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16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 13:05

 

La présentation de ces réformes – comme celle de tout fait religieux – est un exercice délicat surtout s’adressant à un public de jeunes ; c’est un truisme de le rappeler.

Dans un programme vaste – trop vaste ? – traiter une telle question est presque une gageure même si l’enseignant dont l’obligation est de « boucler » le programme peut en avoir une interprétation souple. Il est proposé  6 à 8 heures pour traiter la partie : Humanisme, Renaissance, réformes.

Côté éditeurs, Bordas et Hachette ont choisi d’accorder une pagination fournie : 7 à 8 pages contre 4 dans les autres ouvrages.   Ce choix peut permettre une présentation plus pédagogique, moins simplifiée, moins simplificatrice voire moins caricaturale.  

Nous ferons un commentaire en deux parties : une analyse lexicale suivie de remarques sur  les pages traitant des deux réformes.  

 

Quelle place pour le symbolique ?

En ce qui concerne les différents lexiques des 6 éditions, la présence de très nombreuses définitions appartenant au champ religieux – plus d’une centaine – et l’absence d’autres qui, de notre point de vue, seraient indispensables  traduisent un certain malaise à aborder une question difficile. Trente notions nous semblent devoir être présentes comme définitions, tenant compte d’un public composé souvent d’élèves de milieux sans culture religieuse : 25 mots sont présents dans les éditions,  les 5 absents  sont « âme », « communion », « confession », « grâce », « mystère ».

Nous proposerons une définition pour chacun d’eux au cours de notre étude. Deux remarques complémentaires : l’absence d’un terme en tant que définition ne signifie pas que celui-ci soit absent du chapitre concerné.  Par ailleurs, la présence d’un terme dans le lexique n’implique pas une définition toujours pédagogique et juste de notre point de vue. 

Certaines définitions sont plus ou moins pertinentes ou d’une originalité toute relative comme celle, très certainement autobiographique, de la «  pénitence » chez Nathan, p. 64 : « Pratique pénible que l’on s’impose pour se libérer de son péché. » Le terme « péché » n’y est d’ailleurs pas expliqué.

La plupart des éditions ont fortement privilégié un vocabulaire concernant les pratiques religieuses en écartant leur sens symbolique.  La compréhension des faits religieux implique la présentation d’un minimum de concepts liés à la croyance, souvent communs aux autres monothéismes étudiés en 6e ou début 5e.  

La notion de « mystère » est absente. Définition proposée : dogme révélé, inaccessible à la raison (Petit Robert). Comme tous les manuels font une large part à l’art de la Renaissance, à des nombreuses représentations de « Vierge à l’enfant », d’ « Annonciation » - entre autres,   Bordas, p. 157 ou Hachette, p. 171 -, sans référence au mystère de l’ « Incarnation », quel sens donnera l’élève à ces tableaux ? Quelle réponse peut-il donner à une question pourtant posée : « Quelle est la scène biblique représentée ? » Une telle minoration du symbolique, du sens devient également incohérence par rapport aux objectifs pédagogiques et éducatifs.

Un seul manuel, Hachette, utilise le mot « âme » sans le définir. Définition proposée : sens religieux, partie spirituelle et immortelle de l’homme.  Un autre ouvrage, Hatier, cite le mot « grâce » dans une définition de « sacrement » sans explication. Définition proposée : sens religieux, amour de Dieu donné gratuitement aux hommes.

Le terme « communion » n’est pas défini : appelée « eucharistie » (« rendre grâce » en grec) chez les catholiques ou « Sainte Cène » chez les protestants.  Pour les chrétiens, celle-ci fait mémoire du dernier repas de Jésus Christ avant sa mort et sa résurrection ; c’est un mémorial tourné vers le présent et l’avenir. Absence encore plus étonnante, celle du mot « confession » par son lien trop évident avec les « indulgences », l’une des sources de la rupture entre les chrétiens d’Occident.  Définition proposée de « confession » : sacrement où quelqu’un reconnaît ses fautes et s’en détourne.

Un seul ouvrage, Belin, définit « symbole » : ce qui contient un sens caché. Un autre, Hachette, définit « foi » : croyance en Dieu. Deux manuels  seulement , Hachette et Magnard, définissent « salut » qui, pour ces derniers, n’est réalisable qu’après la mort.   Dans le christianisme, le salut commence dès aujourd’hui. Deux ouvrages  seulement, Hatier et Magnard, définissent « dogme ». Deux autres, Belin et Nathan, définissent « révélation ».

 

La Réforme protestante

L’étude des pages consacrées aux réformes du XVIe siècle rejoint le constat éprouvé après l’analyse lexicale : la dimension du croire est mal traitée par rapport à la dimension du savoir.

L’analyse de l’état de l’Eglise catholique au début du XVIe siècle,  dans les 6 éditions, appellent trois remarques : tout d’abord, la critique de l’Eglise catholique n’en aurait pas eu moins de force si les manuels avaient mentionné aussi le rôle social de celle-ci dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’accueil des exclus.  Que dire aussi d’une phrase lapidaire comme : « L’Eglise se préoccupe trop des affaires terrestres » p. 160 Magnard,   alors qu’il serait, de notre point du vue, plus juste d’écrire qu’elle s’en occupe mal et pas assez. 

