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23 juillet 2010 5 23 /07 /juillet /2010 20:03

 

 

Les faits religieux dans les manuels d’histoire de 5e Programmes 2008

 

 

SOMMAIRE

1. Introduction, notre regard

2. Analyse des lexiques

3. Les débuts de l’islam

4.La place de l’Eglise au Moyen Âge

5.L’expansion de l’Occident. Les Croisades

6.Les découvertes européennes et la conquête des empires

7. Les réformes protestante et catholique

8. La traite des Noirs

9. L'iconographie

10. Conclusion

 

 

 1. Introduction : notre regard

 

Quel regard porte le Réseau école laïcité religions sur les faits religieux dans les
nouveaux manuels d’histoire de 5e ? Comme réponse, nous
empruntons à Régis Debray un propos qu’il tient, page 30, dans son Rapport sur l’enseignement
du fait religieux dans l’école laïque : « Les religions ont une
histoire, mais ne sont pas que de l’histoire… Dire le contexte historique sans
la spiritualité qui l’anime, c’est courir le risque de le dévitaliser. Dire, à
l’inverse, la sagesse sans le contexte social qui l’a produite, c’est courir le
risque de mystifier. La première abstraction fait l’entomologiste, sinon le
musée Grévin. La seconde fait le gourou, sinon le Temple solaire. Il est parié
ici sur une troisième voie, mais qui n’a rien de nouveau dans notre meilleure
tradition scolaire, depuis un bon siècle : informer des faits pour en
élaborer les significations. »


Avant de présenter nos commentaires, deux remarques :

 

Tout d’abord, nous avons cherché à tester la pertinence de la mise en œuvre des
programmes sur la question des faits religieux et choisi dans cette perspective
de ne citer aucun éditeur dans le déroulement de nos analyses.

 

Deuxièmement, nous avons souhaité travailler pour cette lecture critique des manuels avec l’Institut
européen en sciences des religions qui a accepté une collaboration dont nous
nous félicitons. Nous avons réalisé ensemble l’analyse des notions relevant du
champ religieux dans les lexiques des sept manuels. Nous tenons à remercier
vivement Anna Van Den Kerchove, coresponsable des programmes de formation
continue à l’IESR.


Ont participé à ces analyses: Claudine Charleux, Laetitia Havet, Maria Istoc, Henri de la Hougue,
 Françoise Marchand, Alain Merlet, Jean-Marc Noirot (synthèse) et Maja
Siemek. 

 

2. Analyse des lexiques

Dans le lexique des 7 manuels, 181 notions relèvent du champ religieux, les éditions en donnent entre 32 et 54. De notre point de vue, 52 termes sont nécessaires tenant compte d'un public souvent composé d'élèves issus de milieux sans grande culture religieuse. Mais 45 seulement sont présents dans les lexiques, et pas forcément dans toutes les éditions.
Que dire des 136 (181-45) termes non retenus ? Sinon une difficulté certaine à appréhender le phénomène du religieux.

 

Que dire des 7 notions absentes (52-45) : âme, confession, doctrine, foi, grâce, mystère, révélation ? Ces termes, par ailleurs, peuvent  être quelquefois présents dans le texte d’auteur ou dans un document choisi. Sinon souligner une carence qui rendra difficile l'accès à un savoir sur le contenu religieux.

Sur ces 7 notions, 2 étaient présentes dans le lexique de certains manuels issus des programmes de 1996. Il s’agit de « foi » et de « révélation ». De notre point de vue, c’est un recul dans la présentation  objective des monothéismes.

 

Autre remarque : l'apparition de 2 termes absents des lexiques précédents : « communier » et « péché ».

 

 

Définitions présentes, absentes ou erronées

 

Deux observations : premièrement, l'absence d'un terme en tant que définition ne signifie pas que celui-ci soit absent d'un ou de plusieurs chapitres concernés. Par ailleurs, la présence d'un terme n'implique pas, comme nous le verrons plus loin, une définition toujours pédagogique et juste de notre point de vue.

