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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 21:14

 

L'IESR ( Institut Européen en Sciences des Religions), en coopération avec le CIEP(Centre International d'Etudes Pédagogiques), a organisé un colloque international : "École et enseignement des faits religieux en Europe: objectifs et programmes les 20, 21 et  22 septembre 2012.

Le but de ce colloque était de poursuivre la comparaison européenne en se focalisant tout d’abord sur les objectifs assignés à cet enseignement sur les faits religieux non seulement en matière de connaissances et de compétences, mais aussi comme élément d’une éducation à la citoyenneté démocratique dans des sociétés pluralistes. Ce colloque organisée en France suppose d'emblée une distinction préalable entre "Enseignement des Faits Religieux" (EFR) à la française assuré dans plusieurs disciplines et l'heure hebdomadaire de "Religious Education" (RE) que l'on trouve dans les autres pays sous des formes nationales spécifiques. Comparaison à dominante européenne -Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Espagne, France (y compris le cas particulier d’Alsace-Moselle), Italie et Suisse - qui s’est ouverte à la francophonie en intégrant le Québec. 

En attendant les Actes de ce colloque important, Récolarel a souhaité en faire une courte synthèse, moins exhaustive que prospective.

 Quelles réalités ont été présentées? Quelles perspectives entrevues, esquissées?

Des réalités nationales, régionales diverses et complexes

Au niveau européen, nos sociétés  sécularisées sont confrontées à un certain nombre de défis, à une pluralité sociale, culturelle et religieuse et donc à la question du vivre ensemble.

 Pour Jean-Paul Willaime, EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes) - IESR, les gouvernements  - et les opinions publiques - ont pris conscience des enjeux de cette situation nouvelle,  s'impliquent dans des programmes d'enseignement des religions qui sont divers "dans leur conception et leur élaboration, dans leurs options convictionnelles et métaphysiques, dans leur dimension éthique et anthropologique".

En Angleterre, le pays a été sensibilisé à la question religieuse et au rôle de l'islam par les émeutes de 2001 et l'attentat de Londres de 2005. Julia Ipgrave de l'Université de Warwick souligne l'importance grandissante des idées athées dans la RE qui a de plus en plus de succès et devient de plus en plus philosophique. Elle reste préoccupée par le grave problème d'une déshérence collective, l'analphabétisme religieux et conclut : "Aujourd'hui, la RE est au milieu du gué."

En Italie, Roberto Mazzola de l'Université de Piemonte Orientale souligne que l'enseignement confessionnel imposé par le poids historique de l'Eglise catholique se heurte à l'indifférence massive des jeunes en matière religieuse dans une société civile en mouvement. Au souhait d'un enseignement  déconfessionnalisé s'oppose un blocage institutionnel.

En Allemagne, Wolfram Weisse de l'Université de Hambourg dont le land dispense un "cours de religions" obligatoire, expose les finalités et méthodes de celui-ci. Cet enseignement s'attache à montrer les points communs entre toutes les religions tout en faisant apparaître les différences dans leurs ancrages respectifs. Une part importante, voire centrale, est accordée au dialogue dont l'objectif est double: d'une part, la reconnaissance mutuelle de sa différence comme moyen d'avancer dans la découverte de sa propre identité  et, d'autre part, l'invitation à réfléchir, à partir de sa propre expérience, sur des questions d'éthique - le sens de la vie, la justice, la paix... - et à agir de façon responsable, individuellement et en groupe. "Un tel enseignement est une contribution importante à l'éducation à la citoyenneté démocratique" conclut Wolfram Weisse.

