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23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 15:27

 

Introduction

Avec un thème complexe, chargé d’images, de clichés propices à déclencher des réactions aussi diverses que passionnelles  et une pagination restreinte, les auteurs n’ont certes pas la tâche aisée.  Les simplifications nécessaires peuvent toujours être critiquées. Toutefois, nous nous permettrons quelques commentaires sur des choix qui nous paraissent trop incohérents du point du vue de la pédagogie et du contenu.   Une remarque préliminaire : alors que cinq manuels ont choisi de traiter le thème en quatre pages, un éditeur lui en consacre six et apporte un éclairage plus nuancé sur cette période devenue sujette à polémique.

 

Nos commentaires se diviseront en trois parties :




  1. Chrétienté et christianisme.

Une première critique : les manuels ne distinguent pas période historique et religion, chrétienté et christianisme, ce dernier étant vu sous un jour avant tout négatif.

La plupart des manuels n’ont guère fait d’effort de contextualisation. Ils présentent, sans approfondir la contradiction, une époque mêlant un certain idéal et la montée de l’intolérance religieuse et politique dans l’Europe occidentale chrétienne au Moyen Âge: tout homme devait pratiquer la religion de son prince, le pape se voulait au-dessus des rois et empereurs, mais la référence ultime de ces croyants était un homme-dieu victime des puissances politiques.

Contradiction qui ne peut se comprendre sans une mise en perspective historique et sans références aux débuts du christianisme au programme de l’année précédente. Pas de distinction entre le message des évangiles et celui de l’Eglise – institution ou peuple de croyants – à un moment précis de son histoire. D’où des titres paradoxaux que ne peut saisir l’élève qui a gardé en tête la présentation du christianisme en 6; ils sont plus compréhensibles par les auteurs des manuels que par les élèves : « Les croisades en Orient : une guerre au nom du Christ » chez Bordas, p. 80, ou « Le catholicisme triomphant » chez Hatier, p. 82, ou Nathan, p. 72.

Les manuels abordent les causes complexes de l’expansion chrétienne – « recherche du salut », « désir de gagner le paradis » mais aussi « quête d’aventures » (Magnard p.88) – qui mobilisent toutes les couches de la société chrétienne de l’Occident.  Mais comment passe-t-on du culte des reliques et de l’engouement pour les pèlerinages, démarche pacifique, à des entreprises  guerrières aux buts politico-religieux, économique et territoriaux ?  Qu’en disent les ouvrages ?  Nous retrouverons ces questions dans chacune des deux parties traitées maintenant : les croisades en Orient, la Reconquista et les autres croisades. 

  1. Les croisades en Orient.


Deux remarques concernant les nomes des lieux et les cartes :

Tout d’abord, la destination des croisades et la Terre sainte.  Un manuel, Belin p. 80, précise : « Terre sainte : la Palestine. » Deux autres manuels utilisent également le terme Palestine :   Magnard p. 80,  Nathan p. 70.  Jérusalem est vue implicitement comme une ville chrétienne et musulmane.  Magnard écrit : « Jérusalem, ville sainte de l’Islam » (p.83).  Belin précise : « (Jérusalem) est aussi une des trois villes saintes de l’Islam » (p.80).  Aucun manuel n’indique que Jérusalem est la ville sainte des juifs.  Pas de rappel du programme de 6e traitant du judaïsme et des débuts du christianisme.

En ce qui concerne les cartes, celles-ci, très simplifiées, gomment de nombreux éléments qui appauvrissent ainsi considérablement la compréhension d’une période historique complexe dans un Proche Orient dont l’actualité n’est pas avare en informations. Sur les cartes, l’absence des communautés juives en Occident comme en Orient rejoint le silence des textes des auteurs sur les attaques des communautés juives en Allemagne ou ailleurs au début des croisades, attaques perpétrées dans le double but d’éliminer les premiers « infidèles » rencontrés et de financer les expéditions.  

Aucune carte ne mentionne non plus la présence des communautés chrétiennes : coptes d’Egypte – représentant au XIIe  siècle environ le tiers de la population – ni celles de Palestine, de Syrie, d’Arménie, de Géorgie et de Mésopotamie.  Pourtant tous ces chrétiens sont appelés « Nasrani » - terme signifiant « ceux de Nazareth » - par les Arabes ou les Turcs. Les Kurdes sont également absents des cartes.


Pour les manuels, les causes sont quasi uniquement religieuses.  Des extraits  de l’appel de Pape Urbain II pour les croisades – chaque auteur ayant fait son choix – sont présents dans tous les ouvrages.   Quels sont-ils ? Quelles questions s’y rapportent ?  Quelle lecture distanciée ou non de ces extraits est proposée ?

