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11 décembre 2013 3 11 /12 /décembre /2013 13:34

Eclairages partiels sur le colloque des 18 et 19 octobre 2013 sur l’enseignement laïque de la morale et l’enseignement des faits religieux organisé par l'Institut Européen en Sciences des Religions.

 

Le colloque qui vient de se tenir sur ces enseignements transversaux était d’une telle richesse et d’un tel intérêt qu’il mérite quelques réactions immédiates  à chaud en quelque sorte, que le temps permettra ensuite d’approfondir et d’affiner. Les propos qui suivent sont donc délibérément subjectifs et extrêmement partiels. Leur seul mérite est de pointer dès maintenant certaines idées et propositions qui nous ont paru essentielles d’un point de vue théorique et pratique parmi les passionnantes contributions des intervenants qui semblaient souvent se compléter et se prolonger entre elles assez naturellement.

 

une morale enseignée et non imposée...

 

Pour lancer le colloque, le directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye a souligné la nécessité d’un humanisme fondé sur la culture du respect et le refus des discriminations et de l’endoctrinement. Humanisme  qui implique une morale enseignée et non imposée et qui débouche sur la transmission de valeurs et sur leur mise en pratique.

 

Le président du conseil de direction de l’IESR, Gérald Chaix se réfère à la charte de la laïcité : l’enseignement des faits religieux est fondé sur la scientificité, l’historicité, s’oppose à tout fondamentalisme, implique une réflexion permanente, des actions de formation, des publications. La laïcité fonde le vivre ensemble, questionne le rôle des disciplines et la formation initiale des enseignants à qui elle doit donner des outils sans les y enfermer.

 

La directrice de l’IESR, Isabelle Saint-Martin, souligne qu’il ne s’agit pas d’essentialiser la notion de faits religieux (au pluriel désormais!). Il convient de les situer dans le cadre européen (cf. le colloque de Sèvres de septembre 2012). On étudie des cas concrets dans leur dimension anthropologique, sociale, culturelle, dans leur conséquence dans les manières de vivre. Il s’agit de prendre acte sans prendre parti dans le croisement de la dimension laïque et morale.

 

Après cette triple introduction, Laurence Loeffel, rapporteure de la mission sur l’enseignement moral à l’école présente le projet d’un enseignement laïque de la morale.

L’horizon du commun se perd ; quel universel fait lien ? L’école pose de manière critique et parfois douloureuse la question du « nouage » de l’individu et du commun : comment se sentir relié aux autres en période d’individualisation et de défaillance du symbole ? Le rapport prend acte de l’échec des propositions dogmatiques concernant le rapport aux normes scolaires et propose de  rechercher en commun des normes partagées ou partageables. « Il faut avoir des convictions pour se tenir quelque part » dit Paul Ricoeur.

 

Philippe Gaudin, responsable de formation recherche à l’IESR termine son intervention par des propositions concrètes précises. A l’école primaire, recourir aux récits, aux mythes en n’oubliant pas le goût naturel des jeunes enfants pour la métaphysique. Au collège, on peut recourir aux œuvres artistiques, littéraires et musicales d’un grand intérêt symbolique. Au lycée, les grandes questions éthiques, biologiques, bioéthiques…Il s’agit d’articuler l’enseignement laïque du symbolique et les croyances religieuses.

 

Abdennour Bidar, chargé de mission à la DGESCO, fait retour sur la notion de lien et se réfère à Pierre Hadot et à l’art de vivre. Faire lien, c’est se relier à l’univers, se relier aux autres, mais d’abord se relier à soi-même, "affronter un trou de déliaison radicale". Il faut être capable de se saisir des programmes de philosophie dans cet esprit et former le personnel enseignant à s’en saisir.

 

Frédérique Leicher-Flack, maître de conférence à Nanterre retrouve d’emblée la distinction déjà posée entre morale prescrite et morale enseignée. Le contexte social est celui d’une crise du civisme et des déchirures de la société. Dans un monde en désarroi, la morale ne tombe plus d’en haut, les valeurs s’éprouvent en situation. La littérature peut fonctionner comme un laboratoire d’expériences de questionnements moraux. On apprend par le laboratoire des cas littéraires à se couler dans la vie des autres. Le texte devient le support d’une herméneutique pluraliste, laboratoire des cas de conscience.