Mireille Estivalèzes de l'Université de Montréal présente la situation du Québec qui développe depuis quelques années, dans son enseignement, un programme d'"Ethique et Culture Religieuse" pour promouvoir un meilleur vivre ensemble. Celui-ci poursuit trois compétences : d'abord, réfléchir sur les questions d'éthique avec examen des conduites et valeurs; ensuite, comprendre les phénomènes religieux et établir un lien entre l'expression du religieux et l'environnement social et culturel; enfin, pratiquer le dialogue pour agir de façon responsable par rapport à soi-même et aux autres. L'accueil de cet enseignement ne reçoit que peu d'opposition sauf pour une infime minorité de parents  qui demandent que leurs enfants en soient exemptés : au nom de la liberté de conscience, du danger de "relativisme"- qui ouvre, de leur point de vue, à un prosélytisme athée - et au nom d'une conception de l'éducation "qui rejette la réalité multiculturelle de la société ainsi que le rôle de l'Etat"(citation d'un jugement récent). La formation des maitres est en cours ainsi que l'élaboration des outils pédagogiques dont les manuels, sujet toujours sensible.

Les interventions relatives à la production de manuels scolaires ont montré combien leur élaboration est toujours un lieu de cristallisation d'enjeux idéologiques, philosophiques, confessionnels autant qu'économiques et corporatistes importants. Les processus de validation de ces ouvrages, absents dans certains pays comme la France, sont très divers en Europe, très différents au Québec et en Suisse.

Au Québec existe un bureau d'approbation du matériel scolaire, du manuel de l'élève comme du guide de l'enseignant. Les manuels du cours d'éthique et culture religieuse (ECR) doivent répondre aux deux finalités définies par le ministère: reconnaissance de l'autre qui est "indissociable de la connaissance" et la poursuite du bien commun, et ce, afin de promouvoir un meilleur vivre ensemble. Des compétences et un programme sont définis. Une commission d'une quinzaine de personnes analyse le contenu des ouvrages, sujet "sensible". Dix manuels de quatre maisons d'éditions ont été approuvés. Les enseignants des établissements publics ne sont pas obligés de les choisir. Une enquête sommaire semble montrer une utilisation fort variée des manuels par les enseignants. 

Pour la Suisse, Séverine Desponds et Christine Fawer-Caputo (Haute école pédagogique de Lausanne) présentent une situation particulière. Enbiro (Enseignement biblique et interreligieux roman), maison d'édition de statut privé, fondée en 1967 par les Départements de l'instruction publique des cantons de Vaud, Fribourg et Berne ainsi que par les Églises catholique et protestante, s'est imposée sur le marché et fait référence. Son dernier manuel, Abraham, 2010, (11-12 ans) n'a plus rien de dogmatique et propose des démarches comparatistes et des discussions sur des thèmes existentiels. Il s'agit de faire acquérir des compétences.

Pour l'EFR ou la RE, et au delà de la complexité des contextes nationaux ou régionaux, des convergences apparaissent : refus d'un enseignement catéchétique, approche distanciée et historicisée, plus existentielle et plus philosophique, recherche d'une pédagogie fondée sur le dialogue.

Le cas français

En France, L'EFR, son articulation avec la laïcité, avec l'histoire des arts, sa présence dans les programmes et les manuels en histoire et en français, ont fait l'objet de riches interventions qui ont souligné l'importance de cet enseignement déjà ancien, sa lente évolution et les défis de sa mise en oeuvre dans le cadre d'une nouvelle laïcité.

Philippe Gaudin présente, dans son intervention, une analyse précise et contextualisée de la laïcité à la française. Pour lui, la laïcité a pour horizon et pour but le Code de l'éducation avec un triple souci: développer la personnalité de l'élève, lui permettre de s'insérer dans la société et d'y exercer sa  citoyenneté. On pouvait croire, dit-il, que les années 1985-1995, "les Dix Glorieuses de l'Education"(grand moment de démocratisation/massification), allaient déboucher sur une progression régulière. Philippe Gaudin cite Jacques Berque, grand spécialiste de l'Islam, qui avait bien vu dès 1985, à propos de l'immigration, que "notre unité sera à la mesure de ce que nous allons proposer à ces enfants d'une culture différente". Mais, peu de formations, excepté à l'IUFM de Créteil, ont été proposées aux professeurs de toutes disciplines en ce qui concerne la laïcité et en EFR. La montée en puissance de la société civile, la présence du religieux dans l'espace public rendraient d'autant plus nécessaires une Education civique et une Education Civique Juridique et Sociale pour l'instant trop peu souvent prises au sérieux.