Deux manuels, Belin p. 80 et Magnard p. 80, citent le passage : «  Le Christ l’ordonne… » Les quatre autres ont gommé cette phrase. Pour quelle raison… ?  L’auteur du manuel Magnard pose la question : « Au nom de qui appelle-t- il (le pape) à la croisade ? » « Quels arguments le pape emploie-t- il  pour convaincre les Occidentaux de s’engager dans les croisades ? », demande l’auteur de chez Hachette p. 74. Mais  que répondra l’élève si rien, dans le manuel ou dans l’explication du professeur, ne vient lui pointer la contradiction entre l’enseignement des évangiles, les pratiques pacifiques des premiers chrétiens et les agissements du pape, de l’institution Eglise, d’une partie du peuple chrétien de cette période de l’histoire ?  Le Christ du pape Urbain II ou de Bernard de Clairvaux cité dans plusieurs manuels est-il le même que celui de Blandine dont les élèves ont dû entendre parler l’année précédente ?

En revanche, le Christ de François d’Assise, à qui Belin consacre une page entière, semble nettement plus proche de celui des évangiles. L’auteur précise que François d’Assise, « l’une des figures les plus remarquables de la chrétienté de l’époque gothique », cherche « à convertir par la persuasion et non par la force.  Il prêche l’amour entre les hommes… » p. 67.



Tous les manuels montrent la violence de ces expéditions guerrières qui dureront deux siècles. Dans une pagination restreinte, la simplification excessive gomme souvent intérêt et… saveur pour cette période historique. L’ élève n’apprendra pas que les Arabes et les Turcs furent d’abord surpris par les qualités guerrières des croisés ainsi que par leurs comportements jugés grossiers, que, pendant les trêves nombreuses, beaucoup des chefs croisés, byzantins, arabes, turcs ont tissé entre eux des nombreuses alliances très éloignées des préoccupations religieuses, que l’appel à la « guerre sainte », « petite djihad » a mis beaucoup de temps à porter du fruit, que l’arrivée des Mongols permettra l’allongement  de la durée du séjour des croisés en Syrie et en Palestine.  Aucun manuel – même celui de Belin – n’a fait allusion à une rencontre insolite, celle de François d’Assise avec Malik Al Kâmil, sultan d’Egypte en plein siège de Damiette en 1219.

Entrer dans un peu de complexité n’est pas de l’encyclopédisme mais nourrit l’intérêt de l’élève, fournit du sens, permet d’approcher la compréhension des réalités d’hier et d’aujourd’hui.

L’élève ignorera que le joyau de l’art gothique à Paris, la Sainte Chapelle, a été construite spécialement pour abriter les reliques apportées des croisades – seul le manuel de chez Belin en parle dans le chapitre sur l’art gothique à la p. 107 –, que les oignons d’Ascalon – entre Jaffa et Gaza – très appréciés par les croisés donnent goût aujourd’hui à nos salades sous le nom d’échalotes.

Certains manuels proposent des « regards croisés » sur un même événement.  Magnard consacre une page (p. 83) à la comparaison de  « deux récits d’un même événement : la prise de Jérusalem » … de 1099 vue par un musulman et par un chrétien.   Les manuels, Bordas (p. 81) et Nathan (p. 71) présentent également un extrait de la relation de cet événement, côté musulman, par Ibn al-Athir faite en 1231.  

Un seul manuel, celui de Hatier (p. 80), signale qu’« en entrant en contact avec la civilisation musulmane, les chrétiens ont pu étendre leurs connaissances ».  Aucun manuel ne renvoie au chapitre sur le monde musulman étudié en début d’année scolaire. Aucun non plus ne se risque à analyser les conséquences de la présence occidentale au Moyen-Orient  pour l’évolution ultérieure du monde arabe.


Quelles conséquences les croisades ont-elles eu sur les rapports entre catholiques et orthodoxes ?  Tous les manuels évoquent le sac de Constantinople en 1204 par les croisés… mais sous-estiment profondément les raisons économiques de cet événement comme dans l’ensemble du conflit. Bordas (p. 78) et Hatier (p. 80) soulignent les conséquences religieuses profondes de cet événement. Serait il incongru de faire un saut dans le temps et d’indiquer deux dates : 1965, levée des excommunications réciproques prononcées au Moyen Âge ; 2001, le pape Jean Paul II demande pardon pour les violences faites par les catholiques romains à l’encontre des chrétiens orthodoxes particulièrement lors du sac de Constantinople.  

Pourquoi le professeur d’histoire – qui enseigne aussi l’éducation civique  - n’aborderai-t-il pas l’actualité en mentionnant la démarche de dialogue entre chrétiens séparés, l’œcuménisme, et celle d’un dialogue entre les différentes religions ?


