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11 mars 2013 1 11 /03 /mars /2013 15:15

 

Avec la participation de :M. Guy COQ, philosophe, auteur de La laïcité, principe universel, éd. Le Félin, 2005 et récemment de La Foi épreuve de la vie, éd. Parole et Silence, et de M. Philippe PORTIER, professeur de Sciences politiques, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, où il occupe la chaire « Histoire et sociologie des laïcités ». Soirée animée par François Boëdec, jésuite.

François Boëdec introduit le thème de la conférence, donne quelques définitions de laïcité et rappelle brièvement les contextes politiques qui ont vu l'évolution de cette dernière. La première définition a été proposée par Fernand Buisson en 1887, dans son Dictionnaire de la pédagogie. La laïcité est pour lui: " la sécularisation des institutions politiques d'un Etat." La définition s'est ensuite élargie. Pour Jean Baubérot, c'est, à la fois, "un règlement juridique" et "un art de vivre". Jusqu'au début du XXème, l'idée de laïcité représentait la volonté de réduire l'influence de l'Eglise catholique sur les institutions. Peu à peu, les relations se sont apaisées entre l'Eglise catholique, les chrétiens et la République.

Le principe de laïcité a été précisé par plusieurs textes dont le principal a été la Loi de 1905. Celle-ci stipule indépendance et neutralité de l' Etat par rapport aux religions, liberté de conscience et donc de religion, libre exercice des cultes. Pour François Boëdec, la laïcité à la française ne devrait pas signifier l'ignorance des religions, la méconnaissance de l'apport de celles-ci à la société. la laïcité est un cadre qui doit permettre à tous, croyants ou incroyants, de vivre ensemble. Ces dernières années, le contexte sociopolitique a évolué et se caractérise par une sécularisation massive, l'installation de l'islam dans la société française, le souci des chrétiens que leurs paroles puissent être entendues dans le débat des idées et, peut-être, un certain anticléricalisme prêt à resurgir. Ces éléments qui ne sont pas les seuls ont conduit à voir le modèle de laïcité à la française chahuté et remis en cause. Certains veulent voir ce principe réaffirmé avec force, d'autres le voir évolué, chacun ayant sa propre conception de la laïcité.

Pour François Boëdec, alors que le président de la République, François Hollande, a annoncé pour 2013 la création d'un Observatoire national de la laïcité, il est opportun de poser la question: Où en est aujourd'hui la laïcité à la française ?

 

Philippe Portier répond à cette vaste question en commençant par un nécessaire détour historique qui permet de comprendre comment le système de laïcité s'est installé en France. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le monarque, institué lui-même par la Providence, devait rassembler les populations autour d'une même norme, la loi de Dieu. La civilisation moderne est marquée par le principe de séparation du religieux et du politique. A celui-ci s'ajoute un second, non négligeable, celui de la liberté de conscience. On entre alors dans l'époque de la laïcité. Il s'agit de saisir la société dans toute sa pluralité.

Mais, poursuit Ph. Portier, les réalités juridiques de l'Europe se sont construites diversement. Deux modes d'accession à la citoyenneté laïque peuvent être repérées. La première est celle du Nord de l'Europe, dite de confessionnalité où l'Etat tout en gardant sa propre souveraineté affirme l'idée qu'une religion parmi d'autres - exemple, la religion de Luther dans les Pays scandinaves ou celle de l'Angleterre- doit être protégée, éventuellement encouragée par l'Etat. La seconde est celle de l'Europe intermédiaire ou du sud, dite de séparation avec deux variantes: un modèle de séparation souple comme en Allemagne ou en Belgique; un modèle strict, voire rigide, qui se caractérise par l'absence de toute reconnaissance positive accordée à quelque culte que ce soit; c'est celui de la France.

Pour Ph. Portier, la France est marquée par une conflictualité plus grande que dans les autres pays européens mais aussi par une conception très rectrice de l'Etat chargé dans le cadre républicain de transmettre une sorte de foi laïque. La question de l'évolution de la laïcité à la française s'ouvre sur deux thèses: la première est celle de la permanence du modèle marqué par une culture d'affrontement, la seconde celle d'une évolution de l'articulation entre Eglises et Etat dans le sens d'une plus grande prise en compte de la dimension religieuse de nos existences."

Ph. Portier défend cette dernière et en trace l'histoire caractérisée par trois grands moments.

