'une laïcité de méfiance, une laïcité d'assimilation/exclusion.

 

Une exception : le manuel dirigé par C.Barideau et D.Dubois (Hatier) offre une toute autre image, celle d'une laïcité de confiance envers le culturel, le convictionnel et le spirituel, une laïcité d'intégration /inclusion, d'une laïcité de confrontation, disait Paul Ricoeur. Il titre, à la page 14, : " L'école respecte mes croyances " et donne comme problématique : " Comment respecter les croyances de chacun?". Toutefois, le terme de convictions ajouté à celui de croyances serait plus juste en évitant de se focaliser sur les "croyants". Ce manuel est aussi le seul à distinguer prosélytisme et enseignement des faits religieux.                              

 

Et que disent les nombreux documents textuels et visuels ? On retrouve deux images opposées, deux laïcités : la première omniprésente, laïcité de méfiance, laïcité d'assimilation/exclusion, très sourcilleuse sur les signes religieux ; la seconde, laïcité de confiance , d'intégration /inclusion parlant autant de dialogue et de respect des différentes convictions que de comportements à sanctionner, dans un seul ouvrage, celui de C.Barideau et D.Dubois.

 

Une laïcité de complaisance par rapport à l'idéologie du système économique dominant ?

 

Une question non anodine mérite aussi d'être posée : la laïcité qui se veut aseptisée par rapport au fait religieux n'offre-t-elle pas une image de complaisance par rapport au fait marchand, à l'idéologie du système économique dominant ? Exemple, un manuel illustre la leçon titrée " le collège, un espace laïque" par une photo de classe. Des bulles indiquent les diversités convictionnelles. La réponse évidente à une des questions est : " la loi de 2004 est respectée, aucun signe religieux n'est visible." Toutefois sur près de la moitié des vêtements d'élèves sont fort visibles marques et logos variés! Sous les préaux, surtout en début d'année - les mères en savent quelque chose -, ce n'est pas la répétition des guerres de religions qui engendre le plus de comportements méprisants, sources d'ostracisme aussi subtil que blessant et qui dissolvent le vivre ensemble sans conflits apparents... Cette laïcité de complaisance vis-à-vis du système économique dominant se retrouve, par exemple, dans les pages de nombreux manuels de d'éducation civique, de géographie où sont décrites avec précision les inégalités scolaires nationales, mondiales, les inégalités économiques, sociales culturelles nationales, mondiales sans que la complexité des causes de ces phénomènes ne soit interrogée.

 

En conclusion de cette lecture des manuels d'éducation civique de 6ème, un constat plus que préoccupant : un seul manuel sur dix donne une image d'une laïcité de confiance, laïcité d'intégration /inclusion dans l'espace scolaire,  seule image cohérente avec l'esprit de la Loi de 1905, avec plusieurs textes actuels du ministère de l'Education nationale dont ceux sur l'enseignement des faits religieux. Ce dernier, loin d'être nouveau, était relancé à la suite de la publication de deux rapports très médiatisés, celui de Philippe Joutard en 1991 et celui de Régis Debray en 2002, rapport commandé par Jacques Lang, à l'époque ministre de l'Education,... suite aux attentats du 11 septembre 2001. Aujourd'hui, les faits religieux y sont globalement dévitalisés, quasiment privés de leur dimension symbolique et vus comme relevant des temps anciens.

 

Laïcité de méfiance, d'assimilation/exclusion également omniprésente en histoire géographie 

 

L'image dominante de la laïcité dans les autres manuels d'éducation civique et d'histoire-géographie du collège est encore celle d'une laïcité de méfiance, laïcité d'assimilation/exclusion : manque de rigueur dans les lexiques, contenu trop abstrait, plus centré sur le juridique que sur le culturel, manque de mise en perspective historique, les valeurs du vivre ensemble de la République n'ayant rien à voir avec les ressources des grandes traditions philosophiques et religieuses. Ainsi se trouve renforcé le cliché de l'incompatibilité entre religion et démocratie, cliché qui participe à la construction d'une pensée dogmatique, intégriste, radicale, haineuse. On est loin d'une éducation au développement de l'esprit critique de lélève.

 

Autre exemple de laïcité d'assimilation/exclusion ou de laïcité d'intégration /inclusion dans les manuels. Au  programme de géographie de 4e : "Diversité religieuse et les défis qu’elle pose. " Peu de manuels s'expriment sur les enjeux que représente cette diversité religieuse. Belin montre bien le rôle culturel et social des religions et évoque les cohabitations entre communautés religieuses (p.312-313). Hachette offre deux visions opposées de la diversité religieusesans que des clés soient données aux élèves. Dans la première, les religions sont facteurs de paix : une double page (340-341) est titrée "L'île de La Réunion, un exemple de diversité religieuse", l'auteur donne à voir " une société plurielle et multiculturelle" où, depuis l'an 2000, un groupe rassemblant quatre religions permet " un dialogue régulier entre les responsables des différentes religions présentes sur l'île " et un règlement des tensions. Dans la seconde vision, les religions, et plus particulièrement l'islam, sont facteurs de violence : " Cette diversité doit affronter des défis dans lesquels la résistance à la mondialisation joue parfois un rôle... Le terrorisme d'une petite minorité islamiste notamment bouleverse les équilibres planétaires et fait peser des menaces..." (p.346)