Isabelle Saint-Martin, directrice de l'IESR, rappelle que l'introduction de l'histoire des arts a été mise en place en 2008. La lettre de mission reçue par le ministre de l'époque, Xavier Darcos, présentait cet enseignement comme « un facteur d’élévation individuelle et collective » et lui donne ainsi une mission de civilisation. Cet enseignement est actuellement distribué dans plusieurs matières notamment mais non exclusivement histoire, lettres, arts plastiques, éducation musicale. Cependant certains au sein de l’association des professeurs d’histoire de l’art des universités voudraient un enseignement disciplinaire spécifique. Quoi qu'il en soit, pour aborder les œuvres à sujet religieux (même si toutes ne sont pas nécessairement religieuses), il importe de croiser les deux approches l’histoire des arts et la connaissance des faits religieux.

Stéphanie Laithier et Anna Van den Kerchove (IESR) présentent les programmes d’histoire et les principaux résultats d’une analyse des manuels scolaires. Concernant ces derniers, elles soulignent un effort de la part des éditeurs (plus d’attention au langage, plus de contextualisation), mais la qualité du contenu est parfois inégale. Par exemple,  en 6éme, la présentation de la carte du trajet de Moïse, alors que l’auteur du chapitre indique bien que son existence historique n’est pas assurée. En 4ème, en géographie, la diversité culturelle et religieuse est proposée, dans la mêmeédition, d'une manière contradictoire : d'un côté, un chapitre qui traite de la diversité religieuse pour terminer sur le terrorisme, de l'autre, un exemple de coexistence harmonieuse entre toutes les religions pris dans  l'île de la Réunion (dont l'islam). Les deux conférencières ont ensuite proposé les principaux résultats d’une enquête qualitative effectuée auprès d’une cinquantaine d'enseignants d'histoire de 6ème et 5ème sur la pratique de l’EFR. Une évolution lente se dessine. De la part des  professeurs : un plus grand souci du respect des croyances des élèves est noté, en particulier chez les plus jeunes. La légitimité de l'EFR leur parait incontestable. Toutefois, une méconnaissance des faits religieux peut aller jusqu'à une présentation pas toujours historique des monothéismes chez ces enseignants. Le problème de l'indigence du vocabulaire lié au champ religieux est un véritable obstacle que leur posent leurs élèves tout comme l'est la délicate distinction entre connaissances et croyances. La plupart des problèmes concerne l’islam, avec des raisons diverses et une grande disparité selon les régions et les établissements.

Evelyne Martini, inspectrice pédagogique régionale de lettres modernes de l'académie de Paris situe les programmes de lettres dans le cadre de deux infléchissements qui lui semblent importants pour l'EFR : la réaffirmation du sens et le refus de l'instrumentalisation  des textes, l'importance renouvelée de la vertu du récit. Dans ces programmes, il y a peu d'affichage explicite de l'EFR mais un feu vert donné à tous les niveaux. C'est la classe de sixième où les injonctions sont les plus précises. Au lycée, contrairement à ce qui se passe au collège, il n'y a pas de programmes d'œuvres, mais un éventail de choix d’objets d'étude. Les occasions de traiter des faits religieux dépendent donc de ces objets d’étude et des auteurs que le professeur a choisi d’y intégrer ; le résultat sera évidemment très différent selon qu’on y trouvera Francis Ponge ou Paul Claudel. Tout dépend donc de la bonne volonté et de la culture personnelle des professeurs pour lesquels peu d'outils de formation sont par ailleurs proposés.