 

Tout d'abord, de 1880 aux années 1960, une laïcité de séparation permet à l'Etat de réaffirmer les principes d'égalité - l'agnosticisme et l'athéisme n'ayant pas moins de place que toute religion - et de liberté, en particulier de conscience, au moment où l'Eglise catholique avec le Syllabus (1864)manifestait une position intransigeante et hostile aux idées "de progrès, de liberté, de civilisation moderne." Face à une Eglise catholique toujours forte, l'Etat républicain se fera moral et enseignant avec de dispositifs juridiques permettant la séparation de l'Eglise catholique et de l'école vers 1880 et celle des Eglises et de l'Etat en 1905. Cette loi repose sur deux principes:

- le premier, et non des moindres, celui de l'indépendance des Eglises qui crée, de fait, les conditions d'une pacification des esprits et des comportements. L'Eglise catholique gagne un certain nombre de prérogatives comme la liberté de conscience, la liberté de culte et la reconnaissance de son dispositif hiérarchique d'organisation.

- le second, celui de la privatisation, donc perte des subventions accordées avec lesquelles l'Eglise catholique vivait.

"C'est souvent encore, à partir de ce modèle, précise Philippe Portier, que nous envisageons la laïcité à la française."

 

Ensuite, à partir des années 1960-1970, la laïcité se mue en une laïcité de reconnaissance. La société a profondément changé. Le droit va s'en ressentir. L'Eglise a elle-même beaucoup évolué: déjà avec la condamnation de l'Action Française, mais surtout avec le concile Vatican II (1962-1965) et l'acceptation des principes de la philosophie moderne dont la liberté de conscience. De même, la société va évolué dans sa conception de l'égalité avec un accent mis sur l'individualisme, la primauté de la subjectivité, le respect des différences. Une autre conception de l'Etat républicain se fait jour. Celui-ci fort et pyramidal au XIXe siècle devient plus négociateur, régulateur; il s'ouvre beaucoup plus aux forces de la société civile auxquelles il donne des potentialités d'intégration et de signification nouvelles ou renouvelées. La transformation des imaginaires politiques va engendrer une autre conception de la laïcité beaucoup plus ouverte à l'aspect religieux de l'existence des Français. D'abord, une évolution de l'articulation entre Ecole et Etat apparaît, en particulier sur deux points: le premier, une série de lois favorables à l'enseignement privé: lois Debré (1959), Guermeur (1977), Rocard (1984), Carle (2007); le second, à partir de 1990, l'introduction de l'enseignement des faits religieux qui est, précise Ph Portier, "pensé non seulement à partir de la valence académique mais aussi à partir de la valence sociale susceptible d'accroître les tolérances dans une société marquée désormais par le pluralisme religieux." Ensuite, une évolution conséquente du rapport Eglises - Etat voit le jour. Deux exemples: le premier concerne le financement avec le droit fiscal - article 200 du Code des impôts ; le second, plus signifiant, concerne la création en 1983 du Comité consultatif national d'éthique face au déraillement possible de la science. François Mitterrand y souhaite la présence de représentants des forces religieuses et convictionnelles car il s'agit d'articuler la logique du nombre avec la logique de la sagesse. Ces forces, à partir d'un principe de gratuité, sont susceptibles d'alimenter le débat public.

 

Enfin, à partir des années 2000, la laïcité, selon Ph Portier, évolue vers une laïcité d'intégration. La société est marquée par une double transformation: celle de son champ religieux avec la montée en puissance d'un islam visible; celle de son champ politique avec le retour de deux forces oubliées: un néo-populisme et un néo-républicanisme qui, ensemble, ont profondément modifié la façon d'envisager la laïcité.

S'il n'y a pas de remise en cause des équilibres trouvés dans les années 1960-1970, se mettent en place une série de textes juridiques signifiant une nouvelle surveillance des cultes sur un mode "néo-gallican": exemple, la loi de 2004 concernant les signes religieux dans l'espace scolaire public ou celle de 2011 sur la dissimulation du visage dans l'espace public dont la définition a été modifiée. A côté des interdits se mettent en place de nouvelles prescriptions autour de l'invention - ou de la réinvention - de cours de morale laïque qui ne visent pas à se substituer aux valeurs religieuses, comme le précise Vincent Peillon, et qui "permettent  au vivre-ensemble de se réassurer".

"Ce modèle de laïcité d'intégration, conclut Ph Portier, n'est pas une spécificité française. Il caractérise aussi de nombreux Etats européens."

