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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 13:28

L'Enseignement moral et civique, un beau projet mort-né ?

L'introduction de l'Enseignement moral et civique (EMC), évènement le plus important de cette rentrée scolaire, est un projet ambitieux, pas tout à fait nouveau. Dans quel contexte se situe-t-il ? Quel est son contenu ? Quelles sont ses chances de fécondité ?

L'EMC qui se veut " grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République " s'inscrit dans une société qui fait de plus en plus allégeance à un système financier mondial, efficace entreprise de démolition de valeurs de la République, plus précisément de l'égalité et de la fraternité...au nom de la liberté! Contexte rude!

Si les avions décollent mieux par vents contraires, qu'en est-il de l'aéronef Education nationale et de son projet EMC ? Ce dernier dont la feuille de route est loin d'être claire a-t-il alors quelques chances de décoller?

Parmi les éléments positifs de ce projet : son ampleur - il concerne tous les élèves du cours préparatoire à la terminale - ; une pédagogie à entrées multiples - la sensibilité, le jugement, la règle et le droit, l'engagement - , son choix d'ouverture à l'environnement familial et social.

Parmi les éléments sources de questionnement : un concerne les objectifs du projet, les autres, les modalités de mise en oeuvre.

A propos des objectifs, pourquoi ne pas avoir donner plus de cohérence au projet en choisissant d'introduire une initiation à la philosophie dès la Seconde ? A ce sujet, le très instructif rapport Séré d'avril 2007 sur "L'enseignement de la philosophie en baccalauréat professionnel : évaluation du dispositif mis en œuvre dans l'académie de Reims " ne mérite pas de rester dans un tiroir de l'Inspection générale de l’Éducation nationale.

A propos des modalités de mise en oeuvre du projet, plusieurs questions concernant : la formation des enseignants ou plus précisément son absence, d'autant plus criante que l'EMC peut être faite par tout enseignant, quelle que soit sa discipline ; la rareté des ressources pédagogiques ; l'absence de méthodes d'évaluation.

De nombreux enseignants d'histoire préférant déjà terminer leur programme pléthorique et ne pas faire d'éducation civique, l'évitement risque de se poursuivre. Autre cause importante, le flou sur les contenus, en particulier l'absence de définitions claires de notions centrales comme laïcité ou identité. Qu'en est-il, par exemple, de ces deux notions dans les manuels d'éducation civique ? Un groupe du "Réseau école laïcité religions", Récolarel s'est attelé à cette tâche et en fait un bilan assez consternant. (1)

En ce qui concerne la définition de la laïcité, celles présentes dans huit manuels sur dix d'éducation civique de 6e sont partielles et marquées par une méfiance envers le religieux, exemple : "Neutralité religieuse" (Belin 2009), " Principe d'indépendance par rapport à la religion " (Bordas 2009). On est loin d'une définition plus précise et plus éclairante, centrée sur "la liberté de conscience " qu'on retrouve seulement dans Hatier (Barideau-Dubois) et Magnard 2009.

En ce qui concerne la notion d'"identité", les définitions présentent dans ces mêmes manuels des catégories formelles - nom, prénom, date et lieu de naissance...- qui ne permettent pas de prendre en compte le fait que l'identité de chaque individu est constituée d'appartenances multiples, différemment hiérarchisées au fil du temps, dans la société plurielle et multiculturelle où nous vivons en 2015.

Autre questionnement, l'articulation préconisée entre L'EMC et l'enseignement laïque des faits religieux (ELFR) - articulation mentionnée également par l'Observatoire de la laïcité dans son rapport de juin.

Quant à sa mise en oeuvre, on peut émettre quelques craintes dans la mesure où l'ELFR est un enseignement mal perçu par des enseignants non formés. L'enquête faite par Sébastien Urbanski, L’enseignement du fait religieux : une enquête dans trois collèges in REE (Recherches en éducation)de janvier 2015, présente les très nombreuses difficultés de mise en oeuvre d'un projet aux justifications insuffisantes et contesté sur bien des points par un nombre non négligeable d'enseignants. Le ministère de l'éducation nationale proposera, avant la fin de l’année, un parcours de e-formation (site internet M@gistère) à l’enseignement laïque des faits religieux. Le contenu de cette formation se démarquera-t-il de la "dévitalisation" des faits religieux repérée dans de nombreux manuels scolaires, dévitalisation que craignait déjà Régis Debray dans son rapport de 2002 ? Enfin, et surtout, les nouveaux programmes annoncés pour la fin septembre seront-ils profondément remaniés?

En conclusion, dans un contexte rude de démocratie fragilisée, l'EMC est ô combien nécessaire pour l'éducation à la citoyenneté. En l'état, ce beau projet est peu crédible. Sa durée de vie risque d'approcher celle d'un mort-né si ses concepteurs laissent autant de flous dans les contenus et de lacunes dans les modalités d'application, en particulier dans la formation des enseignants. Pour éviter un processus d'évitement ou une dérive vers " un catéchisme républicain hypocrite "(Jean Baubérot), l'urgence est à la mise en place d'une formation à la hauteur de l'enjeu citoyen, formation de qualité qui devrait comprendre, comme le formule si justement le ministère, "la formation à la conduite de débats argumentés et la formation à l’éthique de la discussion requise pour cela ".

(1) voir recolarel.over-blog.com

Jean-Marc Noirot,

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