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14 octobre 2014 2 14 /10 /octobre /2014 11:06

Rencontre-débat  RELIGIONS et LAICITE  dans les nouveaux manuels scolaires  le 11 juin 2014. 

 

 

Le mercredi 11 juin 2014 de 15h00 à 16h30 à l'initiative du Réseau école laïcité religions (Récolarel) avec le soutien de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) s'est tenue une rencontre-débat sur le thème : Religions et Laïcité dans les nouveaux manuels scolaires d'histoire et d'éducation civique de collège au Bâtiment France, 190 avenue de France 75013 Paris. 

L’auditoire est relativement clairsemé pour cause de grève de transports ferroviaires. L'absence des éditeurs est regrettable ; l'équipe d'auteurs de Lelivrescolaire s'est excusée. les présents sont extrêmement attentifs et visiblement très concernés par le sujet abordé comment le montreront les nombreuses questions posées. 

Sont intervenus Alain Merlet, inspecteur honoraire de Lettres classiques de l'académie de Créteil , Jean-Marc Noirot, enseignant d'histoire-géographie et retraité de l'enseignement public, co-animateurs de Récolarel et Anna Van den Kerchove, responsable formation-recherche de l'IESR.

 

Jean-Marc Noirot rappelle le but de Récolarel créé en 2010. Pour le réseau, si choc des civilisations il y a, c'est d'abord et avant tout un choc des ignorances. Letravail de Récolarel centré sur l'école se fonde sur la volonté de lutter contre les idéologies intégristes et les comportements fanatiques de tout bord et de promouvoir une société plus harmonieuse . Les destinataires de notre propos sont multiples : les éditeurs-auteurs, les concepteurs des programmes, les enseignants  et tout personne intéressée par ce sujet. Les commentaires critiques formulés à l'encontre de tel ou tel aspect des manuels d'histoire et d'éducation civique des collèges n'empêchent pas Récolarel de reconnaitre le travail très complexe des éditeurs et des auteurs. Le détail de ces critiques est développé dans les pages de recolarel.over-blog.com. Un dialogue est souhaité de notre part. Une dernière précision : Récolarel et l'Iesr conduisent ensemble un travail interactif depuis plusieurs années mais il va de soi que l'Iesr n'est pas engagé par les propos de Récolarel  qui parle en son nom propre.

 

Anna Van den Kerchove insiste d'emblée sur la particularité française concernant l'élaboration des manuels scolaires : la production est le fait d'éditeurs privés, les enseignants sont libres de choisir le manuel qu’ils veulent utiliser dans leurs classes en se mettant d’accord entre eux pour choisir un manuel par niveau.

 

 

Analyse des nouveaux manuels d'histoire du collège 

 

une certaine "dévitalisation" des faits religieux....

 

Alain Merlet présente ensuite la synthèse des analyses de la présentation des faits religieux dans les manuels d'histoire de 6ème à la 3ème des collèges de 2009-2013 (1). Il rappelle que ces commentaires prennent en compte les programmes officiels ainsi que le socle commun et les ressources pour la classe, documents à l'usage des enseignants. Il est choisi d'étudier les faits religieux dans les manuels avec un regard délibérément sélectif : l'étude des lexiques, l'étude des textes d'auteurs, des documents d'accompagnent : textes, cartes et iconographie.

1 - Le lexique : avec trois critiques principales : A) absence d'un certain nombre de termes attendus tels que âme, foi, civilisation, mystère, révélation, prière, alors que deux d’entre eux étaient présents dans les éditions antérieures : foi, révélation. B) présence de confusions qui ne sont pas sans conséquence , exemple : islam/islamisme, djihad : combat intérieur/ combat guerrier. C) Autre type de critique, l'imprécision : ce n'est pas la même chose de définir l'antisémitisme comme la "haine" à l'égard des Juifs (3e Hachette, Hatier, Magnard et Nathan), ou de préciser qu'il s'agit de "racisme envers les Juifs" (3e Lelivrescolaire), "doctrine et pratique racistes dirigées contre les juifs" (3e Belin), le racisme étant un délit qui tombe sous le coup de la loi quel que soit le groupe humain concerné.

Ces exigences de précisions ne sont aucunement une perte de temps surtout pour les élèves en difficulté et sont indispensables pour entrer dans la signification symbolique des faits religieux.

2 - Les textes d'auteurs : trois critiques principales.