 

Guy Coq situe son intervention à partir des débats contemporains et autour des fondamentaux de la loi de 1905. Faut-il relativiser cette dernière ou la constitutionaliser? Le débat porte d'abord sur un premier point, la question du financement des cultes, et plus particulièrement sur les articles 2 et 19 de la loi de 1905. L'article 2 stipule: " La République ne reconnaît, ni ne salarie, ni ne subventionne aucun culte..." Mais, dès le vote, celle-ci fait un cadeau formidable à l'Eglise catholique en finançant l'entretien des lieux de cultes dont elle avait perdu la propriété en 1789. D'où l'étrangeté de cette loi que certains voient comme antireligieuse et qui est d'une grande ouverture historique. D'autres mesures suivront  comme la garantie par les départements et les communes des emprunts que nécessite la construction d'édifices liés au culte, ou l'octroi par la commune de baux emphytéotiques correspondant à un loyer symbolique pour un terrain destiné à un bâtiment cultuel. Dans la période récente, la troisième période décrite par Ph Portier, la jurisprudence joue avec la frontière du cultuel et du culturel. En juillet 2011, le Conseil d'Etat produit des arrêts qui valident le financement d'un orgue par une commune "pour des raisons culturelles" ainsi que la construction d'un abattoir pour la fête musulmane de l'Aïd "pour des raisons d'hygiène." Cette jurisprudence souple est conforme aux souhaits de Jaurès et Briand.

Après la question du financement des cultes, Guy Coq aborde un deuxième point, celui de l'école républicaine née avec sa morale laïque et sa fonction politique d'installer la République contre l'autre France antirépublicaine et catholique. La société évoluant vers plus d'individualisme dans les années 1970 et après ébranle les institutions. C'est une période de désinstitutionalisation de l'école: perte du respect de l'autorité, interventionnisme de l'opinion publique mettant en cause enseignants et institution, problèmes sociaux et inégalités scolaires. C'est dans ce contexte qu'à la fin des années 80 éclate l'affaire des voiles islamiques dans l'école. En effet, par ce moyen, l'islam interpelle la laïcité scolaire à un moment où, aux yeux des les autorités elles-mêmes, celle-ci n'est plus une évidence. Du coup, au lieu de fixer d'emblée une position claire - comme l'aurait fait Jean Zay au temps du Front populaire -, le Ministre de l'Education nationale socialiste laisse dans le flou les contraintes et les conditions de la laïcité scolaire. Il méconnait que si l'école est publique, elle n'est pas l'espace public de la rue, et que, comme institution, elle pratique une laïcité de discrétion sur les signes religieux. Il faudra attendre 2004 pour que la loi sur les signes religieux ostentatoires précise les limites. Depuis lors, cette loi est appliquée, respectée par tous. Toutefois, dans "les territoires perdus de la République", l'école a des difficultés à faire respecter les idées républicaines et la laïcité.

Dans les années 1980, le gouvernement socialiste et en particulier la Ligue de l'enseignement trouvent qu'il n'est pas normal que les jeunes ignorent les religions. Des rapports comme ceux de Philippe Joutard en 1990 et de Régis Debray en 2002 ont suivi. "Mais si des choses se font, elles sont largement insuffisantes. C'est malheureusement un problème que je trouve abandonné.": constate amèrement Guy Coq. L'enseignement des faits religieux est pris en compte très inégalement suivant les disciples: assez bien pour l'histoire, médiocre côté enseignement littéraire et formation des enseignants.

Depuis cinq ans, la Ligue de l'enseignement et Confrontations, un groupe d'intellectuels chrétiens dont  Guy Coq fait partie estiment que parler des valeurs de la République, des valeurs communes était insuffisant et qu'il serait bon qu'une culture éthique se développe à l'intérieur de l'école, sans revenir à Jules Ferry dont l'éducation morale destinée aux enfants était bien supérieure à ce qui en est pensé communément. L'actuel ministre de l'Education s'est emparé de cette question. Le précédent avait d'ailleurs initié une circulaire sur la morale à l'école. Mais, pour Guy Coq, une question immense demeure. Il la formule de la manière suivante: " Si l'école doit transmettre une morale, il faut qu'elle sache quelle société elle transmet. Et si la société ne sait plus ce qu'elle est, que peut faire l'école?!"

