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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 19:25

Manuels d'histoire-géographie de troisième - laïcité - religions

(manuels issus du BO du 15/10/1998) 

 

Un excès d’abstraction

"Pourquoi de telles tueries au XXe siècle?", "Pourquoi cette haine des Juifs  en plein XXe siècle?", "Hitler était-il chrétien?" : ces questions d'élèves sont- elles abordées franchement dans les manuels de troisième des collèges d'histoire-géographie issus des programmes de 1998?

Deux thèmes, opposés à notre conception de la laïcité, ont particulièrement retenu notre attention : d'une part, un racisme multiforme et d'une violente inouïe, et, d'autre part, la mise en place systématique de cultes de la personnalité au sens propre du terme.

Tout d'abord, examinons les programmes et les lexiques des manuels sur les sujets évoqués ci-dessus.

 

1. Programmes et lexiques

Le libellé des programmes ne fait pas explicitement mention de laïcité et de "faits religieux". Cependant,  la lecture des manuels et de leurs lexiques montrent que les faits religieux peuvent être présents de deux manières, soit en tant que tels, soit dans une version instrumentalisée par la sphère politique, par les totalitarismes en particulier.

Dans les lexiques, quelques  définitions appartiennent au champ religieux : entre 5 et 10 selon les six éditions. La présence ou l'absence de telle ou telle définition dans le lexique est révélatrice, et l’analyse du contenu de ces définitions instructive.

Quelques exemples :

Le mot "antisémitisme" est présent dans seulement trois lexiques de manuels sur six. Ce qui est une première surprise. La seconde vient de la grande différence de contenu des définitions proposées : de l'imprécision avec "haine envers les Juifs" (Hatier) ou "hostilité à l'égard des Juifs" (Magnard), on passe à une définition suffisamment précise qui sert de support à une dénonciation, "doctrine et pratique raciste dirigée contre les Juifs" (Belin)

La définition du mot "aryen", présent dans quatre manuels,  engendre  beaucoup d'ambigüités : l'utilisation des guillemets sans commentaire  pour le terme "race supérieure" (Bordas) de même que la formule "selon certaines doctrines racistes" (Hachette) marque une distance mais reste loin d'une condamnation explicite. La définition la plus exacte se trouve dans le manuel édité chez Nathan: "Dans l'idéologie raciste nazie, race supérieure dont les Allemands sont issus" – mais l'utilisation du conditionnel serait plus juste.

Trois manuels -seulement! - présentent, dans leur lexique, le terme "culte de la personnalité". "Ensemble de pratiques utilisées pour convaincre qu'un homme est supérieur et infaillible" (Nathan) : la définition reste en deçà de la réalité. Ce culte, qui correspond au désir de la sphère politique d'instrumentaliser la sphère religieuse et/ou d'en mimer les modes d'expression pour gagner l’adhésion est bien précisé par les définitions chez Belin ou Hatier : "ensemble de rites autour d'une personne assimilée à une divinité" – le terme "rite" étant élargi à une dimension profane.

 

2. Le racisme

Les pages concernant le thème du racisme se trouvent avant tout dans l'étude de l'Allemagne nazie (1933 – 1945) et dans celle de la France sous le gouvernement de Vichy (1940 – 1944).

2.1. Racisme et nazisme

L'ensemble des manuels insistent plus sur les conséquences du  racisme et de l'antisémitisme de l'Allemagne nazie que sur une explicitation des causes profondes, certes complexes, de ces phénomènes. La mise en place d'un  imposant dispositif de propagande parallèlement à un système répressif, telle qu'elle est décrite dans les manuels, semble, de notre point de vue, insuffisante pour tenter de faire comprendre la tragédie de cette période.

Néanmoins, par les images, les textes et les études pédagogiques, les manuels essayent de donner des éléments d'explication à cette propagation du racisme et cet antisémitisme.

2.1.1. Les images

2.1.1.1. Valorisation de l'"homme aryen"

Le racisme nazi exploitant le sentiment d'humiliation des Allemands après le traité de Versailles et le désarroi d'une partie de la population au chômage  est d'abord volonté de mythification de "l'homme aryen" et surtout du "jeune aryen". Tous les manuels présentent  bien comment la jeunesse est magnifiée - et utilisée - dans les affiches, l'art, les défilés. Retenons quelques exemples : Hachette (p. 78) présente une huile sur toile de G. Keil, 1939, légendée "Voici l'Aryen, l'homme nouveau": Quatre athlètes, muscles saillants, pieds et torse nus, foncent vers celui qui la regarde. "Rejoignez la jeunesse hitlérienne "dit une affiche de propagande montrant en gros plan un jeune garçon blond battant tambour suivi d'un autre portant fièrement le drapeau nazi (Hachette, p. 79).