Les manuels montrent, là encore et justement, une expansion chrétienne sous le signe de la violence largement utilisée contre les « infidèles » en Espagne, les « hérétiques » cathares,  les juifs et  les « païens » baltes et scandinaves. Bordas, dans le texte de la p.72 parle des Germains et des Slaves en les considérant comme « païens », mais il les présente respectivement comme catholiques et orthodoxes sur la carte de la page en vis-à-vis.

 

Quatre manuels sur six font mention de juifs. Hachette (p. 72) donne un « extrait de l’ordonnance de Louis IX (Saint Louis) » en 1269 avec pour titre «  les Juifs mis à part » et pose la question du pourquoi. Aucun élément de réponse n’est fourni. Même remarque pour Hatier (p. 82) qui parle de persécutions « qui vont parfois jusqu’au massacre ».  Magnard (p. 80) est plus précis : « Dans un contexte…. où le devoir d’un chrétien est le combat contre les infidèles… les Juifs aussi sont perçus comme les ennemis de la société chrétienne.  En 1182,  Philipe Auguste procède à la première expulsion des Juifs du royaume de France et, au XIIIe siècle, un concile les oblige à porter un signe distinctif. »  Nathan (p. 72) va plus loin : « Les Juifs ne sont que tolérés : accusés d’être responsables de la mort du Christ, ils subissent des discriminations et parfois des persécutions de la part de la population ou de l’Inquisition. »  Aucun manuel ne parle des livres – Torah et Talmud – brûlés, ou de l’expulsion des musulmans et juifs d’Espagne en 1492, date de la fin de la Reconquista.  Ces derniers seront accueillis en terre musulmane en Afrique du Nord – Maïmonide, par exemple – et dans l’Empire ottoman.

 


Sur ce thème de l’expansion chrétienne, les élèves ne peuvent distinguer parmi les faits ce qui est de l’ordre du politique, de l’économique, du religieux. Les pages des ouvrages confondent message religieux et ce que les hommes en font.  De telles pages ne préparent pas l’élève à comprendre l’histoire complexe des rapports entre l’Orient et l’Occident ; il est à craindre que celles-ci ne contribuent à renforcer l’équation religions = violences. 

Même si dans ces pages, Belin se distingue par une certaine distanciation critique, globalement, les manuels se montrent bien frileux et peu cohérents tant du point de vue des connaissances que des démarches pédagogiques et éducatives exposées.  

Dernier point – valable aussi pour d’autres chapitres des manuels, chaque partie traitée semble être déconnectée des autres, supprimant de nombreuses clés de lecture et, par là,  la perspective historique.  Les modalités d’élaboration des manuels en seraient-elles en partie responsables ?

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16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 13:07

Le monde musulman est enseigné en histoire en 5e. Traitant un programme très – trop ? –  vaste, les manuels ont pour but d’abord de faire de la bonne vulgarisation, puis pédagogiquement, à travers des questionnaires et des illustrations d’ouvrir l’esprit des élèves à des réalités et des mentalités que leur vie quotidienne ne leur permettrait pas de saisir. Il est impossible d’être exhaustif dans si peu de pages et les éditeurs ont fait des choix qui pourront toujours être critiqués par ceux qui pensent que d’autres choix auraient été plus valables. C’est donc avec beaucoup de prudence que je me permets de suggérer quelques points d’attention concernant le monde « musulman ».

La question spécifique qui se pose au traitement du monde musulman est que le livre veut présenter la civilisation musulmane avec ses apports techniques et religieux, mais doit en même temps aborder le fait religieux musulman. Or il ne dissocie pas les deux, ce qui engendre un certain nombre de confusions. Je propose donc de faire deux types de remarques : les premières sur le fond et les deuxièmes sur des points d’attentions très concrets et notamment un nombre impressionnant de petites erreurs qui, cumulées nuisent beaucoup à la crédibilité de l’ensemble du chapitre.

 

Les questions de fond

 

Deux points ont attiré mon attention à la lecture de ces présentations du monde musulman. Le premier est la confusion de la dimension religieuse et de la dimension civilisationnelle, le deuxième est le désir de la « neutralité » par rapport au contenu religieux.

 

Religion et civilisation

 

En traitant du monde musulman, le livre vise surtout à parler de la civilisation portée par la religion musulmane, qui débute avec la naissance de Mohammed en 570, connaît une période d’expansion, puis une période de déclin à partir de la reconquista. Le livre présente ensuite toutes les richesses architecturales, scientifiques et artistiques de cette civilisation.

La difficulté vient du fait que la religion musulmane y est présentée sans distinction, comme si la conquête, puis le déclin concernait aussi bien la religion musulmane que la civilisation arabo-musulmane.

