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16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 13:07

Le monde musulman est enseigné en histoire en 5e. Traitant un programme très – trop ? –  vaste, les manuels ont pour but d’abord de faire de la bonne vulgarisation, puis pédagogiquement, à travers des questionnaires et des illustrations d’ouvrir l’esprit des élèves à des réalités et des mentalités que leur vie quotidienne ne leur permettrait pas de saisir. Il est impossible d’être exhaustif dans si peu de pages et les éditeurs ont fait des choix qui pourront toujours être critiqués par ceux qui pensent que d’autres choix auraient été plus valables. C’est donc avec beaucoup de prudence que je me permets de suggérer quelques points d’attention concernant le monde « musulman ».

La question spécifique qui se pose au traitement du monde musulman est que le livre veut présenter la civilisation musulmane avec ses apports techniques et religieux, mais doit en même temps aborder le fait religieux musulman. Or il ne dissocie pas les deux, ce qui engendre un certain nombre de confusions. Je propose donc de faire deux types de remarques : les premières sur le fond et les deuxièmes sur des points d’attentions très concrets et notamment un nombre impressionnant de petites erreurs qui, cumulées nuisent beaucoup à la crédibilité de l’ensemble du chapitre.

 

Les questions de fond

 

Deux points ont attiré mon attention à la lecture de ces présentations du monde musulman. Le premier est la confusion de la dimension religieuse et de la dimension civilisationnelle, le deuxième est le désir de la « neutralité » par rapport au contenu religieux.

 

Religion et civilisation

 

En traitant du monde musulman, le livre vise surtout à parler de la civilisation portée par la religion musulmane, qui débute avec la naissance de Mohammed en 570, connaît une période d’expansion, puis une période de déclin à partir de la reconquista. Le livre présente ensuite toutes les richesses architecturales, scientifiques et artistiques de cette civilisation.

La difficulté vient du fait que la religion musulmane y est présentée sans distinction, comme si la conquête, puis le déclin concernait aussi bien la religion musulmane que la civilisation arabo-musulmane.

Pour cela, l’accent est mis très largement sur la dimension guerrière de l’islam. La plupart des versets choisis par les livres concernent les combats. Quasiment tous les livres présentent l’islam sous l’angle de la guerre et du djihad qui est toujours défini comme la guerre sainte (on précise parfois qu’il s’agit de la permission de se défendre). Le sens coranique principal du djihad, comme effort intérieur de conversion n’est jamais montré. Les versets du Coran qui appellent à la justice, à la miséricorde, à la conversion intérieure, à la lutte contre le mal et pour le bien sont peu présents.

De plus, à une époque où bien des mouvements fondamentalistes musulmans entretiennent l’amalgame entre la religion musulmane et la grande civilisation musulmane,  invitant les musulmans à retourner à un âge d’or de l’histoire musulmane et à combattre les infidèles, les livres de cinquième viennent paradoxalement entretenir cette vision chez  des élèves d’origine musulmane qui découvrent à cette occasion des dimensions inconnues de leur religion. Elle entretient aussi la peur chez les autres.

Ce qui a du sens pour la civilisation n’en a pas pour la religion.

D’un point de vue religieux, l’islam n’est pas né avec Mohammed, mais est précédé par une longue révélation qui part d’Adam, passe par Moïse (qui a apporté la Torah), Jésus (qui a apporté l’évangile) et trouve son accomplissement dans la révélation du Coran faite à Mohammed. Le rappeler aurait des vertus pédagogiques indéniables pour souligner une base commune entre les religions des élèves. La religion ne connaît pas de déclin quand la civilisation arabo-musulmane connaît un déclin.

Les manuels auraient tout intérêt à distinguer la religion de la civilisation. Ils pourraient d’ailleurs utiliser un usage qui consiste à écrire « Islam » avec un i majuscule quand il s’agit de la civilisation et « islam » avec un i minuscule quand il s’agit de la religion. Les élèves pourraient profitablement entrer dans cette distinction, de la même manière qu’on distingue la chrétienté et le christianisme.

1.2. La neutralité

 

Pour préserver la neutralité lorsqu’ils abordent le phénomène de la révélation coranique, les livres n’ont pas tous la même option. Certains comme Nathan, ou Hachette écrivent : « Mahomet affirme que l’ange Gabriel lui est apparu » (Hachette) ou  « il dit avoir reçu une révélation : l’ange Gabriel lui est apparu » (Nathan) ou « Il déclare avoir reçu une révélation » (Magnard)

Belin utilise le présent : « L’ange Gabriel lui apparaît… »

Quant à Bordas et Hatier, ils utilisent le présent pour raconter la naissance et la vie de Mahomet (ou Mohammed), puis le conditionnel pour la révélation : « l’ange Gabriel lui serait apparu », ce qui évidemment introduit un doute par rapport au reste du texte qui est au présent.

La solution des trois premiers livres nous semble plus neutre. Pourquoi ne pas mettre : « la tradition musulmane rapporte que : … » introduisant aussi à une notion plus complexe mais moins figée qui est le concept de tradition.