2.1.1.2. La haine de l'autre, d'abord et surtout du Juif

L'affiche de l'exposition nazie de 1937 à Munich, "Le juif éternel" est présente dans trois manuels : Bordas (p. 72), Hatier (p. 68) et Nathan (p.85), ce dernier en fait une excellente exploitation pédagogique,"analyser une caricature", et qui donne à comprendre la construction et la diffusion de stéréotypes.

Deux manuels (Belin p. 74, Hachette p. 80) présentent une lithographie de 1936 destinée à expliquer l'antisémitisme  aux enfants et légendée :"Tout va très bien à l'école depuis que les juifs sont partis." On y voit de jeunes enfants blonds prenant comme boucs émissaires des enfants aux cheveux noirs crépus qui sortent de l'école sous le regard neutre du maître. Deux autres ouvrages (Bordas p. 75, Nathan p. 88) présentent des images d'un livre pour enfants de 1936 : deux dessins – caricatures – représentant un "Aryen" et un Juif sont suivis d'un texte sans équivoque sur la volonté d'inculquer la haine des Juifs. Le questionnement qui suit est tout à fait approprié au document.

Le manuel édité chez Magnard (p. 66) présente une caricature antisémite datée de 1938 montrant une plage et des personnages caricaturés lisant une pancarte " Ici les Juifs sont indésirables".

Nombreux sont les manuels présentant des photos de rues avec des magasins juifs couverts d'inscriptions antijuives appelant au boycott dès 1933 (Belin p. 84, Hatier p. 67), de la "Nuit de cristal" du 9 novembre 1938.

Toujours à propos du génocide juif, Magnard est le seul manuel à proposer un saut dans l'histoire en présentant une photo du chancelier allemand Willy Brandt, en 1970, agenouillé devant le mémorial élevé en mémoire des Juifs massacrés lors de l'insurrection du ghetto de Varsovie en 1943.

2.1.2. Les textes

Cinq manuels sur six – Belin (p. 74), Bordas (p. 71), Hachette (p. 78), Hatier (p. 64), Nathan (p. 75) – donnent des extraits de Mein Kampf, 1925  dévoilant explicitement l'antisémitisme d'Hitler ainsi que son mépris pour la "masse" du peuple (Hachette p. 78)

L'embrigadement idéologique et raciste de la population et en particulier de la jeunesse  est illustré par des extraits de discours d'Hitler ou de textes d'un proche d'Hitler comme H. Rauschning dans Hitler m'a dit. Deux manuels en présentent des extraits différents : "Tout le système d'éducation doit viser à donner aux enfants de notre peuple la conviction qu'ils sont racialement supérieurs aux autres... Je veux une jeunesse brutale, intrépide, cruelle..."( Belin p. 72). " Ils apprendront à dominer leur peur. Voilà le premier degré de mon ordre, le degré de la jeunesse héroïque. C'est de là que sortira le second degré, celui de l'homme libre, de l'homme qui est la mesure et le centre du monde, de l'homme créateur, de l'Homme Dieu..."(Bordas p. 74).

Les Juifs ne sont pas les seules minorités victimes de persécutions. Le manuel Hachette est le seul à donner à ces dernières le plus de place, il note, page 80 : "Les Tziganes, traités de ‘parasites’, les handicapés ou les homosexuels allemands, considérés comme des personnes anormales affaiblissant la race aryenne, sont aussi victimes de terribles persécutions." Deux documents avec un questionnement judicieux accompagnent ces textes à la page suivante.

2 .2  Le racisme et le régime de Vichy

Les six manuels énoncent tous le caractère raciste et antisémite du régime de Vichy, tout en lui accordant, sur cet aspect, des espaces et contenus différents. Bordas, Hatier et Magnard sont trop sommaires, de notre point de vue,  avec la simple  présentation d'extraits du Journal officiel du 18 octobre 1940 portant sur le Statut des Juifs. Nathan (p. 111) y ajoute une photographie d'une rafle de juifs à Paris avec un questionnement sur "la collaboration active de la France à la politique antisémite allemande".