Ensuite, le terme Eglise est trop souvent utilisé pour désigner indifféremment : l’ensemble des chrétiens, l’institution, le clergé, le haut clergé – qui est issu de la noblesse, ce qu’aucun manuel ne signale. D’où une simplification qui nuit à la compréhension des évènements et phénomènes liés à cette période.  Aussi un élève sera-t-il incapable d’interpréter une caricature protestante comme celle présentée p. 125 chez Belin ou p. 146 chez Nathan.     

Enfin, un auteur chez Bordas écrit : « Le clergé s’éloigne de l’idéal de pauvreté de Jésus » p. 150. L’idéal de Jésus était – et reste pour les chrétiens – un idéal d’amour, de justice,  de pardon… et non de pauvreté.    

En ce qui concerne la Réforme protestante, Martin Luther est présenté comme un personnage tourmenté qui insiste sur une relation personnelle à Dieu – comme l’indique d’une façon précise l’ouvrage d’Hatier. Il est convaincu que seule la foi peut sauver les hommes par opposition à la doctrine catholique pour qui la foi et les œuvres donnent accès au salut.  Tous les manuels ne mettent pas en évidence cette différence. Le lien entre la diffusion des idées de Luther et l’invention de l’imprimerie est souvent pointé, chez Nathan plus particulièrement.  Les Extraits des 95 thèses sont très présents avec des découpages divers, certains mettant l’accent sur une image d’un dieu méchant et justicier, particulièrement chez Magnard – sans préciser que les idées et images à propos de Dieu ont pu évoluer depuis cette époque. Aucune allusion au Luther politique et son implication dans la répression de révoltes paysannes en Allemagne. 

Jean  Calvin, principal théologien de la Réforme protestante, grand humaniste et l’un des premiers penseurs du capitalisme est généralement maltraité dans la plupart des manuels.   Alors qu’il met l’accent sur la grâce (définition supra) il est présenté dans la majorité des manuels surtout sous l’angle d’un sinistre censeur dictant son « Ordonnance des mœurs » à Genève.  Ses écrits sur la prédestination, thème très peu développé dans ses sermons,  cités dans certains manuels, sont difficiles pour des adultes et incompréhensibles pour des jeunes de 5e. Aussi l’idée d’un dieu arbitraire ressortira-t- elle des extraits cités sans un accompagnement compétent et éclairé de l’enseignant. Chez  Nathan, l’auteur écrit : « Calvin reprend les idées de Luther » (p. 146) alors qu’il les développe très largement et les dépasse. L’auteur continue : « Calvin insiste sur la nécessité de mener une vie exemplaire proche des Evangiles ». Sans commentaire du professeur, que comprendra l’élève ?  

Dans les différents manuels, les lignes traitant de l’anglicanisme montrent bien les causes politiques et les conflits de pouvoir entre un roi et le pape dans la naissance de cette nouvelle Eglise.  

 

La réforme catholique

En ce qui concerne la réforme catholique, celle-ci, comme la réforme protestante, ne peut être vraiment comprise si le volet seul des pratiques est évoqué.  Pourquoi telle personne sera qualifiée d’hérétique ? Quels arguments seront utilisés par le tribunal de l’Inquisition pour la condamner ?  Peu d’explications sont données à l’élève qui devra répondre à des questions comme celles formulées p. 155 chez Bordas sur des «Extraits des décrets » du Concile de Trente.  Dans l’histoire des idées, le Concile qui se veut défense de la doctrine chrétienne, de l’institution et de l’ensemble des catholiques ne participe-t-il pas à une certaine régression des idées par rapport au mouvement humaniste comme le fait, entre autres, d’interdire la lecture de la Bible dans la langue vernaculaire, ce que ne disent pas assez, de notre point de vue, les manuels.

 

Conclusion

En conclusion, la présentation des phénomènes religieux liés à ces réformes du XVIe siècle présente un tel déséquilibre entre le traitement des faits collectifs et matériels et celui des faits symboliques et sensibles qu’il est à craindre que la majorité des élèves voient dans ces pages des querelles d’un autre temps, des querelles de rites, tous contraignants surtout chez Calvin, rites attentatoires à la liberté et générateurs de violence. Parler des « principes chrétiens » sans les développer comme le font certains manuels ne contribue-t-il pas à encourager la transmission de clichés, d’arguments erronés d’où germent des comportements d’indifférence ou de haine? Par ailleurs, un auteur de manuel n’ignore pas que le professeur d’histoire enseigne aussi l’éducation civique qui traite des « dimensions de l’identité personnelle », du « refus des discriminations » …et du vivre-ensemble. Pourquoi alors ne prendrait-il pas l’initiative de parler brièvement des rapprochements entre chrétiens au XXe, de ce « mouvement favorable à la réunion des Eglises chrétiennes en une seule » (Petit Robert), l’œcuménisme ?

A noter enfin, non sans étonnement, la présence de nombreuses cartes sur « les divisions religieuses de l’Europe à la fin de XVIe siècle » où les orthodoxes sont souvent exclus, où  les sujets de l’Empire ottoman sont sans religion (Bordas p. 153, Hachette p. 166, Magnard p. 143), où juifs et musulmans sont absents.

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