 

Les manuels utilisent Mohammed (Bordas, Magnard (sauf dans les documents de la p.23), Belin) ou Mahomet (Hatier, Nathan, Hachette). Nathan et Hachette précisent que Mahomet se dit Mohamed en arabe. L’usage de la translittération arabe n’est pas neutre aujourd’hui. La plupart des musulmans ne sont pas à l’aise avec Mahomet qui a, pour la plupart une connotation moins respectueuse. Il serait opportun que tous les manuels choisissent en tout cas la même appellation et la même orthographe.

 

Plusieurs  livres emploient dans le même sens les mots « idoles » et « divinités ». L’idole est la représentation de la divinité, si elle est adorée comme étant la divinité elle-même (dict.. Robert). Ainsi on trouve dans le livre de Magnard, p. 24 : « la prédication de Mohammed irrite les puissants marchands de la Mecque, car elle s’oppose au culte des idoles qui amenaient de nombreux pèlerins » ; dans Hachette, p. 31, une illustration représente « Mahomet détruisant les idoles (faux dieux) » ;  dans Bordas, p. 30 « Pour la plupart, les Arabes sont polythéistes et adorent des idoles » Même si ces deux mots ont été couramment utilisés comme synonyme dans l’histoire, une telle approche ne rend pas justice aux peuples antéislamiques, laissant croire à un culte sous-développé. Il ne rend pas non plus justice aux religions actuelles qui rendent un culte aux multiples manifestations du divin, comme l’hindouisme. Il est mieux de distinguer « idole » (représentation de la divinité considérée par Mohammed comme une idole, du fait de la foi en l’unique Dieu) et « divinité » ; parler de divinité(s) pour évoquer les dieux des tribus antéislamiques et « d’idoles » pour évoquer les statues qui étaient à la Kaaba et que Mohammed a détruites.

Quelques points d’attention

 

De nombreuses erreurs se sont glissées dans les manuels, parfois des erreurs importantes.

 

Les illustrations :

Il faut signaler d’abord les erreurs dans les illustrations : plusieurs pages sont à l’envers (comme dans un miroir), si bien que l’arabe est illisible. Certaines de ces illustrations à l’envers présentent un Coran, en montrant que ça se lit de droite à gauche, comme Magnard p. 26, indiquant le début de la phrase d’une flèche et le titre d’une sourate d’une autre flèche. Or tout cela est faux, non seulement parce que l’image est à l’envers, mais parce que ce n’est pas le titre d’une sourate qui est indiqué. Toujours chez Magnard, l’illustration de la page 33 est également à l’envers de la même façon.

Etant donné l’importance de la langue arabe pour l’islam et le nombre de musulmans en France il me semble que ces erreurs devraient être évitées.

Chez Nathan p. 27, une calligraphie représente la shahada, mais elle est présentée comme étant la basmallah (au nom de Dieu le miséricordieux…)

Plusieurs livres ont mis une insertion avec un extrait du pacte d’Omar qui définit les relations avec les chrétiens une fois que l’islam est installé. Or il y a plusieurs versions de ce pacte attribué artificiellement à Omar. Une version plus ancienne qui date du IXè siècle laissant aux chrétiens une liberté du culte et de mouvement (Hachette p.34, Hatier p. 37) et une version plus dure du XIème siècle où dans le contexte des conflits entre chrétiens et musulmans, les chrétiens ne sont pas autorisés à construire ou entretenir leur églises et ont des conditions de vies très règlementées (Nathan p. 31 et Magnard p. 31 ou le texte est défini comme un texte du VIIe s !,)) Dans le contexte actuel où beaucoup d’enfants musulmans découvrent l’islam à travers les livres d’histoire, le choix n’est pas neutre, car il suggère que l’islam est par nature, dès le début soit tolérant avec les chrétiens, soit intolérant.)

 

Divers :

 

Il y a beaucoup de petites erreurs qui ne sont pas graves en soi, mais qui, cumulées, nuisent beaucoup à la crédibilité du livre.

 

Belin 

- p. 26 Révélation en 610 et non 611 (cf. P. 32). La tradition ne dit pas que Mohammed dormait au moment de la révélation. Le message est un résumé fait par le livre du message transmis par Ibn Hisham « Tu es le prophète de Dieu et je suis Gabriel, l’ange de Dieu qui t’apporte son message pour que tu le récites »

- p. 30 « les première sourates définissent les bases de la religions musulmane, les autres règlent la vie quotidienne et sociale de croyants ». En fait, c’est l’inverse car les sourates les plus anciennes sont à la fin du Coran et les sourates de messine au début (sauf la sourate al-fâtiha (ouverture))

p. 31 qibla (la direction de la Mecque) est écrit une fois « qibla » et une fois « quibla »

p. 32 Mohammed n’était pas dans le désert, mais dans les grottes du Mont Hira lorsqu’il a eu la révélation. La révélation n’était pas d’abord « qu’allah l’avait choisi comme prophète pour prêcher la soumission à Dieu », mais c’était le Coran

- La premier pilier n’est pas seulement : « croire en un Dieu unique », mais « attester qu’il n’y a pas d’autres Dieu que Dieu et que Mohammed est son envoyé »

- Date de la dynastie Omeyyade 662 et non 632

p. 33 légende de la photo du dôme du Rocher

- D’après la tradition musulmane, le sacrifice d’Abraham se passe à la Mecque et non à Jérusalem !

