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9 février 2013 6 09 /02 /février /2013 20:39

Véronique Deneuche, L'enseignement des faits religieux dans les manuels d'histoire, Ed L'Harmattan, Paris, 2012. 263p.

Qu'existait-il avant la mise en oeuvre de "l'enseignement des faits religieux" réclamé et décidé ces dernières années? Comment les manuels de sixième et cinquième ont-ils traité les trois monothéismes depuis 1957? Quels types d'écarts entre contenus des manuels et savoirs savants? La mise en page des manuels de la Vème République affecte-t-elle leur contenu doctrinal? Telles sont les questions essentielles auxquelles Véronique Deneuche répond avec autant de rigueur que de minutie dans ce livre.

A la première question, la réponse peut étonner. Les faits religieux ont toujours été enseignés au  collège depuis 1957, en particulier les trois monothéismes: judaïsme, christianisme et islam.

Aux deux questions suivantes, les réponses prennent une forme particulièrement pédagogique en alternant les analyses de contenu des manuels, le discours des différentes traditions monothéistes ("Que dit la tradition:") et les mises à jour des connaissances  ("Que dit l'histoire:"). L'étude des documents, de leur nature, de leur fonction dans la validation des connaissances est analysée avec pertinence. Des thèmes communs aux trois religions comme le statut du livre sacré, l'historicité des personnages importants, la doctrine donnent des clés pour comprendre des contenus complexes. L'auteure a repéré un problème récurrent sur la longue période étudiée : des difficultés à définir ou à nommer. Quelques exemples : à la page136, pour le judaïsme, le mot israélite disparaît des manuels tandis que le mot même de judaïsme apparaît seulement en 2009 dans les programmes et les titres des manuels. Sauf chez un seul éditeur, le mot Palestine disparaît alors qu'il peut être présent dans les leçons sur le christianisme. L'auteure fait "l'hypothèse que la question de l'appellation de la terre des Hébreux, dans les leçons sur le judaïsme est un sujet sensible."( p.136). Pour le christianisme, "le vocabulaire institutionnel est privilégié par rapport au vocabulaire se référant à la vie ou à l'expérience religieuse" même si, à partir des programmes de 1985, un rééquilibrage commence  ( p.204). Pour l'islam, "les éléments doctrinaux fondamentaux sont très peu développés...le mot 'foi' est rare dans les manuels."( p.219)

De plus, Véronique Deneuche repère les représentations implicites du juif comme du musulman. La représentation du juif soumis est véhiculée par l'iconographie (p. 174), celle du juif errant par les textes d'auteur des manuels (p. 176). Quant au musulman, l'auteure fait deux observations : la représentation du musulman violent et guerrier est véhiculée par le thème de la guerre sainte, l'utilisation des termes "arabe" et "musulman" est indifférenciée comme adjectifs ou substantifs, comme référents identitaire, culturel ou religieux.

Pour la quatrième question - la mise en page des manuels de la V République affecte-t-elle  leur contenu doctrinal?- , Véronique Deneuche montre que, quelle que soit la mise en page du manuel - prééminence du texte d'auteur jusqu'en 1977 puis place grandissante des documents textuels ou iconographiques -, les contenus doctrinaux ne changent pas dans le fond en ce qui concerne les trois  monothéismes. Tout d'abord, elle décrypte une difficulté majeure : le fréquent mélange du discours historique et du discours de foi. Elle souligne ensuite une utilisation souvent  purement pédagogique des documents, qui aboutit à une désacralisation des textes sacrés, au détriment de leur portée et de leur valeur symbolique. Troisièmement, elle pose la question du statut de la vérité dans le texte religieux, notamment lorsque les manuels présentent les trois monothéismes comme des mythes. Enfin, elle note que "malgré les avancées théologiques et historiques avec les découvertes archéologiques, le manuel souffre toujours d'un manque de rigueur historique."

Véronique Deneuche conclut sa recherche par deux remarques argumentées et une question. D'une part, "les manuels ne reflètent pas toujours l'esprit des programmes..." D'autre part, "le choix fait par les responsables de l'Education nationale d'une approche transversale de l'enseignement des faits religieux semble présenter des limites..."et, en particulier, " le risque de donner aux élèves une vision partielle et fragmentée des faits religieux...", dans un contexte où les enseignants  manquent de formation suffisante et de temps pédagogique. Enfin, une question de fond: "Les élèves de sixième et de cinquième ont-ils vraiment l'âge de comprendre les enjeux de cet enseignement, d'entrer dans l'intelligence des récits, de développer l'esprit critique attendu pour analyser aussi bien la forme que le sens des oeuvres et des documents qui leur sont soumis?"

Cette recherche analyse, avec intelligence et rigueur, les trois monothéismes étudiés en 6ème et 5ème, sur plus d'un demi-siècle d'édition scolaire. Elle offre à tous les responsables de l'Education nationale un bilan clair, riche, synthétique qui est en résonance avec deux études récentes : celle menée par une équipe de l'Unesco  sur le monde arabo-musulman dans les manuels de 5ème (1) et celle, plus récente, réalisée par le Réseau école laïcité religions sur les faits religieux dans les manuels d'histoire des collèges (2). Toutes ces études montrent, au-delà de certaines évolutions positives, la persistance d' imprécisions et d'ambigüités de concepts-clés, de confusions entre discours historique et discours de foi, et enfin de démarches pédagogiques qui gomment le symbolique. Etudes qui décryptent de nombreuses simplifications excessives et/ou "diplomatiques" risquant d'entretenir ou de renforcer amalgames et stéréotypes, sources de peurs de l'autre.

(1) Bénédicte Hugedé et Mélanie Serrat, Le monde arabo-musulman dans les manuels scolaires français. Commission nationale française pour l'Unesco, Ecole normale supérieure de Lyon, 2011. 200p.

(2) voir recolarel.over-blog.com

Jean-Marc Noirot

 

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