 

Amalgame entre islam et terrorisme rarement décrypté 

 

Un dernier exemple de laïcité de méfiance  teintée d'incompétence par manque de rigueur dans les manuels d'histoire de 3ème de 2012. " Les menaces terroristes" sont au programme. Quelle image implicite de la laïcité s'en dégage ?  Un constat : deux manuels sur sept apportent une pluralité d’éléments d’analyse. Seul Hachette présente clairement l’instrumentalisation d’une religion par un groupe politique. Pour les autres ouvrages, l'amalgame entre islam et terrorisme est une quasi-évidence. Trois lacunes importantes.

 

Tout d'abord, silence est fait sur les causes historiques, économiques, sociales et  culturelles de l'islamisme politique, de cet intégrisme politico-religieux. Ensuite, absence de mise en perspective historique de  formes variées d'intégrismes religieux ou laïques, colonnes vertébrales idéologiques de régimes totalitaires comme le fascisme, le nazisme ou le stalinisme, tous au programme de 3e : l'autre est toujours le barbare qui met la civilisation en danger ; il est l'incarnation du Mal. Enfin, absence de lien entre histoire et éducation civique. 

 

Laïcité de méfiance, d'assimilation/exclusion également dominante dans les textes du ministère

 

Loin de nous l'intention d'accabler tout auteur ou éditeur de manuels. Cette analyse des images de la laïcité dans les manuels appelle une question : quelles images de la laïcité sont véhiculées par les programmes et les divers textes officiels ? Disons d'emblée que les responsabilités sont largement partagées, l'image d'une laïcité de méfiance envers le culturel et le fait religieux est globalement présente aussi bien dans les programmes, le Socle commun des connaissances, des compétences et de la culture, la Charte de la laïcité produits par le ministère, que dans les diverses " ressources pour la classe ", produites par la Dgesco, Direction générale de l'enseignement scolaire ; le thème de la laïcité stricto sensu est cantonné dans les programmes d'éducation civique de collège à la 6e; il y est vu surtout sous un aspect juridique, la dimension culturelle étant fortement gommée. Les programmes d'histoire de 4e/3e devraient prendre en compte l'histoire de la laïcité pour déconstruire l'amalgame : religion incompatible avec la démocratie. La place plus que discrète faite à l'enseignement des faits religieux dans les programmes pose la question de la cohérence avec le discours généreux du Socle et d'autres textes sur les finalités éducatives. 

 

 Laïcité de méfiance et laïcité d'abstention fréquentes sur le terrain

 

Quelles images de la laïcité sont présentées et enseignée dans les classes? Comment les enseignants la présentent-t-ils ? La réponse est difficile. Mais, il semble qu'on assiste à un désengagement progressif de beaucoup enseignants pour l'enseignement moral et civique, considéré comme une mission non fondamentale de l'école et assimilé à l'enseignement moral de la Troisième république. Les enseignants n'ont d'ailleurs aucunement le monopole de ce désengagement par rapport à la transmission de règles de vie commune, face à une administration peu aidante, des parents animés de peurs diverses et légitimes sur ce sujet. Sur le terrain, dans l'enseignement public, une laïcité d'abstention semble concurrencer  la laïcité de méfiance

 

Que va proposer alors notre école - et notre société - comme horizon de sens à notre jeunesse ?

 

La laïcité de méfiance, d'assimilation/exclusion dominante apparaît un frein objectif au Projet d'enseignement moral et civique, sorti récemment,  appelant chaque élève à un engagement citoyen. Le contenu de ce concept doit impérativement changer. Doit-on rappeler la captation par le Front national de ce terme, recyclé dans un discours d'exclusion bien peu républicain.

 

Le 22 janvier 2015, la ministre de l'Education nationale a donc présenté onze mesures symboles de la grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République. Viennent en tête la laïcité et la transmission des valeurs républicaines. En absence d'une définition précise du concept de laïcité, cette mobilisation a priori généreuse risque d'être rapidement improductive. Certes cela n'empêchera pas nombre d'enseignants de continuer à pratiquer une pédagogie 100% laïque, pédagogie d'ouverture au débat et à l'accompagnement d'initiatives citoyennes d'élèves, l'expérimentation du vivre ensemble étant le meilleur "outil" éducatif. Mais, le compte n'y est pas et le temps presse.

 

La laïcité dont a besoin notre école nécessite simplement deux petites révolutions coperniciennes.