 

Questionnement sur la hiérarchie des valeurs...

 

Anna Van den Kerchove, responsable de formation recherche à l’IESR, reprend les fondements de l’étude de l’histoire : les anecdotes morales jouent un rôle essentiel chez Hérodote.
L’histoire reste aujourd’hui un réservoir d’expériences humaines : les sacrifices, les persécutions des chrétiens, l’esclavage peuvent devenir l’objet de questionnement sur la hiérarchie des valeurs. D’une manière concrète, on peut envisager des modules transdisciplinaires de deux heures tous les quinze  jours en français et en histoire par exemple sous forme de débats dont on précisera contenu, méthodes et formation.

 

Charles Coutel, directeur de l’Institut d'Etude des Faits Religieux, à Amiens, demande que l’interdisciplinarité se fasse avec des disciplines maîtrisées et rappelle une phrase de Lévinas : « Une humanité morale antérieure à toute révélation est présupposée par la révélation même. » Il s’interroge ensuite philosophiquement sur les conditions a priori d’un enseignement laïque de la morale. Il réclame une évaluation de la maîtrise d'éléments lexicaux  comme patrie, nation, territoire,  maîtrise favorable à la mémorisation et à la  prise de conscience.

 

Le lendemain matin, Isabelle Saint-Martin souligne qu'enseignement des faits religieux, histoire des arts, enseignement laïque de la morale sont trois "non disciplines".

La morale en images d’Epinal qui sont montrées présente des modèles vertueux et une surabondance des vertus chrétiennes. Au-delà, la finalité de l’histoire des arts, c’est l’élévation individuelle et collective, c’est donner des éléments d’identité nationale, c’est ouvrir à l’altérité.

En butte aux critiques,  l'histoire des arts résiste et concerne la peinture, mais aussi le théâtre, le cinéma, la musique : les TPE sont, pour elle, un lieu de croisements et une voie royale.

 

Hanifa Cherifi fait le récit circonstancié de l’histoire de septembre 89 à Creil où trois cousines nullement appuyées par leur famille se présentent au lycée avec un foulard et sont refoulées par le principal. Quatre ans plus tard l’affaire rebondit et Hanifa Cherifi explique son rôle de médiatrice à la demande de Mme Veil. Elle analyse l’adhésion de ces jeunes comme le recours à une identité de substitution et à un islam moins religieux qu’idéologique.

 

Jean Baubérot, directeur d’études émérite à l’EPHE présente la morale laïque sous la III° République à partir de l’étude rigoureuse de 207 cahiers d’écoliers entre 1882 et 1914 selon deux axes : la dignité humaine et la solidarité sociale qui n’exclut nullement par ailleurs scientisme, sexisme et racialisme. Pas de stigmatisation des marginaux néanmoins. Les tricheries sociales sont dénoncées. Et la dynamique de la solidarité fait que la morale laïque n’est pas limitée à l’école. La génération paye sa dette culturelle (pas seulement envers le christianisme) en faisant avancer la civilisation, en organisant une solidarité collective à l'origine de notre Sécurité sociale actuelle. Le cataclysme de la grande guerre va être pour cette morale républicaine une victoire à la Pyrrhus. Mais, malgré ses impensés - inégalités de genres par exemple -, saurons-nous être aussi inventifs qu’elle le fut en son temps ?

 

une « laïcité positive de confrontation »...

 

Jean-Paul Willaime, directeur d’études à l’EPHE présente le plaidoyer de Paul Ricoeur pour une « laïcité positive de confrontation ». La laïcité d’abstention de l’Etat cantonne l’école dans une neutralité mortelle ; la laïcité de la nation est vivante, prend en compte son buissonnement et un vouloir vivre ensemble : la laïcité positive de confrontation est ouverte à toutes les possibilités spirituelles de la société séculière avec une seule règle : le respect de la personne de l’enfant. Des éléments importants sont à prendre en compte : les transcendances religieuses et séculières sont affaiblies ; il y a un désenchantement des idéaux séculiers naguère survalorisés ; la radicalisation de la sécularisation participe au désenchantement ; nous sommes pris dans une logique de l’incertitude : défi technologique, ultra libéralisme ; l’humanisme est questionné. Le débat devient public sur les questions comme le genre, le mariage de couples homosexuels. Les pluralités de religions et de cultures sont là parmi nous. Il faut des informations, des confrontations. S’impose l’éducation à la discussion ; préparons les enfants à être de bons discutants. Préparons le débat argumenté avec procédure de vérification, cohérence, apprentissage de la diversité  et des désaccords raisonnables.