Le troisième point de Guy Coq concerne les religions dans la laïcité. Selon lui, le problème pour l'Eglise catholique, à l'heure de "la sortie de la religion" (Marcel Gauchet), est le suivant : ayant abandonné tout désir de pouvoir et de domination sur la société, quelle inscription nouvelle dans une société démocratique  alors imaginer? Guy Coq reprend des idées d'auteurs "non suspects de trop fréquenter les bénitiers", Marcel Gauchet et Jürgen Habermas. Dans notre société où la question des fins ultimes ne peut recevoir que des réponses individuelles, les religions retrouvent un statut éminent pour proposer du sens et sont indispensables. Cette légitimité n'est possible que dans un cadre sécularisé. "Il est requis du point de vue laïque que l'on puisse être religieux...C'est une possibilité que l'athéisme lui-même se doit d'intégrer" (1). Les fins dernières ne se déterminent pas au niveau commun, il faut reconnaître l'existence des choix collectifs. Les institutions religieuses sont légitimes "pour se faire entendre dans l'élaboration des choix collectifs et d'y peser" (2) à condition qu'elles reconnaissent les implications de l'exigence pluraliste. Si elles veulent être entendues, il importe qu'elles sachent traduire leurs propositions inspirées de la foi dans un langage non religieux.

Autre point, l'islam. Guy Coq constate un "hiatus" qui fait problème. Alors que des chiffres d'enquêtes récentes montrent que les musulmans à 42% se disent français avant d'être musulmans - chiffre beaucoup plus élevé que chez nos voisins allemands ou anglais -, l'opinion publique française estime à 72% que l'islam n'est pas compatible avec les valeurs de la société française. Le temps pressant, Guy Coq passe à son dernier point.

 

"Y a-t-il des limites à la sécularisation?": questionne-t-il. D'abord, une différence est à faire entre sécularisation et laïcité. La laïcité rassemble surtout des principes de droit alors que la sécularisation est un mouvement multiséculaire de recul de l'influence des religions dans les sociétés. Pourrait-on dire alors que les religions ne sont plus nécessaires? La "sortie de la religion" implique-t-elle à terme l'effacement dans la civilisation de toute trace de religion? La notion de christianisme culturel est-elle contradictoire avec la laïcité? (3). Guy Coq avance deux idées:

- la première : une mémoire de l'histoire religieuse de la France est absolument nécessaire pour garder l'intelligence de notre héritage culturel, comprendre notre passé commun.

- la seconde : pour la situation actuelle, beaucoup d'éléments de la culture commune porte des traces de la culture traditionnelle, mais des traces sécularisées. La structuration des mémoires passe par ces traces et "Noël appartient à tout le monde!" Les éléments signifiants d'une civilisation peuvent accueillir plusieurs niveaux de signification. La recherche systématique d'un effacement des traces religieuses est-t-elle légitime?

Un article de Yolaine Dials Rochevieux, paru dans la revue Hommes et Migrations (4) pose clairement le problème:" Or toute société a son histoire et personne ne peut envisager d'y renoncer ou même d'en élaguer certains épisodes - même quand ils sont négatifs - sous prétexte de diversité culturelle et religieuse." Du coup, cet auteur rejette l'idée de l'instauration d'un jour férié dédié à chaque religion: juive, musulmane, etc... Car cela "reviendrait en fait à redonner au calendrier issu de la chrétienté un caractère sacré, à inverser le processus de sécularisation."

Guy Coq cite ensuite le Grand rabbin de France, Gilles Bernheim : " La sphère publique a été façonnée par l'histoire politique, culturelle et religieuse de chaque pays. Cela ne peut être gommé au nom d'un universalisme..." et Guy Coq poursuit : " 2000 ans d'influence d'un culte sur une société, ça pèse! 1300 ans d'influence de l'islam en Afrique du Nord, ça pèse et pèsera de toutes façons! Gilles Bernheim cite la réflexion de Jean Rivero, grand juriste, spécialiste de la laïcité: "Les moeurs, même coupées de leur racines religieuses, ont prévalu sur la logique intégrale de la séparation. Par là s'explique aussi le fait qu'en dépit de l'égalité de principe entre toutes les religions, l'Etat entretienne avec les cultes traditionnels des rapports plus suivis qu'avec les cultes nouveaux..." ". Guy Coq  conclut par une citation de Julia Kristeva : " Le génie du christianisme a introduit et continue de diffuser des innovations dont nous n'avons pas fini de mesurer la portée révélatrice et en un sens révolutionnaire que les chrétiens eux-mêmes ne se risquent ni à reconnaître ni à faire reconnaître comme différence chrétienne."(5)

 

François Boëdec ouvre le débat, prend questions et réflexions venant de la salle.