Belin et Hachette ont choisi d'accorder une double page pour développer la question du statut des Juifs. Le premier (p. 102-103) présente quatre documents iconographiques accompagnés de bonnes questions dont  une affiche (caricature) éditée par l'Institut d'Etudes des Questions juives datée de 1941. Il présente également un long extrait de La petite Fille du Vel d'Hiv d'Annette Müller titré "l'étoile jaune". Les élèves sont invités à répondre à la question : "Montrez ce qu'il y a d'absurde et cruel dans (ces) mesures?" Sur le texte du statut des Juifs, l'auteur pose la question : "Montrez que le statut considère les Juifs d'un point de vue racial et non religieux."(p. 103) 

Hachette, aux pages 112-113, accorde une place importante à la propagande du régime de Vichy en présentant trois pages d'un "dépliant diffusé par l'Institut des questions juives, organisme crée en mai 1941 par le gouvernement de Vichy." Sur l'une d'elles, un visage aux traits caricaturés dotés de multiples bras empoignant " finances, armée, presse, commerce, instruction publique.." sous un slogan "Le chancre qui a rongé la France". Ces trois images auraient mérité, de notre point de vue, un questionnement plus approfondi. Une carte de France des camps d'internement, l'extrait d'une lettre du Feldkommandant Van Alemann au Préfet de Vienne, 11 septembre 1941 ainsi qu'un texte sur l'arrestation d'une jeune fille par des gendarmes français, le 30 janvier 1944, sont autant d'éléments concrets pour une bonne compréhension de la politique antisémite du régime de Vichy. L'objectif de cette double page est d'ailleurs explicite : "Connaître la part de responsabilité du gouvernement français dans le génocide juif."

Deux lacunes peuvent être repérées dans ces deux derniers manuels comme dans les autres.

Tout d'abord, il n'est pas fait mention des réactions de la population, dans un sens ou dans l'autre, à cette politique antisémite. Un seul manuel, Nathan, présente, mais dans un dossier "Figures de résistants", un extrait d'une lettre pastorale de Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse, interdite par arrêté préfectoral, lue publiquement dans son diocèse le 2 août 1942 et dont l'argumentaire est celui d'un chrétien contre l'antisémitisme : "Il ya une morale chrétienne, il ya une morale humaine qui impose des droits et reconnaît des devoirs... Les Juifs sont des hommes... Ils sont nos frères comme tant d'autres. Un chrétien ne peut l'oublier..." (p. 114)

Ensuite, il est étonnant qu'aucun manuel ne fasse le rappel même bref de l'Affaire Dreyfus qui avait profondément divisé la France quelques dizaines d'années auparavant (au programme l'année précédente) et l'antisémitisme du gouvernement de Vichy et d'une partie importante de la population.

2. 3.  Racisme et nationalisme

L'étude des causes profondes des guerres du 20e siècle, la mobilisation forte et durable des esprits ne peuvent laisser de côté le lien entre un nationalisme, véritable culte de la patrie, et le racisme de ces périodes et de celles qui les précédent. Bien avant 1914, la "course aux colonies" et le problèmes des nationalités en Europe s'accompagnaient de discours et de dessins extrémistes et haineux.

Un seul manuel aborde précisément cette question. Chez Nathan, à la page 26, concernant la guerre de 1914 – 1918, l'auteur écrit : " Dans tous les camps, la guerre est vécue comme une croisade du bien contre le mal et les plus jeunes n'échappent à cette volonté de diaboliser l'ennemi…" Les documents textuels - comme un extrait de Jean-Christophe de Romain Rolland- ou iconographiques viennent bien en appui de cette idée qui n'est pas reprise précisément dans la proposition d'exercice pédagogique de rédaction. Dans ce manuel -comme dans les autres-, des extraits de l'article de Romain Rolland, "Au-dessus de la mêlée" datée du 15 septembre 1914 et paru dans le Journal de Genève, auraient été les bienvenus pour faire comprendre comment, bien avant 1914, les discours des hommes politiques mais aussi d'éminents scientifiques, intellectuels et philosophes de chaque camp tenaient des propos à l'argumentation clairement raciste, discours forgeant ainsi les mentalités de sociétés qui basculeront dans un nationalisme ou un patriotisme haineux et agressif.

 

3.  Culte de la personnalité et stalinisme

Dans de nombreux manuels,  en ce qui concerne le totalitarisme stalinien, les auteurs mettent l'accent plus sur les effets de la dictature et les moyens répressifs que sur les méthodes de séduction  mises en œuvre pour susciter l'adhésion d'une population à un projet idéologique et politique.