 

une méthode pédagogique de l'ouverture...

 

Philippe Portier, directeur d'études à l'EPHE, précise que le projet Peillon s'inscrit dans une réflexion internationale sur le développement de l'éducation, une des priorités de celle-ci étant de "refaire du lien". Il propose d'analyser en trois périodes l'évolution historique de l'enseignement laïque de la morale.

Tout d'abord, construction de la morale laïque. Celle-ci repose sur l'angoisse de la dissolution de la cité au XIXème. Est inventé un dispositif normatif. L'Etat s'appuie sur l'Eglise avant de s'affirmer contre elle à partir de 1880. Le référent républicain prône comme première valeur la dignité des hommes qui associe deux affirmations : celle de l'autonomie de l'individu et celle de la solidarité. Le désir de la personne se trouve toujours encadré par la norme de la raison.

Puis, obsolescence du référent républicain. Surtout, depuis les années 60, on observe en Europe une dissolution de la culture traditionnelle. En France, plus particulièrement, le corps social se transforme avec un nouveau régime de la subjectivité : côté philosophie, déconstruction de notions comme celle de raison (Foucault); côté démocratie,  affirmation de l'individu. Le concept de désir l'emporte sur celui de raison. La reconfiguration de l'Etat entraîne celle de l'école, même si la structure de cette dernière ne change pas. L'école se dissocie des moralités d'hier. Changement significatif : l'Instruction civique et morale disparaît au profit des Faits économiques et sociaux dans les années 70. A la république se substitue le libéralisme.

Enfin, reconfiguration du modèle républicain. Le déficit de cohésion risquant d'anémier notre société, il importe de "refaire du lien" à partir de deux options contradictoires : être seul et aspirer à la restauration du lien. En matière d'éducation, deux pistes sont à cultiver. Premièrement, des enseignements comme l'enseignement laïque de la morale et l'enseignement des faits religieux ont des fonctions communes cognitives et éthiques mais l'enseignement laïque de la morale relève du prescriptif et l'enseignement des faits religieux de l'analytique. Ces deux pôles se croisent posant la question du sens, du rapport à soi, aux autres, au monde. Deuxièmement, une méthode pédagogique de l'ouverture doit privilégier le modèle du réseau au modèle pyramidal. Il n'y a plus d'objectivité imposée. Si les normes morales sont constitutionnelles, seule la confrontation avec le réel permet de faire travailler sa propre conscience et penser sa propre existence. Le principe d'expérience prime et les études de cas sont indispensables.

 

Lors de la table ronde finale, Charles Conte, chargé de mission et d'études sur la laïcité à la Ligue de l'enseignement, insiste sur le fait que l'enseignement laïque de la morale et l'enseignement des faits religieux n'intéressent pas seulement les disciplines mais l'ensemble de la vie scolaire. Il souhaite que soit faite une véritable évaluation de l'utilisation des nouvelles techniques du numérique en matière d'éducation.

 

Eric Vinson, directeur de l'Institut de formation pour l'étude et l'enseignement des religions à Dijon, met laïcité comme fait religieux au pluriel. Il souhaite des lieux académiques pour poser toutes questions relatives à ces deux domaines d'une grande complexité, des lieux de formation et d'élaboration d'outils d'évaluation comme il en existe déjà ailleurs en Europe. Enfin, il demande que la société civile soit mobilisée sur ces sujets.

 

Valentine Zuber, maitre de conférences à l'EPHE, s'interroge sur l'opportunité même d'un enseignement laïque de la morale à l'école publique. L'apprentissage moral des enfants ne devrait relever, selon elle, que de l'éducation familiale tandis que l'école devrait essentiellement se concentrer  sur l'apprentissage de connaissances, c'est à dire l'instruction. Elle critique aussi certains points de la récente Charte de la laïcité à l'école qu'elle trouve par trop contextualisés et comportant ainsi des risques pour la défense des libertés. Elle plaide enfin pour une enseignement qui fasse la part belle au débat de type démocratique, comme un entraînement nécessaire à l'apprentissage de la citoyenneté. 