Pour cela, l’accent est mis très largement sur la dimension guerrière de l’islam. La plupart des versets choisis par les livres concernent les combats. Quasiment tous les livres présentent l’islam sous l’angle de la guerre et du djihad qui est toujours défini comme la guerre sainte (on précise parfois qu’il s’agit de la permission de se défendre). Le sens coranique principal du djihad, comme effort intérieur de conversion n’est jamais montré. Les versets du Coran qui appellent à la justice, à la miséricorde, à la conversion intérieure, à la lutte contre le mal et pour le bien sont peu présents.

De plus, à une époque où bien des mouvements fondamentalistes musulmans entretiennent l’amalgame entre la religion musulmane et la grande civilisation musulmane,  invitant les musulmans à retourner à un âge d’or de l’histoire musulmane et à combattre les infidèles, les livres de cinquième viennent paradoxalement entretenir cette vision chez  des élèves d’origine musulmane qui découvrent à cette occasion des dimensions inconnues de leur religion. Elle entretient aussi la peur chez les autres.

Ce qui a du sens pour la civilisation n’en a pas pour la religion.

D’un point de vue religieux, l’islam n’est pas né avec Mohammed, mais est précédé par une longue révélation qui part d’Adam, passe par Moïse (qui a apporté la Torah), Jésus (qui a apporté l’évangile) et trouve son accomplissement dans la révélation du Coran faite à Mohammed. Le rappeler aurait des vertus pédagogiques indéniables pour souligner une base commune entre les religions des élèves. La religion ne connaît pas de déclin quand la civilisation arabo-musulmane connaît un déclin.

Les manuels auraient tout intérêt à distinguer la religion de la civilisation. Ils pourraient d’ailleurs utiliser un usage qui consiste à écrire « Islam » avec un i majuscule quand il s’agit de la civilisation et « islam » avec un i minuscule quand il s’agit de la religion. Les élèves pourraient profitablement entrer dans cette distinction, de la même manière qu’on distingue la chrétienté et le christianisme.

1.2. La neutralité

 

Pour préserver la neutralité lorsqu’ils abordent le phénomène de la révélation coranique, les livres n’ont pas tous la même option. Certains comme Nathan, ou Hachette écrivent : « Mahomet affirme que l’ange Gabriel lui est apparu » (Hachette) ou  « il dit avoir reçu une révélation : l’ange Gabriel lui est apparu » (Nathan) ou « Il déclare avoir reçu une révélation » (Magnard)

Belin utilise le présent : « L’ange Gabriel lui apparaît… »

Quant à Bordas et Hatier, ils utilisent le présent pour raconter la naissance et la vie de Mahomet (ou Mohammed), puis le conditionnel pour la révélation : « l’ange Gabriel lui serait apparu », ce qui évidemment introduit un doute par rapport au reste du texte qui est au présent.

La solution des trois premiers livres nous semble plus neutre. Pourquoi ne pas mettre : « la tradition musulmane rapporte que : … » introduisant aussi à une notion plus complexe mais moins figée qui est le concept de tradition.

 

Les manuels utilisent Mohammed (Bordas, Magnard (sauf dans les documents de la p.23), Belin) ou Mahomet (Hatier, Nathan, Hachette). Nathan et Hachette précisent que Mahomet se dit Mohamed en arabe. L’usage de la translittération arabe n’est pas neutre aujourd’hui. La plupart des musulmans ne sont pas à l’aise avec Mahomet qui a, pour la plupart une connotation moins respectueuse. Il serait opportun que tous les manuels choisissent en tout cas la même appellation et la même orthographe.

 

Plusieurs  livres emploient dans le même sens les mots « idoles » et « divinités ». L’idole est la représentation de la divinité, si elle est adorée comme étant la divinité elle-même (dict.. Robert). Ainsi on trouve dans le livre de Magnard, p. 24 : « la prédication de Mohammed irrite les puissants marchands de la Mecque, car elle s’oppose au culte des idoles qui amenaient de nombreux pèlerins » ; dans Hachette, p. 31, une illustration représente « Mahomet détruisant les idoles (faux dieux) » ;  dans Bordas, p. 30 « Pour la plupart, les Arabes sont polythéistes et adorent des idoles » Même si ces deux mots ont été couramment utilisés comme synonyme dans l’histoire, une telle approche ne rend pas justice aux peuples antéislamiques, laissant croire à un culte sous-développé. Il ne rend pas non plus justice aux religions actuelles qui rendent un culte aux multiples manifestations du divin, comme l’hindouisme. Il est mieux de distinguer « idole » (représentation de la divinité considérée par Mohammed comme une idole, du fait de la foi en l’unique Dieu) et « divinité » ; parler de divinité(s) pour évoquer les dieux des tribus antéislamiques et « d’idoles » pour évoquer les statues qui étaient à la Kaaba et que Mohammed a détruites.