Le culte de la personnalité joue un rôle essentiel dans ce domaine.

Peu de manuels traitent de la répression contre les cultes dont  les hiérarchies s'étaient compromises avec un pouvoir autoritaire: "Le régime combat l'influence religieuse en fermant les églises ou les mosquées et en arrêtant les religieux" (Hatier p. 46). D'autres signalent que les libertés fondamentales des Soviétiques (liberté de parole, de réunion, de religion) sont bafouées (Belin p. 47, Hachette p. 51). Quant à Magnard, celui-ci présente, p. 44, des extraits de la Constitution de 1936 en omettant la liberté de religion.

L'étude des pages consacrées à ce culte de la personnalité  pointe la manière dont les auteurs font percevoir – ou non – le détournement d'un certain  sentiment religieux par la sphère politique.

Les manuels parlent des nombreux moyens utilisés : presse, radio, cinéma, affiches, défilés d'ouvriers ou de jeunes. Plusieurs auteurs présentent une iconographie et des textes parlants dont certains sont accompagnés de questionnements montrant Staline assimilé à une divinité.

3 .1. L'iconographie

Celle-ci prend souvent le pas sur les textes d'auteurs ou documents textuels. Les images étant un moyen  de propagande plus directement parlant à l'imaginaire, les auteurs ont fort logiquement repris ce qui était premier dans le dispositif d'embrigadement des esprits au service d'un système totalitaire. Elle est constituée surtout d'affiches mais également de photos. Les affiches représentent généralement la tête ou le personnage de Staline surdimensionné, le regard tourné vers l'horizon, dans une posture de toute puissance, dominant une foule anonyme. L'utilisation du  photomontage est spécifiquement  montrée chez Bordas (p. 45), Magnard(p. 38) et Nathan (p.45)

L'art est mis à contribution. Trois manuels - Hachette (p. 47), Hatier (p.49), Magnard (p. 40) présentent un tableau de I.M Toidze, 1935 : Staline devant la nouvelle centrale hydroélectrique de Ryon dans de Caucase, au centre du tableau, quatre hommes à côté de lui, porte seul un habit blanc lui donnant un aspect d'archange. Les questionnements ne permettent pas toujours de souligner cette intention du peintre ou de son commanditaire.

Une affiche fréquemment présente dans cinq manuels -Bordas (p.48), Hachette (p. 46), Hatier (p. 48) , Magnard (p.44) et Nathan (p.51) - représente Staline au regard paternel avec un jeune pionnier au regard séduit et une jeune pionnière tendant une main affectueuse., la légende disant "Merci à notre cher Staline pour notre enfance heureuse"

Autre façon de présenter propagande et culte de la personnalité : les photos, où les adversaires politiques ont été éliminés – Bordas (p. 47), Magnard (p. 38 ) – et celles montrant d'impeccables défilés , de parades comme celle de la jeunesse devant Staline sur la Place rouge (Magnard p. 42)

3. 2. Les textes

Dans les textes d'auteurs, des  termes font référence au domaine religieux : "La propagande célèbre le culte de Staline... La presse, la radio, le cinéma, les affiches glorifient le ‘petit père des peuples’" (Bordas p. 44) ; "Les artistes doivent glorifier le régime..." (Hachette p. 51).

Deux manuels citent des exemples participant de ce "culte" et tirés de la presse soviétique. Belin (p. 49) présente un  poème publié par la Pravda, 1939, intitulé "Staline l'infini, l'éternel" : "Tu es le sauveur de notre vie, tu es notre gardien, Staline/ Tu es l'œil du monde et la source, le soleil de la pensée contre les ténèbres..." Le terme "dévotion" utilisé dans le questionnement vient appuyer l'effet d'assimilation de Staline à une divinité : "Comment ce poème exprime-t-il la dévotion à Staline?"

Hatier (p. 48) donne, en document, un poème de Rashimov publié dans la Pravda, 28 août 1936, "O Grand Staline, O chef des peuples / Toi qui fais naître l'homme /toi qui fécondes  la terre..."  avec une question appropriée.

Parmi les six manuels, Belin et Hatier ont, de notre point de vue, le mieux fait ressortir combien la propagande du culte de la personnalité cherchait à faire assimiler Staline à une divinité.

4.  Culte de la personnalité et nazisme

Ce culte est présenté à la fois dans sa mise en œuvre et ses effets. On y voit la construction d'un dispositif d'exploitation du sentiment religieux et d'instrumentalisation de la religion à des fins politiques. La plupart des auteurs ont préféré l'approche iconographique à l'approche textuelle pour présenter le culte de la personnalité

4. 1. Les images

Celle-ci est présente sous forme de portraits, d'affiches, de photos, de dessins, de cartes postales.