 

- Sur l'article 200 du Code fiscal et laïcité, Philippe Portier précise que celui-ci permet indirectement le financement des cultes en détournant ce que la loi de 1905 pouvait avoir de rigide et ouvre droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant les sommes prises dans la limite de 20 % du revenu imposable qui correspondent à des dons et versements.

- Sur l'Eglise catholique et la laïcité, il retrace son évolution, tout à fait notable, en partant de trois dates: d'abord, 1905: affolement de l'Eglise car cette loi de séparation des Eglises et de l'Etat remet en cause la royauté sociale de Dieu. S'en suit une période de résistance à la laïcité française qui, elle-même, comporte de nombreuses traces d'anticléricalisme. Puis, 1945: l'Eglise accepte de considérer qu'en pratique le principe de laïcité est acceptable dès lors qu'il ne s'identifie pas à un principe positiviste et anticlérical. Enfin, le concile Vatican II admet désormais la thèse de l'Etat démocratique. La laïcité devient pour l'Eglise catholique une possibilité. Mais cette dernière ne souhaite pas la fin du régime concordataire mosellan-alsacien. Guy Coq apporte un complément en évoquant la déclaration des évêques de France de 1945 qui oppose la laïcité - qu'elle reconnait - au laïcisme qui est une posture de lutte contre les religions. Ce grand texte périme périme la déclaration de 1925 qui dénonçait la laïcité comme illégitime et "procédant de l'athéisme." en 1945, les évêques écrivent que si par laïcité de l'Etat "on entend proclamer la souveraine autonomie de l'Etat dans son domaine propre de l'ordre du temporel...nous déclarons cette doctrine conforme à la doctrine de l'Eglise."

Guy Coq rappelle que, dans un article quasi-historique de la revue Esprit, en 1949, deux intellectuels catholiques, André Latreille et Joseph Vialatoux, précisent que : " La laïcité exprime juridiquement les conditions de la liberté de l'acte de foi." Ceux-ci récusent la vieille distinction entre la thèse et l'hypothèse selon laquelle la laïcité serait tolérée pour l'instant en attendant que redevienne possible un Etat chrétien. " C'est supposer que le catholique ne veut pas pleinement cette laïcité et toujours qu'il la tolère en attendant le jour où il pourra la supprimer, au nom de sa religion. Il faut dire qu'une authentique laïcit é est désirée et voulue par le christianisme, et pour les avantages qu'entire la vie humaine de civilisation, et pour les avantages qu'en tire la vie de foi."

Au moment du centenaire de la laïcité en 2005, une lettre du pape Jean-Paul II aux évêques de France dit clairement : " Le principe de laïcité auquel votre pays est très attaché, s'il est bien compris, appartient aussi à la doctrine sociale de l'Eglise. Il rappelle la nécessité d'une juste séparation des pouvoirs..." Et les évêques de France reprennent une position établie dès 2003 et selon laquelle ils ne sont aucunement demandeurs d'une révision ou d'un changement de la loi de 1905 : " On en est venu à la considérer comme l'expression d'un équilibre satisfaisant des relations entre l'Etat et les organisations religieuses; elle a acquis par là une valeur symbolique certaine. En conséquence, il nous semble sage de ne pas toucher à cet équilibre par lequel a été rendu possible en notre pays l'apaisement d'aujourd'hui."

- Sur l'islam en France, les pays musulmans et la laïcité, Guy Coq parle de l'"énorme difficulté" de cette question en France car l'opinion est "très stressée" sur la question de la construction de mosquées, les maires redoutant souvent leur électorat. Au plan international, "il y a urgence à la laïcité!" : insiste-t-il et précise que le terme laïcité est beaucoup plus adéquat que celui de secularisation utilisé par les Anglo-saxons. Pour lui, "un certain nombre de pays musulmans ne sortiront pas de leur malheur sans passer par une forme de laïcité où l'Etat 'souverain dans son ordre' sera autonome par rapport à la religion". Il y a urgence à sortir de la confusion, matrice de l'islamisme et, éventuellement, des Etats terroristes.

