3. RACISME, ANTISEMITISME ET NAZISME
Des documents riches questionnés très diversement
Pour que l'élève puisse avoir des éléments de compréhension de cette tragédie procédant d'un pouvoir conquérant et exterminateur, quatre questions se posent: 1. Quelle part d'adhésion - et son évolution - de la population allemande à ce système totalitaire est présentée dans les manuels? 2. Quelle part de soumission- et ses degrés de complicité? 3. Quelle capacité de résistance avaient les différentes oppositions politiques au régime nazi? 4. En amont, de ces trois premières questions, quel contexte historique et culturel, quels systèmes de pensée ont permis ou autorisé l'inacceptable?
Nous nous proposons de répondre à ses questions dans cette partie, mais aussi dans celles numérotées et intitulées: 5. Racismes et nationalismes et 7. Culte de la personnalité et nazisme.
3.1. La valorisation de l'"homme aryen"
3.1.1. La valorisation de l'"homme aryen" par l'image
Les images se rapportant à l'"homme aryen" sont nombreuses. Elles occupent un espace d'autant plus important que les nouveaux programmes offrent à l'Histoire des arts une place importante. Les auteurs ont respecté largement cette consigne dans l'ensemble des pages étudiées. Ce constat est valable pour la présentation valorisante de l'"homme aryen" par l'image sauf chez Belin, celui n'employant aucunement le terme. L'art comme instrument d'endoctrinement des esprits par le régime nazi est particulièrement bien présent chez les six autres éditeurs: Bordas (p.78), avec une sculpture en bronze de 1939 d'Arno Breker, représentant un homme nu, musclé, prêt au combat, chez Hatier (p. 75) et Nathan (p. 71), avec un bas-relief du même sculpteur, montrant le protecteur nu, viril, à l'expression guerrière, ou chez Lelivrescolaire (p. 92), avec une image du film Les Dieux du stade, 1938, de Leni Riefenstahl, représentant un lanceur de disques répondant aux "canons du néoclassicisme nazi".
Ce même éditeur, à la même page, ainsi qu'Hatier (p. 74) ont la bonne idée de présenter en parallèle "l'art dégénéré" vu par les nazis avec l'affiche de l'exposition sur celui-ci à Munich en 1937,pour le premier, et un extrait du guide de l'exposition, pour le second. Les questionnements sont à propos.
Bordas présente, à la page 74, un document judicieusement choisi: "l'Aryen et la caricature du Juif pour un livre d'enfants" d'Elvira Bauer, Nuremberg, 1936. Deux images: à gauche, un homme blond, musclé, torse nu tenant une bêche à la main regardant d'un air méprisant un homme gras, chauve, le nez crochu, le cigare à la bouche, le regard peureux. Les commentaires des deux images inculquent le sens de l'esthétique nazie et incitent à la haine des Juifs. Une question appropriée suit: "Quels sentiments cherche-t-on à susciter chez le jeune lecteur?"
Magnard choisit également de présenter deux documents d'un poids pédagogique fort pour faire comprendre « une idéologie de la "race" »(p. 56): l'illustration d'un livre pour enfants, Allemagne, 1936 et un extrait d'un manuel de pédagogie de 1937 présentant des profils de garçons et de filles dont la morphologie du nez permettait l'identification "raciale".
3.1.2 La valorisation de l'"homme aryen" par les textes
Des longs extraits de Mein Kampf (Mon combat), Hitler, 1925 sont cités chez Bordas (p. 74), Hatier (p.70), Hachette (p. 74),Nathan (p. 67), l'idée martelée étant que "Les Aryens ont été les seuls fondateurs d'une humanité supérieure, celle qui a créée la civilisation."
Aucun manuel ne signale la contradiction entre le discours exaltant "l'homme aryen" et le projet nazi d'endoctrinement de la jeunesse, projet évoqué dans Hitler m'a dit d'Hermann Rauschning, Hachette, 1939. Lelivrescolaire en cite un extrait: "Je ne veux aucune éducation intellectuelle. Le savoir ne ferait que corrompre mes jeunesses..." (p. 65)
3.2. La haine de l'autre, d'abord et surtout du Juif
Tous les manuels par l'image et les textes montrent l'idéologie raciste et antisémite du nazisme ainsi que ses conséquences politiques. Mais certains ont fait des choix donnant un plus à penser.
3.2.1 La haine de l'autre, d'abord et surtout du Juif, par l'image
On observe une grande richesse dans le choix pédagogique des éditeurs.
Rappelons les documents iconographiques destinés à endoctriner les jeunes esprits présentés ci-dessus où Aryens et Juifs caricaturés étaient comparés morphologiquement: Bordas (p. 74) et Magnard (p. 56).
Lelivrescolaire, à la page 59, présente un document particulièrement éloquent sur cette haine d'un régime raciste et antisémite. Il s'agit du tableau des "insignes distinctifs portés par les détenus" d'après Eugen Kogon. L'enfer organisé. Le système des camps de concentration. 1947. "Montrez la diversité des victimes de la terreur nazie?": est-il questionné très justement.
Belin, à la page 71, montre une affiche "allemande" de 1942 : un homme gras, la tête aux traits grossiers prêtés par l'idéologie nazie aux Juifs, en sautoir, une chaîne d'or portant une étoile à six branches. L'homme se cache derrière les drapeaux américain, soviétique et anglais. Le slogan de l'affiche est :"Et derrière les puissances ennemies, le juif". Ce document mérite plus que la simple question: "Quel thème de propagande cette affiche exploite-t-elle?"