La présence de très nombreux portraits d'Hitler, d'affiches montrant un personnage surdimensionné par rapport à son entourage, au regard fixant un horizon lointain, est de bonne pédagogie pour que les élèves découvrent un dispositif de propagande présentant un surhomme  systématiquement conquérant, sauveur.

Hatier (p. 68) présente une "affiche des années 1930" : Hitler, en gros plan, l'allure martiale, est en tenue militaire, un drapeau à la main. Derrière lui, une armée de soldats anonyme. Au dessus de lui, dans un halo lumineux, l'aigle impérial pouvant évoquer l’aigle de Jupiter, de Napoléon mais aussi dans une population de tradition chrétienne, le Saint-Esprit. Volonté de sacraliser l'aigle impérial ainsi que le chef dans une atmosphère de transfiguration ?

Trois manuels présentent des défilés de travailleurs  ou de jeunes brandissant des portrait-géants d'Hitler. Belin (p. 74), Bordas (p. 71), Hachette (p. 74) montrent   plus particulièrement l'affiche de 1938, réalisée sous les directives de Goebbels, ministre de l'information. On y voit Hitler, en tenue militaire, buste de trois quart regardant l'horizon d'un air conquérant. Une légende : "Un peuple, un empire, un chef."

Les affiches à destination de la jeunesse sont nombreuses. Une affiche de 1934 présente un jeune, en arrière-plan un  immense portrait d'Hitler, visage déterminé, regard dur tourné vers l'horizon, le texte disant : "La jeunesse sert le chef" (Belin p. 75, Magnard p. 66, Bordas p. 75).

Hatier (p. 69) présente une photo d'avion du congrès nazi de Nuremberg avec des dizaines de milliers d'Allemands dans une mise en scène impeccable et impressionnante, illustration d'un rituel quasi liturgique. Hachette (p. 79) donne aussi une photo de ce congrès avec une légende explicite : "Hitler veut, selon ses propres paroles, "entretenir la communion avec le peuple... et empoigner la masse dans le domaine des sentiments."

Ces exemples d'illustration de la volonté de confusion des sphères religieuse et politique au service de cette dernière se retrouvent aussi dans les textes présentés.   

4 . 2.  Les textes

Cinq manuels – Belin (p. 74), Bordas (p. 71), Hachette (p. 78), Hatier (p. 64) et Nathan (p. 75) – donnent des extraits de Mein Kampf, 1925, dévoilant explicitement l'antisémitisme d'Hitler ainsi que son mépris pour la "masse" du peuple.

Quelques auteurs présentent des textes particulièrement éclairants sur la volonté de la propagande de tenter de présenter Hitler comme une divinité ou sur ce que peut ressentir une personne témoin de cette propagande.

Le document – Hatier (p. 68) – titré "Une dictée d'école primaire" (1934) mérite d'être cité in extenso : "Comme Jésus a délivré les hommes du péché et de l'enfer, ainsi Hitler a sauvé le peuple allemand de la ruine. Jésus et Hitler furent persécutés mais tandis que Jésus fut crucifié, Hitler fut élevé au poste de chancelier... Jésus travaillait pour le ciel, Hitler œuvre  pour la terre allemande." La question liée demande: "A qui est comparé Hitler?" C’est un peu court !

Particulièrement intéressant également, chez le même auteur, page suivante, un extrait des Souvenirs d'ambassade à Berlin, 1946, d'A. François-Poncet et titré "Le rituel du congrès de Nuremberg". De nombreux termes utilisés appartiennent au champ religieux: rituel, baptisé, foi, rite, sacré, hymne. Mais un questionnaire superficiel ne pointe pas cet aspect.

5. CONCLUSION

Un excès d’abstraction

Reprenons la question introduisant cette étude : les manuels de Troisième des collèges d'histoire-géographie issus des programmes de 1998 répondent-ils clairement à des questions d'élèves comme :"Pourquoi de telles tueries au XXe siècle?", "Pourquoi cette haine des Juifs  en plein XXe siècle?", "Hitler était-il chrétien?" Les auteurs n'y répondent que partiellement. A leur décharge, les programmes pléthoriques les y contraignent.