Philippe Portier complète ce propos en pointant que ces sociétés - Tunisie, Egypte, Syrie...- se sont construites dans les années 1950-1960 sur des modèles de laïcité autoritaires où les gouvernements fonctionnaient en prédateurs de la richesse nationale. "D'où une rétractation sur le religieux dont on a vu les effets lors des printemps arabes et l'arrivée au pouvoir de gouvernements qui ne répondent pas à nos critères de laïcité. Mais, ces sociétés sont des sociétés beaucoup plus sécularisées qu'on ne le croit. Elles se servent du religieux plus comme une ressource que comme un fondement et peuvent remettre en cause les régimes politiques mis en place lors des Printemps arabes."

- Sur la mondialisation et la laïcité, "s'il peut y avoir tentatives de remises en cause de la laïcité, c'est aux gouvernements de chaque pays d'être vigilants et d'être même exportateur du principe de laïcité qui est aspect de la démocratie. La laïcité et la démocratie vont ensemble! Dans un pays où il n'y a pas de liberté de croyance, où la religion prend le pas sur l'Etat, il ne peut y avoir de démocratie!": insiste encore Guy Coq.

- " La poussée de l'islam peut-elle remettre en cause la laïcité d'intégration ?" A cette question, Philippe Portier répond en choisissant d'inverser les termes de celle-ci. Pour lui, il y a eu laïcité d'intégration parce qu'il y a eu poussée de l'islam. La phase qui courre de 1970 à 1990 était marquée par une reconnaissance du caractère multiculturel de la société française. En 1989, un avis du Conseil d'Etat suivi d'une décision de Lionel Jospin admet le port de signes religieux à l'école. Dans les années 1990, l'islam s'affirme, en France, plus identitaire et, sur la scène internationale, plus dangereux voire terroriste. La laïcité est amenée à changer son modèle de fonctionnement tout à la fois en restant ouverte mais, en même temps, en accroissant le contrôle de l'Etat sur la diffusion d'idées "qui peuvent apparaître immaîtrisables". "La laïcité d'intégration est, pour Philippe Portier, une réponse à une angoisse de l'opinion publique". La société française, mais  aussi européenne, est marquée par l'incertitude de son devenir, par la question de la cohérence de son vivre ensemble, à la fois, marquée par une tendance profondément individualiste et acceptant les reconnaissances dans la mesure où celles-ci ne remettent pas en cause la cohésion sociale.

- Sur l'espace d'entreprise et la laïcité, Philippe Portier indique que celui-ci n'est pas régit par le principe français de la laïcité, qui ne vaut que dans l'espace public d'Etat. Contrairement à ce dernier, l'espace d'entreprise n'interdit pas le port de signes religieux.

Lors de grandes grèves, début des années 1980, au sein d'entreprises d'Etat comme Renault, des salles de prières ont été ouvertes pour les musulmans qui le souhaitaient.

- Sur l'apport possible des ressources de sagesse et d'éthique des religions à la laïcité, Guy Coq répond que cette question concerne en fait tout l'arrière-plan de son intervention. Pour lui, les chrétiens doivent être les partenaires de l'enrichissement de l'enseignement sur les religions dans les écoles et les lieux de formation. A la suite du Rapport Debray, l'Institut européen en sciences des religions a été créé mais n'a jamais eu de réels moyens pour cette recherche et formation. La société française a vu longtemps l'Eglise catholique refuser la sécularisation. "Celle-ci, poursuit cet intervenant, a maintenant à 'se rendre aimable', selon l'expression de Mgr Rouet (6), et les catholiques dont le nombre diminue - mais est-ce le plus important! - , ont peut-être à retrouver le degré d'intensité spirituelle des premiers chrétiens!". Philippe Portier, en complément, cite Johannes Rau, Président de la République allemande (1999-2002): "Il fallait que l'Allemagne se différencie, à la fois, du système de confessionnalité scandinave et du système laïciste français. L'Allemagne est un système de sécularité ouvert à l'apport civilisationnel des religions." et conclut par une question: "Y a-t-il une si grande différence avec ce qui est advenu à la France ces dernières années?"