Deux manuels pointent l'intolérance d'un régime et l'apparente passivité d'une société en présentant une photo d'humiliation publique de personnes allemande et juive mariées (Hatier, p.73) ou accusées d'avoir eu des relations sexuelles (Bordas, p .83).Sur cette dernière photo de 1933, on voit, entourés de SA, la milice nazie, un homme et une femme portant chacun un panneau. Sur le premier: "Comme tout Juif, je n'emmène que des jeunes Allemandes dans ma chambre", sur le second: " Je suis la grosse truie qui ne va qu'avec des Juifs."
Si l'on compare, sur ce même thème, les nouveaux manuels avec les précédents issus des programmes de 1998, on est surpris de voir qu'aucun ouvrage n'ait repris l'affiche de l'exposition nazie de 1937 à Munich, "Le juif éternel", présente dans trois manuels : Bordas (p. 72), Hatier (p. 68) et Nathan (p. 85); ce dernier en faisait une excellente exploitation pédagogique et donnait à comprendre la construction et la diffusion de stéréotypes antisémites.
3.2.2. La haine de l'autre, d'abord et surtout du Juif, dans les textes
Tous les manuels citent les lois antisémites de Nuremberg de 1935 et les ordonnances de 1938. Six - Belin (p. 55), Bordas (p. 74), Hachette (p. 67), Hatier (p. 70), Magnard (p. 56) et Nathan (p. 67) - donnent des extraits importants de Mein Kampf (Mon combat), Hitler, 1925: le plus cité est: "Une fraction restreinte, mais puissante, de la population mondiale a choisi le parasitisme... L'espèce la plus dangereuse de cette race est la juiverie."
Lelivrescolaire (p. 57) et Magnard (p. 51) - ce dernier dans une traduction curieuse - présentent des extraits du Programme du parti nazi de 1920, dont l'article 4:" Seuls les citoyens bénéficient des droits civiques. Pour être citoyen, il faut être de sang allemand, la confession importe peu. Aucun Juif ne peut donc être citoyen."
Magnard, toujours à la même page, dans un document titré très pertinemment "la singularité radicale du nazisme", donne un extrait d'une lettre d'Hitler, datée du 16 septembre 1919, où il exprime son antisémitisme: "...Son objectif final et immuable doit être l'élimination des juifs en général."
Deux manuels présentent des documents d'endoctrinement à destination de la jeunesse plus que parlants. Hatier, à la page 73, donne deux extraits d'un manuel scolaire nazi. Deux exercices de mathématiques sont proposés: Le premier demande le pourcentage de Juifs dans la population allemande en 1933. Quant au second: " Un aliéné coûte chaque jour 4 Reichsmarks. D'après des estimations, il y a quelque 300 000 aliénés et épileptiques dans les asiles. Calculez combien coûtent-ils annuellement. Combien de prêts aux jeunes ménages à 1000 Reichsmarks pourrait-on faire si cet argent pouvait être économisé?". Lelivrescolaire présente le même document ajoutant un élément tronqué chez le précédent éditeur: "un invalide (coûte) 5,5 marks, un criminel 3 marks..." (p.59). Les questions liées permettent aux élèves d'aller au-delà de l'émotion et de dégager l'essentiel du document: "Quelles idées les nazis veulent-ils faire passer à travers les exercices de mathématiques?" interroge Hatier, "Quelle conclusion cet exercice de mathématiques suggère-t-il?" demande Lelivrescolaire qui est le seul à utiliser le terme d'eugénisme dont la définition est imprécise.
Il nous semble difficile de ne pas parler d'eugénisme qui est un concept qui éclaire une des facettes les plus sombres du nazisme
Un seul manuel présente un texte traitant de la réception des Allemands à l'idéologie raciste nazie désignant les Juifs comme boucs-émissaires, responsables de la crise profonde économique et sociale. Excellent choix de Hachette (p. 76) d'un extrait de Ma jeunesse au service du nazisme, Melita Maschmann, adhérente des Jeunesses hitlériennes, 1967: " on entendait sans cesse répéter que l'une des raisons de ce triste état de choses était l'influence grandissante des Juifs...".
Les manuels présentent clairement les deux principales formes d'extermination: les Einsatzgruppen - Hatier propose une excellente double page (90-91) - et les camps d'extermination. Mais deux ouvrages seulement présentent des extraits de la conférence de Wannsee de janvier 1942 où fut décidée la construction des camps d’extermination: Hachette (p. 97) et Nathan (p. 84)!
La haine distillée par le nazisme se porte aussi sur les Tsiganes, les homosexuels et les malades mentaux. Plusieurs manuels en parlent de manières diverses, depuis la simple mention jusqu'à une place non négligeable. Pour les Tsiganes, trois ouvrages titrant une double page: "le génocide des Juifs et des Tsiganes" - Belin, p. 72-73, Hachette, p.96-97 et Nathan, p.84-85. Les deux derniers présentent un bilan des exterminations. Seul Hachette cite ses sources: "Populations juives: environ 5 700 000 (entre 54% et 64% des Juifs vivants en Europe en 1939) ; Tziganes: 240 000 (34% de la population vivant en Europe à la veille de la guerre. Ce bilan comptabilise également "l'euthanasie des malades mentaux: 70 000 et les prisonniers soviétiques: 3 500 000." Belin (p. 73) et Hachette (p. 95) montrent un plan du camp d'Auschwitz avec le secteur réservé à l'internement des Tsiganes.
Belin (p. 73) choisit de présenter un extrait de Auschwitz-Birkenau. Leçon des ténèbres, Plon, 1995, d'André Rogerie, déporté en avril 1944. Celui-ci relate l'extermination des Tsiganes du camp à l'occasion d'une rébellion dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944.