Néanmoins, nous repérons des différences sensibles entre les différentes productions des équipes d'auteurs et d'éditeurs dans leur manière d'aborder les deux thèmes que nous avons privilégiés d'étudier: le racisme multiforme et d'une violence inouïe au XXe siècle, et la mise en place systématique de cultes de la personnalité au sens propre du terme, deux sujets qui se rejoignent parfois.

Quatre remarques finales :

1. Etude trop superficielle des nationalismes

Les nationalismes fortement imprégnés de racismes, causes profondes des conflits, sont insuffisamment présentés. A une exception près, aucun ouvrage ne fait mention des nationalismes belliqueux nourris d'un racisme multiforme  diffusé par une partie des élites politiques, scientifiques, intellectuelles de chaque pays. Dès le XIXe siècle, les nationalismes submergeront rapidement les mouvements pacifistes débutants.  Seule l'édition Nathan aborde en partie cette question. Concernant la guerre de 1914 – 1918, on peut lire page 26 : "Dans tous les camps, la guerre est vécue comme une croisade du bien contre le mal et les plus jeunes n'échappent à cette volonté de diaboliser l'ennemi..." Les documents textuels –  comme un extrait de Jean-Christophe de Romain Rolland – ou iconographiques viennent étayer cet engagement sans nuance.

Une lacune importante: la présentation même brève des réactions d'adhésion ou de résistance des populations face aux lois antisémites du gouvernement de Vichy. Une exception, le manuel Nathan présente un extrait d'une lettre pastorale de Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse, interdite par arrêté préfectoral, lue publiquement dans son diocèse le 2 août 1942 : "les Juifs sont des hommes... Ils sont nos frères comme tant d'autres. Un chrétien ne peut l'oublier..." (p. 114).

 2. Mise en perspective historique insuffisante

L'insuffisance  de mise en perspective historique due à des faits manquants ou non développés empêche les élèves de lier des faits sur la longue durée. Par exemple, la marginalisation de "l'autre" si présente pendant la Seconde Guerre mondiale n'est pas montrée comme déjà en marche, bien avant la guerre de 1914 avec la montée des nationalismes, des colonialismes et des racismes. L'Affaire Dreyfus dont l'antisémitisme des Français sous Vichy est en grande partie l'écho n'est jamais rappelée par aucun éditeur. Dans le même ordre d'idée, pour faire repérer et comprendre l'évolution des mentalités et des comportements, on peut déplorer qu'un seul éditeur ait pris l'initiative de présenter un exemple de geste symbolique de paix: dans une double page consacrée au génocide juif, on peut voir une photo du chancelier allemand Willy Brandt, en 1970, agenouillé devant le mémorial élevé en mémoire des Juifs massacrés lors de l'insurrection du ghetto de Varsovie en 1943 (Magnard p.75).

3. Les cultes de la personnalité insuffisamment  pointés et comparés

Peu de manuels ont pointé combien les cultes de la personnalité, chez Hitler comme chez Staline, pouvaient mimer  les discours et les méthodes d'expression de la sphère religieuse. Le manuel Hatier a le mérite de présenter une  double page 68-69 titrée "La propagande nazie" où les images et les textes permettent de décrypter des formes de propagande dont l'objectif est la manipulation du sentiment religieux à des fins politiques au profit d'une idéologie totalitaire.

D'autre part, aucun manuel ne se risque à mettre en parallèle les deux formes de culte de la personnalité de Staline et de Hitler, comparaison qui pourrait pourtant faire réfléchir les élèves.

4. Insuffisance ou absence de lien avec l'éducation civique et d'autres disciplines.

Pour comprendre l'actualité, les conflits proches ou lointains, les différentes formes d'exclusion, de racismes, d'intégrismes, les élèves ont certes les programmes d'histoire-géographie mais aussi ceux d'éducation civique, de français, d'arts plastiques, de langues... Dans les parties étudiées, les auteurs  ignorent cette interdisciplinarité et donc les ponts et les possibilités de questionnement qui aideraient à comprendre une période particulièrement tragique.

Pour conclure, nous constatons que chaque chapitre des manuels est conçu trop souvent d'une manière autonome, que chaque discipline – histoire, géographie, éducation mais aussi les autres disciplines – reste cantonnée dans sa sphère. Nous sommes bien loin de l'interdisciplinarité pourtant si nécessaire pour éclairer les multiples aspects de la période historique étudiée et pour former un futur citoyen.

 

4 mai 2012

 

Claudine Charleux, Alain Merlet, Jean-Marc Noirot (synthèse) et Maja Siemek

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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