- "La laïcité nouveau dogme moderne?": Pour Philippe Portier, cette tentation est apparue dès l'origine avec Emile Combes, et d’autres avant lui, qui souhaitait ériger la laïcité en nouvelle religion et éradiquer la religion catholique et sa gouvernance sur les esprits. Mais ce n'est pas ce courant qui l'a emporté en 1905. Ce dernier a fait reposer son analyse de la laïcité sur une idée de liberté de conscience ménageant des espaces de développement aux Eglises et refusant d'accepter l'idée d'une religion de type rousseauiste. Selon Philippe Portier, cette tentation peut resurgir mais reste minoritaire dans le courant laïque. Aujourd'hui, le discours de communication des responsables politiques a évolué dans le sens d'une ouverture plus grande aux apports de sagesse, de ressources de signification et de liens, propres aux religions historiques: cf. les discours de F. Mitterrand, L. Jospin, N. Sarkozy ou, mais avec beaucoup plus de réticences, de F. Hollande. Ce dernier, dans ses voeux de début d'année, promettait cependant qu'il aura "une écoute pleine et attentive des forces religieuses dans les débats à venir." Philippe Portier, s'inspirant de la pensée de Jürgen Habermas, voit comme conséquence à la mondialisation le bouleversement des structures d'intégration sociales ordinaires, en particulier, la délibération publique et l'institution étatique. Il est donc nécessaire à ces sociétés en proie à l'incertitude de retrouver un médium d'intégration dans un débat public qui trouverait à se régénérer auprès de ressources de sens, de liberté et de liens propres aux institutions écclésiales à condition qu'elles acceptent - et cela semble le cas, depuis les années 1970, pour l'épiscopat français - de ne plus se croire comme source unique de vérité.

 

(1) Marcel Gauchet, Le monde désenchanté? éd. de l'Atelier. 2004

(2) M. Gauchet, op. cité.

(3) Cette notion a fait l'an passé l'objet d'un colloque de l'OFC ( l'Observatoire Foi et Culture): actes publiés par Parole et Silence, 2012, sous le titre: Vers un christianisme culturel?

(4) n° 1258, déc. 2005.

(5) in Cet incroyable besoin de croire, Bayard, 2007, p. 160.

(6) Dans son dernier ouvrage, L'étonnement de croire, éd. de l'Atelier, janvier 2013, il propose d'"inventer une Eglise de la tendresse".

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La longueur de ce compte-rendu, relu et amendé par les intervenants, est directement fonction de la densité, de la richesse des interventions et de la variété des questions posées.

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Pour aller plus loin sur "laïcité et enseignement des faits religieux"...

Quelques informations, prolongements et questions du Réseau école laïcité religions - Récolarel  

 

Informations complémentaires...

 

Dans le temps qui leur était imparti, les intervenants n'ont pu développer autant qu'ils l'auraient souhaité, la question de la laïcité et de l'enseignement des faits religieux à l'école. Toutefois, ils ont tout deux pointé l'importance de celle-ci pour les différents gouvernements français - comme pour ceux des autres Etats européens - , et ce, sous deux aspects liés, celui des connaissances et celui de la construction du vivre ensemble (1). A été aussi déploré la faiblesse des moyens fournis par les ministères concernés à l'Institut européen en sciences des religions créé à la suite du Rapport Debray sur L'enseignement du fait religieux à l'école de 2002 (2). La formation des enseignants est donc largement insuffisante sur un sujet qui peut engendrer très vite des réactions passionnelles tant chez les adultes que chez les jeunes. Les auteurs des programmes malgré des réécritures  relativement récentes - par exemple, en 2008 pour le collège, en 2011 pour le lycée - cantonnent l'étude des faits religieux à un niveau d'âge peu élevé  sans donner à l'adolescent plus âgé - en 3ème du collège et/ou au lycée - la possibilité, d'une part, d'approfondir ses connaissances,  de se construire et d'étayer des éléments de réflexions, de convictions, et, d'autre part, de pouvoir échanger sereinement, au cours de débats préparés et guidés par un adulte formé, sur leurs convictions philosophiques, religieuses ou non, de déconstruire les préjugés, sources de peurs et de pertes du goût de l'autre, et de ce minimum de fraternité, constitutif du lien démocratique dans une société plurielle.

Il devient donc urgent de résoudre les contradictions - voire paradoxes - entre :

- des finalités et objectifs de l'éducation - ouverts, explicitement ou non, à l'enseignement des faits religieux, et présents dans le Socle commun des compétences (3),

- des programmes et compléments de programme - plus ou moins ouverts selon les disciplines et les niveaux - ,

- des contenus discutables de manuels, en particulier en histoire(4). Certains font encore  office de "bibles laïques"...et donc faussement laïques car confondant, entre autre, ce qui est de l'ordre du savoir et de l'ordre du croire,

- une formation des enseignants communément reconnue comme étique.