Quelques points d’attention

 

De nombreuses erreurs se sont glissées dans les manuels, parfois des erreurs importantes.

 

Les illustrations :

Il faut signaler d’abord les erreurs dans les illustrations : plusieurs pages sont à l’envers (comme dans un miroir), si bien que l’arabe est illisible. Certaines de ces illustrations à l’envers présentent un Coran, en montrant que ça se lit de droite à gauche, comme Magnard p. 26, indiquant le début de la phrase d’une flèche et le titre d’une sourate d’une autre flèche. Or tout cela est faux, non seulement parce que l’image est à l’envers, mais parce que ce n’est pas le titre d’une sourate qui est indiqué. Toujours chez Magnard, l’illustration de la page 33 est également à l’envers de la même façon.

Etant donné l’importance de la langue arabe pour l’islam et le nombre de musulmans en France il me semble que ces erreurs devraient être évitées.

Chez Nathan p. 27, une calligraphie représente la shahada, mais elle est présentée comme étant la basmallah (au nom de Dieu le miséricordieux…)

Plusieurs livres ont mis une insertion avec un extrait du pacte d’Omar qui définit les relations avec les chrétiens une fois que l’islam est installé. Or il y a plusieurs versions de ce pacte attribué artificiellement à Omar. Une version plus ancienne qui date du IXè siècle laissant aux chrétiens une liberté du culte et de mouvement (Hachette p.34, Hatier p. 37) et une version plus dure du XIème siècle où dans le contexte des conflits entre chrétiens et musulmans, les chrétiens ne sont pas autorisés à construire ou entretenir leur églises et ont des conditions de vies très règlementées (Nathan p. 31 et Magnard p. 31 ou le texte est défini comme un texte du VIIe s !,)) Dans le contexte actuel où beaucoup d’enfants musulmans découvrent l’islam à travers les livres d’histoire, le choix n’est pas neutre, car il suggère que l’islam est par nature, dès le début soit tolérant avec les chrétiens, soit intolérant.)

 

Divers :

 

Il y a beaucoup de petites erreurs qui ne sont pas graves en soi, mais qui, cumulées, nuisent beaucoup à la crédibilité du livre.

 

Belin 

- p. 26 Révélation en 610 et non 611 (cf. P. 32). La tradition ne dit pas que Mohammed dormait au moment de la révélation. Le message est un résumé fait par le livre du message transmis par Ibn Hisham « Tu es le prophète de Dieu et je suis Gabriel, l’ange de Dieu qui t’apporte son message pour que tu le récites »

- p. 30 « les première sourates définissent les bases de la religions musulmane, les autres règlent la vie quotidienne et sociale de croyants ». En fait, c’est l’inverse car les sourates les plus anciennes sont à la fin du Coran et les sourates de messine au début (sauf la sourate al-fâtiha (ouverture))

p. 31 qibla (la direction de la Mecque) est écrit une fois « qibla » et une fois « quibla »

p. 32 Mohammed n’était pas dans le désert, mais dans les grottes du Mont Hira lorsqu’il a eu la révélation. La révélation n’était pas d’abord « qu’allah l’avait choisi comme prophète pour prêcher la soumission à Dieu », mais c’était le Coran

- La premier pilier n’est pas seulement : « croire en un Dieu unique », mais « attester qu’il n’y a pas d’autres Dieu que Dieu et que Mohammed est son envoyé »

- Date de la dynastie Omeyyade 662 et non 632

p. 33 légende de la photo du dôme du Rocher

- D’après la tradition musulmane, le sacrifice d’Abraham se passe à la Mecque et non à Jérusalem !

- Selon la tradition musulmane, ce n’est pas Isaac qu’Abraham était prêt à sacrifier, mais Ismaël, même si le Coran ne dit pas le nom  du fils.

- Plutôt que de dire : « où Mohammed serait monté au ciel » Il vaudrait mieux dire : « La tradition musulmane rapporte que Mohammed, une nuit de 621 a accompli un voyage nocturne à Jérusalem, et de ce rocher, est monté au ciel pour que Dieu lui révèle toute sa grandeur ».

 

Bordas

p. 29 La Kaaba : … cet immense cube considéré comme la « demeure de Dieu ». Une telle notion n’existe pas en islam.

p. 30 « L’ange Gabriel lui serait apparu et lui aurait annoncé qu’il était le prophète du Dieu unique ». C’est un raccourci un peu rapide qui ne rend pas compte de la place centrale du Coran dans la révélation ; il est plus juste de dire : « L’ange Gabriel lui est apparu pour lui révéler la Parole de Dieu et lui demander d’en faire la récitation (en arabe : Coran) auprès des siens. » Pour l’emploi du conditionnel, voir supra.