- Les convictions de croyants ne sont pas respectées par certaines formes de modalisations, où l'énonciateur intervient dans le contenu des énoncés : exemple, pour les juifs, "cette terre leur aurait été promise par leur Dieu." (6e Nathan) ; " pour les chrétiens, Jésus serait ressuscité" (6e Belin) ; " Une sîra raconte comment Muhammad aurait reçu la révélation" (5e Magnard).

- La quasi absence de contextualisation apparaît dans l'étude du judaïsme au 1er siècle de l’ère commune - absence des différentes composantes de la société juive de cette période - et aussi dans celle des débuts du christianisme. Le Coran est présenté d'une façon essentialiste ; rien n'est dit de  l'évolution des commentaires du Coran.

- La présentation de certains textes aboutit à une dévalorisation de récits reçus par les croyants comme porteurs d'un sens essentiel. Les "Ressources pour la classe" ne suggèrent-elles pas pourtant de prendre au sérieux l'étude "des mythes et croyances destinés à donner un sens à l’existence [des sociétés]?"(2). Un manuel - 6e Magnard éd.2009 - s'inscrit clairement dans une optique historico-critique, ce que ne fait pas l'édition suivante.

3 - Les documents :

- Les textes : l'indication des sources des textes "sacrés" manque fréquemment. De nombreuses coupures de documents en dénaturent le sens. Ainsi, celles du texte de la Genèse empêchent de voir ce récit comme un mythe porteur de sens. Celles du Credo, texte d'ailleurs peu cité, ce qui est regrettable, ne permettent pas de présenter la spécificité du christianisme : l'existence d'un dieu trinitaire. Certains questionnements sur les textes s'en tiennent à une littéralité factuelle au lieu d'inviter à la recherche d'une valeur qui la dépasse. Par exemple, il est rare que la traversée de la mer Rouge soit présentée comme le symbole de la libération d'un peuple. Autre exemple, les fêtes religieuses des trois monothéismes sont très présentes mais les prières sont systématiquement gommées.

- Les cartes : certaines n'aident pas à la contextualisation, donc à l'intelligence des faits. Exemple, la carte des voyages de Paul de Tarse n'est pas éclairée, sauf exception, par la mention de la présence de nombreuses communautés juives dans tout le bassin méditerranéen au Ier siècle. Autre exemple, sur les cartes des croisades, les chrétiens d'Orient et les communautés juives d'Europe sont oubliés.

- L'iconographie: elle reste souvent purement illustrative ou sans véritable aide à l'interprétation. Or, l'image a aussi un fonctionnement propre et un sens qu'il est intéressant d'explorer précisément. Exemple, cinq livres de 6e proposent une mosaïque représentant le baptême de Jésus. La présence de la divinité mythologique du dieu fleuve du Jourdain n'est identifiée dans aucun d'entre eux et seuls, Magnard 2009 et 2013 précisent que la colombe représente l'Esprit Saint. En outre,on  aurait intérêt à faire davantage fonctionner entre eux les documents iconographiques et textuels, ce que commencent à faire plusieurs manuels à travers l'histoire des arts.

 

En conclusion,                                                                                                                - des mots-clés absents ou mal définis.                                                                             - des simplifications trop fréquentes.                                                                                 - un certain cloisonnement des connaissances entre chapitres, entre niveaux comme entre disciplines, en particulier l'histoire et l'éducation civique.                                                  Entrer dans un peu de complexité n'est pas de l'encyclopédisme , mais, par l'accès au symbolique, propose du sens, nourrit l'intérêt des élèves, permet une transmission  culturelle et plurielle et une meilleure  compréhension des réalités d'hier ...et d'aujourd'hui. Cette clarification, cette "revitalisation" des faits religieux, est nécessaire pour déconstruire les préjugés, sources de malentendus et de peurs, et peut favoriser les conditions d'un meilleur "vivre ensemble" dans notre société plurielle.

 

Analyse des manuels d'éducation civique

 

Laïcité de méfiance et laïcité de confiance...

 

Jean-Marc Noirot présente ensuite l'image de la laïcité dans les manuels de collège. La laïcité est un thème présent dans le programme d'éducation civique de 6ème et dans celui d'histoire de 4ème.