- Selon la tradition musulmane, ce n’est pas Isaac qu’Abraham était prêt à sacrifier, mais Ismaël, même si le Coran ne dit pas le nom  du fils.

- Plutôt que de dire : « où Mohammed serait monté au ciel » Il vaudrait mieux dire : « La tradition musulmane rapporte que Mohammed, une nuit de 621 a accompli un voyage nocturne à Jérusalem, et de ce rocher, est monté au ciel pour que Dieu lui révèle toute sa grandeur ».

 

Bordas

p. 29 La Kaaba : … cet immense cube considéré comme la « demeure de Dieu ». Une telle notion n’existe pas en islam.

p. 30 « L’ange Gabriel lui serait apparu et lui aurait annoncé qu’il était le prophète du Dieu unique ». C’est un raccourci un peu rapide qui ne rend pas compte de la place centrale du Coran dans la révélation ; il est plus juste de dire : « L’ange Gabriel lui est apparu pour lui révéler la Parole de Dieu et lui demander d’en faire la récitation (en arabe : Coran) auprès des siens. » Pour l’emploi du conditionnel, voir supra.

Contrairement à ce qui est indiqué, le document 2 ne fait pas allusion au moment ou Mohammed reçoit la Révélation (610), mais au voyage nocturne (621)

p. 32 la prière se dit en arabe « salat » et non « rak’a » qui signifie prosternation et qui est donc un élément de cette prière.

p. 34 à propos du djihad, le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra.

 

Hachette 

Un petit détail : p. 32 la prière se dit en arabe « salat » et non « rak’a » qui signifie prosternation et qui est donc un élément de cette prière.

p. 31 : « idole » ne veut pas dire « faux dieux » (voir ci-dessus)

 

Hatier

p. 30 Pour l’emploi du conditionnel voir supra

p. 33 : « le Coran a été écrit après la mort de Mahomet sous la décision du Calife Othman (644-650) ». Il faut écrire : « Les différents feuillets comportant des sourates du Coran ont été rassemblés sous la décision du calife Othmân (644-656 (et non 650 !)) »

p. 36 (texte A1 + intitulé du doc n°2) et p. 346 dans le lexique « « Djihad », le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra

 

Magnard

p. 23 ici les légende de la carte et de la chronologie utilisent Mahomet, alors que le reste du livre utilise Mohammed.

p. 24 : Kaaba : cube de pierre contenant la Pierre Noire… Il vaut mieux dire : « Temple en pierre de forme cubique »

p. 26 Photo à l’envers, voir supra.

p. 27 « des versets contradictoires (il en existe plusieurs, entre lesquels les croyants ont le choix) » : Non, cela dépend des « circonstances de la révélation » qui permet de distinguer les versets qui peuvent en abroger d’autres. Il y a une Science des circonstances de la Révélation (Asbâb al-nuzûl).

p. 30 à propos du djihad, le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra.

p. 31, pacte d’Omar, voir supra.

p. 33, la photo est à l’envers (écriture inversée)

 

Nathan 

p. 22 : La Kaaba considérée comme la « demeure de Dieu ». Ce concept n’est pas musulman

p. 25 « Mahomet se retirait pour prier les dieux de la religion polythéiste ». En dehors du fait qu’une telle phrase ne signifie pas grand chose, puisque chaque tribu avait sa ou ses divinité, Mohammed faisait déjà partie d’un groupe monothéiste lorsqu’il se retirait pour prier sur le Mont Hira.

p. 26 « Le texte complet a été établi 50 ans après la mort de Mahomet. » Même si la rédaction a été complexe et l’objet de tensions pendant bien des années, la tradition attribue à Othmân (644-656) l’établissement du texte complet, ce qui fait 25 ans et non 50.

p. 26 : « la révélation : pour les musulmans, c’est ce que Dieu a dit à Mahomet et à lui seul ». Enlever « et à lui seul », car les musulmans considèrent que le Coran fait suite aux révélations apportées par les prophètes qui ont précédé Mohammed, notamment la Torah révélée à Moïse et l’évangile, révélé à Jésus.

p. 27 

- en haut : la légende ne correspond pas à l’image. L’image illustre la profession de foi (chahada).

- Pour cette profession de foi, au lieu de mettre uniquement la sourate 112 (et non pas sourate 2, verset 112, comme c’est inscrit !), mettre la chahada : « J’atteste qu’il n’y a d’autre dieu que Dieu et que Mohammed est son envoyé. » La sourate 112 peut être mise comme extrait du Coran après.

p. 30 à propos du djihad, le sens coranique principal du djihad est « l’effort intérieur de conversion » voir supra.

p. 31, pacte d’Omar, voir supra.

 

Par exemple chez Nathan, p. 30 : « djihad : de l’arabe « guerre sainte », devoir de combattre les non-musulmans jusqu’à ce qu’ils se convertissent ou paient un tribu. »

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