Contrairement à ce qui est indiqué, le document 2 ne fait pas allusion au moment ou Mohammed reçoit la Révélation (610), mais au voyage nocturne (621)

p. 32 la prière se dit en arabe « salat » et non « rak’a » qui signifie prosternation et qui est donc un élément de cette prière.

p. 34 à propos du djihad, le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra.

 

Hachette 

Un petit détail : p. 32 la prière se dit en arabe « salat » et non « rak’a » qui signifie prosternation et qui est donc un élément de cette prière.

p. 31 : « idole » ne veut pas dire « faux dieux » (voir ci-dessus)

 

Hatier

p. 30 Pour l’emploi du conditionnel voir supra

p. 33 : « le Coran a été écrit après la mort de Mahomet sous la décision du Calife Othman (644-650) ». Il faut écrire : « Les différents feuillets comportant des sourates du Coran ont été rassemblés sous la décision du calife Othmân (644-656 (et non 650 !)) »

p. 36 (texte A1 + intitulé du doc n°2) et p. 346 dans le lexique « « Djihad », le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra

 

Magnard

p. 23 ici les légende de la carte et de la chronologie utilisent Mahomet, alors que le reste du livre utilise Mohammed.

p. 24 : Kaaba : cube de pierre contenant la Pierre Noire… Il vaut mieux dire : « Temple en pierre de forme cubique »

p. 26 Photo à l’envers, voir supra.

p. 27 « des versets contradictoires (il en existe plusieurs, entre lesquels les croyants ont le choix) » : Non, cela dépend des « circonstances de la révélation » qui permet de distinguer les versets qui peuvent en abroger d’autres. Il y a une Science des circonstances de la Révélation (Asbâb al-nuzûl).

p. 30 à propos du djihad, le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra.

p. 31, pacte d’Omar, voir supra.

p. 33, la photo est à l’envers (écriture inversée)

 

Nathan 

p. 22 : La Kaaba considérée comme la « demeure de Dieu ». Ce concept n’est pas musulman

p. 25 « Mahomet se retirait pour prier les dieux de la religion polythéiste ». En dehors du fait qu’une telle phrase ne signifie pas grand chose, puisque chaque tribu avait sa ou ses divinité, Mohammed faisait déjà partie d’un groupe monothéiste lorsqu’il se retirait pour prier sur le Mont Hira.

p. 26 « Le texte complet a été établi 50 ans après la mort de Mahomet. » Même si la rédaction a été complexe et l’objet de tensions pendant bien des années, la tradition attribue à Othmân (644-656) l’établissement du texte complet, ce qui fait 25 ans et non 50.

p. 26 : « la révélation : pour les musulmans, c’est ce que Dieu a dit à Mahomet et à lui seul ». Enlever « et à lui seul », car les musulmans considèrent que le Coran fait suite aux révélations apportées par les prophètes qui ont précédé Mohammed, notamment la Torah révélée à Moïse et l’évangile, révélé à Jésus.

p. 27 

- en haut : la légende ne correspond pas à l’image. L’image illustre la profession de foi (chahada).

- Pour cette profession de foi, au lieu de mettre uniquement la sourate 112 (et non pas sourate 2, verset 112, comme c’est inscrit !), mettre la chahada : « J’atteste qu’il n’y a d’autre dieu que Dieu et que Mohammed est son envoyé. » La sourate 112 peut être mise comme extrait du Coran après.

p. 30 à propos du djihad, le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra.

p. 31, pacte d’Omar, voir supra.

 

Par exemple chez Nathan, p. 30 : « djihad : de l’arabe « guerre sainte », devoir de combattre les non-musulmans jusqu’à ce qu’ils se convertissent ou paient un tribu. »

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16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 13:05

 

La présentation de ces réformes – comme celle de tout fait religieux – est un exercice délicat surtout s’adressant à un public de jeunes ; c’est un truisme de le rappeler.

Dans un programme vaste – trop vaste ? – traiter une telle question est presque une gageure même si l’enseignant dont l’obligation est de « boucler » le programme peut en avoir une interprétation souple. Il est proposé  6 à 8 heures pour traiter la partie : Humanisme, Renaissance, réformes.

Côté éditeurs, Bordas et Hachette ont choisi d’accorder une pagination fournie : 7 à 8 pages contre 4 dans les autres ouvrages.   Ce choix peut permettre une présentation plus pédagogique, moins simplifiée, moins simplificatrice voire moins caricaturale.  

Nous ferons un commentaire en deux parties : une analyse lexicale suivie de remarques sur  les pages traitant des deux réformes.  

 

Quelle place pour le symbolique ?