"Dans les établissements publics, la laïcité est un principe fondamental ...(elle) est à la fois une valeur et une pratique. " : lit-on dans le programme d'éducation civique de 6ème. Qu'en dit-on dans les dix manuels que proposent six maisons d'éditions?  Quelles conceptions de la laïcité sont présentes dans les lexiques et dans les pages qui lui sont consacrées?

1. La laïcité dans les lexiques                                                                                       Tout d'abord, sept manuels choisissent une définition de laïcité telle qu'elle doit s'appliquer dans l'espace public en général. Les définitions mettent l'accent sur une opposition entre Etat et religions sauf un manuel qui précise : "L'Etat garantit cependant la liberté religieuse et le libre exercice des cultes."                                                                                                    Trois éditions seulement définissent la laïcité dans le cadre scolaire, et ce, avec des acceptions très diverses. Magnard éd.2013 propose pour " laïcité " : "refus de faire entrer les croyances religieuses à l'intérieur de l'école publique." Cette définition n'exclut-elle pas implicitement l'enseignement des faits religieux? Nathan éd.2009 donne pour " laïcité " une définition très prudente :" l'Etat ne favorise aucune religion, qui relève de la vie privée. A l'école publique, la religion ne doit pas être ostentatoire (trop marquée) ". L'un des deux manuels Hatier - C.Barideau et D.Dubois - est le seul à donner une définition de laïcité en milieu scolaire sans référence explicite aux croyances religieuses : "neutralité de l'enseignement par respect pour la liberté de conscience des élèves."                                                                                             Cette dernière définition de laïcité est donc la seule sur les dix à être véritablement en cohérence avec l'esprit du programme et à prendre en compte l'existence de l'enseignement des faits religieux.                                                                                                          Concernant les lexiques, quelles notions relevant d'ordinaire du champ sémantique de laïcité sont-elles présentes dans les manuels?

Les notions de conviction, fraternité (3), liberté, opinion et  solidarité sont absentes. Celles d'égalité, dignité, foi, neutralité, pluralisme, prosélytisme, respect, responsabilité, ségrégation, valeur apparaissent une seule fois sur dix. La notion de tolérance apparaît seulement deux fois. Celles de civisme/incivisme, démocratie et liberté de conscience apparaissent trois fois seulement.                                                                                                                Par ailleurs, certaines définitions comme association, citoyen, identité, neutralité et ségrégation sont particulièrement imprécises.                                                                              Seconde remarque : rareté et/ou imprécision de définitions de notions donnant accès à la compréhension de laïcité, et plus particulièrement dignité, liberté de conscience, neutralité et pluralisme.                                                                                                                    Les lexiques présents dans les manuels ne contribuent donc pas à éclairer suffisamment la notion fondatrice de laïcité dans le contexte scolaire, vue majoritairement d'une façon simplificatrice et faussée car opposée aux religions.

 

2.  La laïcité dans les pages des manuels.                                                     

Que disent les manuels - sauf Bordas qui fait l'impasse complète de l'étude de la laïcité - dans les textes d'auteurs, les documents textuels et visuels?                                                             2.1 Concernant les textes d'auteurs, huit manuels ont un discours qui ne distingue pas religion et enseignement des faits religieux : " le collège est laïc...la religion relève de la vie privée et les croyances ne font pas partie de l'enseignement public, comme c'était le cas en France avant la loi de Jules Ferry de 1882. Cela est rappelé dans le règlement intérieur. ": lit-on chez Belin éd.2013. Plus grave, deux manuels - Belin éd.2009 et Hachette A. - présentent une histoire de la laïcité française non contextualisée, donnant une vision réductrice de  la République qui serait, par essence, opposée à la religion. Aucun manuel ne mentionne qu'au XIXe siècle le clergé catholique majoritairement monarchiste et influent était antirépublicain et que le système scolaire était un enjeu vital pour la survie du jeune régime républicain.                                                                                                               L'un des manuels de Hatier - C.Barideau et D.Dubois - offre une toute autre image, celle d'une laïcité de confiance. Il titre, à la page 14, : " L'école respecte mes croyances " et donne comme problématique : " Comment respecter les croyances de chacun?". Toutefois, le terme de convictions ajouté à celui de croyances aurait amélioré ce titre en évitant de se focaliser sur les croyants. Ce manuel est aussi le seul à distinguer prosélytisme et enseignement des faits religieux.                                                                                                          

2.2 Concernant les nombreux documents textuels, ceux-ci par leur choix et leur découpage illustrent généralement l'image de la laïcité véhiculée par le texte d'auteur. On retrouve logiquement deux images opposées : la première, dominante, celle d'une laïcité de défiance, très sourcilleuse sur les signes religieux ; la seconde, très minoritaire, donne à voir une laïcité de confiance parlant autant de dialogue et de respect des différentes convictions que de comportements à sanctionner.                                                                                                 

2.3 Concernant les documents visuels, le manuel Hatier - C.Barideau et D.Dubois se démarque encore des autres. Il présente six photos d'élèves portant des signes religieux et questionne sur les signes autorisés ou interdits à l'école publique .