La première, un changement de regard de notre société sur sa jeunesse. Michel Serres ne dit-il pas : " Une société qui ne paie pas ses enseignants n'aime pas sa jeunesse." ?                                                                     

La seconde : passer d'une laïcité de méfiance, d'assimilation/exclusion contraire à l'esprit de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat et prêchée par le Front national, à une laïcité de confiance ouverte à la  pluralité culturelle, à une laïcité d'intégration/inclusion où vivre ensemble rime avec fraternité et respect de la dignité de chacun, à une laïcité espace-creuset où s'expérimentent les valeurs républicaines de liberté, d'égalité, de fraternité issues des traditions religieuses et philosophiques, la culture du débat et la pratique d'initiatives citoyennes.

 

Défi que notre société est sommée de relever. Les jeunes, dans et hors l'école, en seront les premiers bénéficiaires et aussi,  à n'en pas douter, les premiers acteurs.  

Dans le cas contraire, l'enseignant, toujours soucieux de déontologie et souvent dans une position quelque peu schizophrène, sera de plus en plus  funambule sur une corde que notre société s'applique - ou s'acharne - à amenuiser. 

                                                

          Alain Merlet et Jean-Marc Noirot  

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12 mars 2015 4 12 /03 /mars /2015 15:59

 

Depuis les attentats des 7 et 9 janvier 2015 à Paris et Montrouge, nombreux sont les regards, pas forcément bienveillants, qui se portent sur l'école. Le 22 janvier 2015, lors d'une conférence de presse sur "Education, jeunesse, citoyenneté, laïcité : l'Etat se mobilise", Najat Jallaud Belkacem, la ministre de l'Education nationale, a lancé "une grande mobilisation de l'école pour les valeurs de la République", et a martelé : "L'école a une fonction morale". Le Premier ministre, quelques jours avant, du haut de la tribune de l'Assemblée nationale, avait crié trois fois le mot : laïcité! Le cri était-il déjà solution?

 

L'école véhicule majoritairement l'image d'une laïcité de méfiance vis-à-vis des religions, une laïcité d'occultation de la diversité culturelle de la société française, soit une laïcité d'assimilation/exclusion en contradiction avec l'esprit des Lumières, avec celui de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat. Cette conception de la laïcité est curieusement proche de la pseudo-théorie du choc des civilisations et de la rhétorique du Front national qui capte le terme même de laïcité pour son discours d'exclusion.

 

Aujourd'hui, le programme d'éducation civique du collège propose le thème laïcité en 6e - et seulement 6e! Que disent les dix manuels de la laïcité mais aussi de l'identité?

La conception d'identité est quasiment exclusivement juridique, elle occulte le pluralisme social et culturel de notre société.

La conception de la laïcité dans les définitions de lexiques comme dans les pages des manuels est celle d'une laïcité de méfiance, une laïcité d'assimilation/exclusion est également omniprésente. et rejoint celle d'une laïcité d'occultation de la diversité culturelle, de méfiance envers le convictionnel et le spirituel, bref  d'une laïcité d'assimilation/exclusion.

Dans les lexiques, l'absence de termes précis risque de peser lourd dans la fabrication ou le renforcement de préjugés, d'amalgames, de discours doctrinaux ou radicaux, religieux ou athées, tous porteurs de peurs, d'exclusion ou de haine. L'histoire de la laïcité française tend souvent à montrer la religion comme par essence opposée à la République.  

 

Une exception : un manuel  dirigé par C.Barideau et D.Dubois (Hatier) offre une toute autre image, celle d'une laïcité de confiance envers le culturel, le convictionnel et le spirituel, une laïcité d'intégration /inclusion. Il est aussi le seul à distinguer prosélytisme et enseignement des faits religieux. 

 

L'image d'une laïcité de méfiance, d'assimilation/exclusion est toujours omniprésente dans les autres manuels d'éducation civique et d'histoire-géographie du collège ; L'amalgame entre islam et terrorisme est rarement décrypté.

Dans les manuels d'histoire, cette image vaut aussi pour les pages traitant des faits religieux globalement dévitalisés, quasiment privés de leur dimension symbolique et vus comme relevant des temps anciens.

 

Loin de nous l'intention d'accabler auteurs ou éditeurs de manuels. Disons d'emblée que les responsabilités sont largement partagées, l'image d'une laïcité de méfiance, d'assimilation/exclusion envers le culturel, le convictionnel, le fait religieux est d'abord omniprésente dans les programmes et divers textes officiels.  

Quant à l'enseignement de la laïcité sur le terrain, les enseignants peu formés, face à une administration peu aidante et des parents animés de peurs diverses et légitimes, semblent avoir opté majoritairement pour une laïcité de méfiance voire pour une laïcité d'abstention.  

 

Notre école, notre société ne sont-elles pas condamnées à une révolution copernicienne? Celle de passer d'une laïcité de méfiance et d'assimilation/exclusion que chérit le Front national, à une laïcité de confiance ouverte à la  pluralité culturelle, à une laïcité d'intégration/inclusion où vivre ensemble rime avec le respect de la dignité de chacun, à une laïcité comme espace-creuset où s'expérimentent les valeurs républicaines  issues des différentes traditions religieuses et philosophiques, la culture du débat et la pratique d'initiatives citoyennes?

 

 Le 11 mars 2015

           

Alain Merlet et Jean-Marc Noirot  

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