Quelques remarques finales de Récolarel...

 

Quelques remarques finales sur le colloque sur l’enseignement laïque de la morale et l'enseignement des faits religieux.

 

Il est impressionnant de voir que ce colloque sans doute porté par le sujet a fonctionné d’une manière collective, les apports de l’un prenant leur sens par les apports d’un autre ou de plusieurs autres : on pouvait facilement tisser des liens entre les interventions des représentants des disciplines (philosophie, lettres, histoire, histoire des arts) mais aussi entre eux et les sociologues ou historiens.

 

Une exigence commune est apparue, la précision lexicale : vivre ensemble ne prend de sens fort que lorsqu’il s’agit de vouloir vivre ensemble ; le perfectionnisme n’est pas le méliorisme ; la notion de spiritualité est une référence trop floue. Quelques notions-clés  sont interrogées avec insistance : l’individualisme contemporain et la nécessité de faire lien  dans ce contexte individualiste, le lien, par delà la famille et les amis,  avec autrui et/ou avec ce qu'on a en commun, l'ouverture à l’altérité et la nécessité de favoriser l'accès au symbolique.

D’accord sur des éléments du diagnostic, les intervenants se sont  retrouvés  sur certains remèdes : il ne s’agit pas de revenir à la morale de Jules Ferry quelles qu’aient été ses mérites, ni d’introduire une morale substantielle mais de favoriser l’étude critique de cas, y compris de cas de conscience dans une éthique du débat organisé, construit, évalué : des pratiques servent ici de références, celles des TPE et de l’ECJS auxquelles plusieurs se sont référés. Mais d’autres propositions ont été faites de modules de deux heures en lettres-histoire par exemple…

 

Des prolongements possibles...

 

Oser un enseignement de la fraternité

 

Ces points d’accord sont certes très encourageants. L'accent mis sur l’acquisition de l'esprit critique et la discussion est quand même plus adapté au lycée qu'au collège et surtout qu'à l'enseignent primaire.  La culture des débats suppose une adhésion antérieure aux valeurs qu'ils sont censés inculquer et déjà une certaine forme de maturité.

 Comment ne pas tenir compte des spécificités individuelles des élèves alors même que notre époque est celle du triomphe de l’individualisme ? Ne craignons pas d’assumer une légitime posture d’autorité pour lutter efficacement contre tous les fondamentalismes. Toute affirmation prescriptive n’est pas disqualifiée : on a le droit de dire à de jeunes élèves qu’il existe des règles et des lois auxquels tous les citoyens d’un pays ont à  se conformer. 

Sans oublier les potentialités si nombreuses des jeunes élèves - créativité, prise d'initiative, capacité d'organisation d’actions concrètes de solidarité...qui ouvrent des perspectives.

Les élèves ne sont pas des esprits sans corps ! Ils sont pris dans la longue durée de l’histoire, c’est vrai mais ils appartiennent aussi à l’espace d’aujourd’hui, celui d’une certaine école, d’un certain quartier, d’une ville, d’un pays qu’il vaudrait mieux dans un souci d’efficacité pratique chercher à comprendre et à prendre en compte non pour en rester là mais pour pouvoir continuer à progresser ensemble.

Est-il possible d'imaginer des échanges concrets entre ces deux "non-disciplines", l'enseignement laïque de la morale et celui des faits religieux? Par exemple, l'étude d'un tableau comme celui de Bartolomeo Manfredi, Caïn tuant Abel, celui de Tiepolo, Etéocle et Polynice ou celui de Rubens, Réconciliation de Jacob et d'Esaü, peut susciter une réflexion collective sur les conflits fraternels et s'inscrire dans le prolongement d'une étude esthétique rigoureuse.

Enfin, il existe une autre dimension que l'enseignement laïque de la morale devrait s’approprier : plutôt que de ressasser des discours antiracistes qui piétinent, on devrait s’occuper, dans les écoles, des modalités théoriques et pratiques d’un enseignement effectif du troisième terme de la devise républicaine si ambitieux soit-il, celui de fraternité.

 

 

Récolarel

Réseau école laïcité religions

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