- des pratiques pédagogiques  qui seraient à évaluer avec des moyens conséquents. Si de nombreux enseignants créent des parcours pédagogiques riches et divers, interdisciplinaires parfois, renouvelés ou non, semblent plus fréquents les comportements d'évitements ou cavalcades pédagogiques, pour des raisons très diverses dont , rappelons-le, l'insuffisance de formation, mais aussi la peur de réactions de quelques élèves et/ou de certains parents et la perspective d'un dialogue difficile, pas toujours soutenu par la hiérarchie administrative ou pédagogique. Alors, les faits religieux risquent, dans une simplification excessive, soit la "dévitalisation", soit la "mystification".(5)

 

 

Prolongements et questions... (6)

 

·      Questions épistémologiques

Peut-on, doit-on choisir entre ce que les Anglo-saxons appellent teaching about religion et teaching from religion? Quels liens entre l'enseignement des faits religieux, l'histoire des arts, la laïcité, l'éthique, la philosophie? Comment faire prendre conscience aux élèves de différents statuts de vérité, vérité de l'ordre du savoir et du contenu de connaissances, d'une part, vérité de l'ordre du croire et du contenu de foi, d'autre part, la première relevant de la recherche historique, la second de l'expérience spirituelle, vérités qui ne s'opposent pas mais ne sont pas du même ordre?

·       Questions déontologiques

A quel âge  le jeune peut-il commencer à réfléchir à la pluralité des religions sans provoquer l'inquiétude des parents pour la construction de son identité personnelle, convictionnelle, religieuse? Comment orienter l'élève vers le meilleur usage d'internet dans le domaine de l'enseignements des faits religieux et lui apprendre à décrypter les préjugés qui y circulent? Comment faire percevoir au jeune le lien entre respect, ouverture aux autres et le nécessaire engagement concret, solidaire dans son environnement proche ou lointain?

·        Questions pédagogiques

Si le dialogue peut être présenté comme instrument pédagogique permettant de quitter la dichotomie entre ce qui est de l'ordre du savoir et ce qui est de l'ordre du croire, quelles sont les conditions précises de sa mise en oeuvre? Quelle part, dans cette perspective, faut-il faire aux questionnements philosophiques et éthiques? Comment sur le plan pratique ces différentes questions peuvent-elles susciter des débats, des dialogues réfléchis, argumentés et vivants dans une laïcité ouverte et respectueuse de tous les points de vue? Comment actuellement évalue-ton les compétences acquises dans le domaine de l'enseignement des faits religieux? Quelles modalités d'évaluation seraient à prendre en compte à l’avenir ?

- Quelles formations initiale  et continue pour les différents personnels d'éducation en ce qui concerne l'enseignement des faits religieux?

(1) voir, sur "recolarel.over-blog.com", catégorie: "évènements", le compte-rendu du Colloque "École et enseignement des faits religieux en Europe: objectifs et programmes ": colloque international organisé par l' IESR (Institut européen en sciences des religions) avec la collaboration du CIEP (Centre international d'études pédagogiques) les 20, 21 et 22 septembre 2012. Pour les Actes, contacter l'IESR, tel. 01 40 52 10 00.

(2) Régis Debray,  L’Enseignement du fait religieux dans l’École laïque , 2002.

(3) Programmes, Socle commun des connaissances et des compétences, Ressources pour faire la classe rédigés par le Ministère de l'éducation nationale sont consultables sur le site: eduscol.education.fr

(4) De nombreuses analyses de manuels concernant les faits religieux ont été faites et continuent d'être faites. La plus exhaustive est celle de Véronique Deneuche - L'enseignement des faits religieux dans les manuels d'histoire, Ed L'Harmattan, Paris, 2012. 263p. - dont un compte-rendu est disponible sur le blog: recolarel.over-blog.com. Ce même blog propose des commentaires critiques et constructifs sur la présentation des faits religieux dans les nouveaux manuels d'histoire de collège, destinés aux enseignants, auteurs et éditeurs de manuels, responsables de formation, rédacteurs des programmes et circulaires de l'Education nationale.

 

(5) in Régis Debray,  opus cité, p 30.

(6) Cette partie reprend l'essentiel des réflexions de Récolarel suite au colloque "École et enseignement des faits religieux en Europe: objectifs et programmes ": voir (1).

 

Jean-Marc Noirot

Récolarel - Réseau école laïcité religions

 recolarel.over-blog.com

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

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