En conclusion de cette lecture critique de la laïcité dans les manuels d'éducation civique de 6ème, un seul manuel sur dix donne une image d'une laïcité de confiance, image cohérente avec la charte de la laïcité de septembre 2013, en particulier les articles 4, 6 et 8, avec l'esprit du Socle commun et les directives sur l'enseignement des faits religieux à l'école.

 

Conclusion d'ensemble sur la laïcité

Les manuels d'histoire et d'éducation civique de 4ème parus en 2011  donnent de la laïcité une présentation comparable à celle que nous venons de voir : nombreuses définitions  absentes ou très imprécises,présentation de plusieurs documents officiels dont les coupures durcissent et/ou dénaturent l’esprit des textes...

Le long processus pour la mise en place de la laïcité française et la lente évolution des mentalités ne sont pas pris en compte. Ainsi se trouve renforcé le cliché de l'incompatibilité entre religion et démocratie, cliché qui, transposé à l'actualité présente, n'est pas sans conséquence. Cliché qui fonctionne dans deux sens opposés : religion s'opposant à la démocratie, démocratie s'opposant à la religion.

La laïcité, dans les manuels étudiés, est surtout présentée comme une laïcité de méfiance. Cette image prépare bien mal à  l'enseignement des faits religieux et risque fort de renforcer bien des stéréotypes.

 

Conclusion d'ensemble et suggestions

 

Pour des programmes plus cohérents...

 

Ne pas cantonner l'enseignement des faits religieux dans les petites classes de façon à ne pas simplifier ni essentialiser les religions monothéistes et de façon aussi à ne pas les vider de toute dimension d'intériorité.

Se soucier d'une réflexion qui prenne en compte l'ensemble de la scolarité et mette en cohérence toutes les matières concernées : histoire-géographie, éducation civique, ecjs, français, philosophie, arts plastiques, éducation musicale...ainsi que les disciplines "transversales" comme l'histoire des arts et l'enseignement laïque de la morale.

Le but visé est de construire progressivement des notions complexes et des convictions citoyennes en s'interrogeant sur ce que l'on veut que les jeunes sachent, sur le meilleur moment pour cet apprentissage et sur le choix des méthodes pédagogiques les plus adaptées.

Former délibérément les élèves à une étude des faits religieux ouverte à l'analyse, sujette à l'interprétation, intégrant les questionnements existentiels des élèves, préparant au débat, évitant tout dogmatisme et tout fanatisme, s'inspirant des expérimentations déjà mises en place dans ce domaine (4).

 

Pour des manuels eux aussi plus cohérents...

 

- Informer les élèves de la dimension propre des faits religieux par des mots clés bien choisis et bien définis.

- Analyser les documents pour en dégager le sens et la portée symbolique, en mettant le questionnement pédagogique de ces documents, en particulier les images, au service du contenu.

- Ne pas hésiter à multiplier les liens entre les différents chapitres par des annonces et des rappels.

- Faire des liens dans l'étude des faits religieux en histoire et en éducation civique.

- Rapprocher explicitement les enseignements entre tous les différents niveaux du collège et du lycée.

- Face à l'afflux d'images et de savoirs non certifiés que véhicule internet, former délibérément les élèves à l'esprit critique et à la recherche individuelle et collective.

 

(1) Pour plus de détails, voir les études détaillées du blog : recolarel.over-blog.com.

(2) Voir site eduscol.

 (3) Le mot fraternité est curieusement absent des programmes d'éducation civique de collège encore en usage.

(4) Consulter plus particulièrement Le défi de l'enseignement des faits religieux à l'école, Réponses européennes et québécoises, sous la direction de Jean-Paul Willaime, Riveneuve Editions, 2014.

 

 

 

 

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