 

L'inspecteur général honoraire d'histoire Philippe Joutard a conclu le colloque en présentant l'enseignement des faits religieux comme "une cause d'intérêt national, européen et international." Pour lui, le danger vient de la poussée des mémoires religieuses qui se braquent sur le mythe  des origines, surtout dans l'islam, le judaïsme et le christianisme évangélique, influençant les mémoires politiques et mettant en cause notre système démocratique. Philipe Joutard prône une  approche comparative des religions, met en garde contre une laïcité "étriquée" et s'interroge par ailleurs sur ce que sera "la morale laïque" annoncée par le nouveau ministre de l'Education, Vincent Peillon : "quelle interprétation sera faite de la pensée de Fernand Buisson? L'analyse des diverses spiritualités sera-elle édulcorée?"

Ce colloque européen dont Jean-Paul Willaime a été la cheville ouvrière, a fait prendre conscience aux participants, s'il en était besoin, que les problèmes se posaient de façon très similaire dans les différents pays, d’une certaine manière "nous sommes tous dans le même bateau". Mais si l'EFR/RE est un des instruments que les responsables politiques ont à privilégier, instrument qui peut éveiller ou soutenir chez les jeunes le goût du vivre ensemble, le désir de devenir, selon la belle expression d'un participant, "frères en humanité", les choix politiques et pédagogiques sont très différents selon les pays.

Questions et prolongements possibles pour Récolarel...

·          Questions épistémologiques

- Peut-on, doit-on choisir entre ce que les Anglo-saxons appellent teaching about religion et teaching from religion?

- Quels liens entre L'EFR/RE , la philosophie, l'éthique, l'histoire des arts?

- Comment faire prendre conscience  aux élèves de différents statuts de vérité, vérité de l'ordre du savoir et du contenu de connaissances, d'une part, vérité de l'ordre du croire et du contenu de foi, d'autre part, la première relevant de la recherche historique , la second de l'expérience spirituelle, vérités qui ne s'opposent pas mais ne sont pas du même ordre?

·         Questions déontologiques

- A quel âge  le jeune peut-il commencer à réfléchir à la pluralité des religions sans provoquer l'inquiétude des parents pour la construction de son identité religieuse et culturelle?

- Comment orienter l'élève vers le meilleur usage d'internet dans le domaine de l'EFR/RE,  lui apprendre à décrypter les préjugés qui y circulent?

·         Questions pédagogiques

- Si le dialogue peut être présenté comme instrument pédagogique permettant de quitter la dichotomie entre ce qui est de l'ordre du savoir et ce qui est de l'ordre du croire, quelles sont les conditions précises de sa mise en oeuvre? Quelle part, dans cette perspective, faut-il faire aux questionnements philosophiques et éthiques? Faut-il choisir des thèmes comme justice, paix, pouvoir politique ...et réfléchir à la position de différentes  religions dans ces domaines? Faut-il mettre en parallèle l'histoire des religions et l'histoire de la philosophie? Faut-il analyser des cas d'évènements passés ou présents comme l'affaire Calas, l'affaire Dreyfus ou la récente guerre de Bosnie? Comment sur le plan pratique ces différentes questions peuvent-elles susciter des débats, des dialogues réfléchis, argumentés et vivants dans une laïcité ouverte et respectueuse de tous les points de vue?

- Comment organiser une connaissance mutuelle des objectifs, programmes et outils pédagogiques des différents pays européens et du Québec?

- Quelles formations initiale  et continue pour les maîtres dans l'EFR/RE? S'ils doivent choisir le dialogue, comme instrument pédagogique privilégié n'est-il pas nécessaire qu'ils en bénéficient eux-mêmes dès leur formation?

- Comment actuellement évalue-ton les compétences acquises dans le domaine de l'EFR/RE? Quelles modalités d'évaluation seraient à prendre en compte à l’avenir ?

 

Alain Merlet et Jean-Marc Noirot

Récolarel

Réseau école laïcité religions

 recolarel.over-blog.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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