En ce qui concerne les différents lexiques des 6 éditions, la présence de très nombreuses définitions appartenant au champ religieux – plus d’une centaine – et l’absence d’autres qui, de notre point de vue, seraient indispensables  traduisent un certain malaise à aborder une question difficile. Trente notions nous semblent devoir être présentes comme définitions, tenant compte d’un public composé souvent d’élèves de milieux sans culture religieuse : 25 mots sont présents dans les éditions,  les 5 absents  sont « âme », « communion », « confession », « grâce », « mystère ».

Nous proposerons une définition pour chacun d’eux au cours de notre étude. Deux remarques complémentaires : l’absence d’un terme en tant que définition ne signifie pas que celui-ci soit absent du chapitre concerné.  Par ailleurs, la présence d’un terme dans le lexique n’implique pas une définition toujours pédagogique et juste de notre point de vue. 

Certaines définitions sont plus ou moins pertinentes ou d’une originalité toute relative comme celle, très certainement autobiographique, de la «  pénitence » chez Nathan, p. 64 : « Pratique pénible que l’on s’impose pour se libérer de son péché. » Le terme « péché » n’y est d’ailleurs pas expliqué.

La plupart des éditions ont fortement privilégié un vocabulaire concernant les pratiques religieuses en écartant leur sens symbolique.  La compréhension des faits religieux implique la présentation d’un minimum de concepts liés à la croyance, souvent communs aux autres monothéismes étudiés en 6e ou début 5e.  

La notion de « mystère » est absente. Définition proposée : dogme révélé, inaccessible à la raison (Petit Robert). Comme tous les manuels font une large part à l’art de la Renaissance, à des nombreuses représentations de « Vierge à l’enfant », d’ « Annonciation » - entre autres,   Bordas, p. 157 ou Hachette, p. 171 -, sans référence au mystère de l’ « Incarnation », quel sens donnera l’élève à ces tableaux ? Quelle réponse peut-il donner à une question pourtant posée : « Quelle est la scène biblique représentée ? » Une telle minoration du symbolique, du sens devient également incohérence par rapport aux objectifs pédagogiques et éducatifs.

Un seul manuel, Hachette, utilise le mot « âme » sans le définir. Définition proposée : sens religieux, partie spirituelle et immortelle de l’homme.  Un autre ouvrage, Hatier, cite le mot « grâce » dans une définition de « sacrement » sans explication. Définition proposée : sens religieux, amour de Dieu donné gratuitement aux hommes.

Le terme « communion » n’est pas défini : appelée « eucharistie » (« rendre grâce » en grec) chez les catholiques ou « Sainte Cène » chez les protestants.  Pour les chrétiens, celle-ci fait mémoire du dernier repas de Jésus Christ avant sa mort et sa résurrection ; c’est un mémorial tourné vers le présent et l’avenir. Absence encore plus étonnante, celle du mot « confession » par son lien trop évident avec les « indulgences », l’une des sources de la rupture entre les chrétiens d’Occident.  Définition proposée de « confession » : sacrement où quelqu’un reconnaît ses fautes et s’en détourne.

Un seul ouvrage, Belin, définit « symbole » : ce qui contient un sens caché. Un autre, Hachette, définit « foi » : croyance en Dieu. Deux manuels  seulement , Hachette et Magnard, définissent « salut » qui, pour ces derniers, n’est réalisable qu’après la mort.   Dans le christianisme, le salut commence dès aujourd’hui. Deux ouvrages  seulement, Hatier et Magnard, définissent « dogme ». Deux autres, Belin et Nathan, définissent « révélation ».

 

La Réforme protestante

L’étude des pages consacrées aux réformes du XVIe siècle rejoint le constat éprouvé après l’analyse lexicale : la dimension du croire est mal traitée par rapport à la dimension du savoir.

L’analyse de l’état de l’Eglise catholique au début du XVIe siècle,  dans les 6 éditions, appellent trois remarques : tout d’abord, la critique de l’Eglise catholique n’en aurait pas eu moins de force si les manuels avaient mentionné aussi le rôle social de celle-ci dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’accueil des exclus.  Que dire aussi d’une phrase lapidaire comme : « L’Eglise se préoccupe trop des affaires terrestres » p. 160 Magnard,   alors qu’il serait, de notre point du vue, plus juste d’écrire qu’elle s’en occupe mal et pas assez. 

Ensuite, le terme Eglise est trop souvent utilisé pour désigner indifféremment : l’ensemble des chrétiens, l’institution, le clergé, le haut clergé – qui est issu de la noblesse, ce qu’aucun manuel ne signale. D’où une simplification qui nuit à la compréhension des évènements et phénomènes liés à cette période.  Aussi un élève sera-t-il incapable d’interpréter une caricature protestante comme celle présentée p. 125 chez Belin ou p. 146 chez Nathan.     

Enfin, un auteur chez Bordas écrit : « Le clergé s’éloigne de l’idéal de pauvreté de Jésus » p. 150. L’idéal de Jésus était – et reste pour les chrétiens – un idéal d’amour, de justice,  de pardon… et non de pauvreté.    

En ce qui concerne la Réforme protestante, Martin Luther est présenté comme un personnage tourmenté qui insiste sur une relation personnelle à Dieu – comme l’indique d’une façon précise l’ouvrage d’Hatier. Il est convaincu que seule la foi peut sauver les hommes par opposition à la doctrine catholique pour qui la foi et les œuvres donnent accès au salut.  Tous les manuels ne mettent pas en évidence cette différence. Le lien entre la diffusion des idées de Luther et l’invention de l’imprimerie est souvent pointé, chez Nathan plus particulièrement.  Les Extraits des 95 thèses sont très présents avec des découpages divers, certains mettant l’accent sur une image d’un dieu méchant et justicier, particulièrement chez Magnard – sans préciser que les idées et images à propos de Dieu ont pu évoluer depuis cette époque. Aucune allusion au Luther politique et son implication dans la répression de révoltes paysannes en Allemagne. 

Jean  Calvin, principal théologien de la Réforme protestante, grand humaniste et l’un des premiers penseurs du capitalisme est généralement maltraité dans la plupart des manuels.   Alors qu’il met l’accent sur la grâce (définition supra) il est présenté dans la majorité des manuels surtout sous l’angle d’un sinistre censeur dictant son « Ordonnance des mœurs » à Genève.  Ses écrits sur la prédestination, thème très peu développé dans ses sermons,  cités dans certains manuels, sont difficiles pour des adultes et incompréhensibles pour des jeunes de 5e. Aussi l’idée d’un dieu arbitraire ressortira-t- elle des extraits cités sans un accompagnement compétent et éclairé de l’enseignant. Chez  Nathan, l’auteur écrit : « Calvin reprend les idées de Luther » (p. 146) alors qu’il les développe très largement et les dépasse. L’auteur continue : « Calvin insiste sur la nécessité de mener une vie exemplaire proche des Evangiles ». Sans commentaire du professeur, que comprendra l’élève ?  

Dans les différents manuels, les lignes traitant de l’anglicanisme montrent bien les causes politiques et les conflits de pouvoir entre un roi et le pape dans la naissance de cette nouvelle Eglise.  

 

La réforme catholique

En ce qui concerne la réforme catholique, celle-ci, comme la réforme protestante, ne peut être vraiment comprise si le volet seul des pratiques est évoqué.  Pourquoi telle personne sera qualifiée d’hérétique ? Quels arguments seront utilisés par le tribunal de l’Inquisition pour la condamner ?  Peu d’explications sont données à l’élève qui devra répondre à des questions comme celles formulées p. 155 chez Bordas sur des «Extraits des décrets » du Concile de Trente.  Dans l’histoire des idées, le Concile qui se veut défense de la doctrine chrétienne, de l’institution et de l’ensemble des catholiques ne participe-t-il pas à une certaine régression des idées par rapport au mouvement humaniste comme le fait, entre autres, d’interdire la lecture de la Bible dans la langue vernaculaire, ce que ne disent pas assez, de notre point de vue, les manuels.

 

Conclusion

En conclusion, la présentation des phénomènes religieux liés à ces réformes du XVIe siècle présente un tel déséquilibre entre le traitement des faits collectifs et matériels et celui des faits symboliques et sensibles qu’il est à craindre que la majorité des élèves voient dans ces pages des querelles d’un autre temps, des querelles de rites, tous contraignants surtout chez Calvin, rites attentatoires à la liberté et générateurs de violence. Parler des « principes chrétiens » sans les développer comme le font certains manuels ne contribue-t-il pas à encourager la transmission de clichés, d’arguments erronés d’où germent des comportements d’indifférence ou de haine? Par ailleurs, un auteur de manuel n’ignore pas que le professeur d’histoire enseigne aussi l’éducation civique qui traite des « dimensions de l’identité personnelle », du « refus des discriminations » …et du vivre-ensemble. Pourquoi alors ne prendrait-il pas l’initiative de parler brièvement des rapprochements entre chrétiens au XXe, de ce « mouvement favorable à la réunion des Eglises chrétiennes en une seule » (Petit Robert), l’œcuménisme ?

A noter enfin, non sans étonnement, la présence de nombreuses cartes sur « les divisions religieuses de l’Europe à la fin de XVIe siècle » où les orthodoxes sont souvent exclus, où  les sujets de l’Empire ottoman sont sans religion (Bordas p. 153, Hachette p. 166, Magnard p. 143), où juifs et musulmans sont absents.

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