 

En dehors des notions absentes ou nouvelles, 3 remarques fréquentes sur les autres définitions.

Premièrement, certains manuels ne respectent pas le devoir de réserve lié à l'abord du domaine religieux ou politique, soit par manque de distance, soit par une mise à distance excessive. Exemple de manque de distance : le Coran est défini, dans une édition, comme « livre qui consigne la parole de Dieu transmise au Prophète Mahomet ». Exemple inverse pour le même terme : « Pour l'islam, ensemble des paroles qu'Allah aurait dictées à Mahomet. »

Deuxième remarque également fréquente : le manque de rigueur donné à des notions aussi fondamentales que celles d'« Eglise » ou de « salut ». Un manuel définit « Eglise » comme « ensemble des membres du clergé ». Quant au mot « salut », celui-ci est toujours défini comme post mortem! Que dire de « païen » défini comme « qui n'est pas monothéiste » ?

Dernière remarque : la rareté de certaines notions pour comprendre l'islam comme « sîrs » et « hadith », notions pourtant présentes dans le libellé des programmes. En revanche, les termes de « Sunnites » et « Chiites » sont présents.

Autre définition très rarement présente : « iconoclasme », notion fondamentale à l'époque des guerres de religions –  en particulier pour les calvinistes –  et d'autant plus importante à expliquer qu'elle se retrouve dans les 3 monothéismes.

 

 

 

Définitions proposées

 

Pour éclairer notre point de vue, nous prenons le risque de proposer quelques définitions.

Ame : sens religieux, partie spirituelle et immortelle de l'homme.

Confession : sacrement où quelqu'un reconnait ses fautes et s'en détourne. L'absence de cette notion est fort étonnante étant donné le lien entre « confession » et « indulgences », l'une des sources de la rupture entre les chrétiens d’Occident au Moyen Age. Au sens plus large du terme, "confession" est équivalent à "religion".

Doctrine : sens religieux, ensemble de vérités auxquelles un fidèle doit croire.

 

Foi : pour les monothéistes, croyance en Dieu. Certains y ajoutent l'idée de don de Dieu.

 

Grâce : sens religieux, amour de Dieu donné gratuitement aux hommes.

 

Mystère : dogme révélé inaccessible par la raison seule. Comme tous les manuels font une large place à l'histoire des arts, par exemple, à de nombreuses représentations de Vierge à l'enfant et d'Annonciation sans référence au mystère de l'Incarnation, quel sens donnera l'élève à ces tableaux?  Quelle réponse peut-il donner à une question fréquemment posée sur l'identification de la scène biblique représentée?

 

Révélation : sens religieux, manifestation d'un mystère ou dévoilement d'une vérité par un homme inspiré par Dieu.

 

Parmi deux notions nouvellement présentes, « communier ». Nous choisissons la définition d'un des manuels : « Manger le pain et boire le vin qui, consacrés par le prêtre, deviennent, pour les chrétiens, le corps et le sang de Jésus Christ. » A ce terme peut être associé celui de « communion » : appelée « eucharistie » –  « rendre grâce », en grec – chez les catholiques ou « Sainte Cène » chez les protestants. Pour les chrétiens, celle-ci fait mémoire du dernier repas de Jésus avant sa mort et sa résurrection ; c'est un mémorial tourné vers le présent et vers l'avenir.

 

Autre notion nouvellement présente : le « péché ». Elle apparaît dans 4 manuels sous des termes ayant une connotation très nettement culpabilisante, ce qui était la réalité de l'époque...

 

En conclusion, la plupart des éditions ont fortement privilégié un vocabulaire concernant les pratiques religieuses  en en écartant souvent le sens symbolique. La compréhension des faits religieux implique la présentation ou le rappel d'un minimum de concepts liés à la croyance, souvent communs aux monothéismes ou religions étudiés en 6e.

 

3. Les débuts de l’islam

 

Dans l’ensemble les nouveaux manuels 2010 présentent l’islam de manière beaucoup plus satisfaisante – voir notre analyse des manuels issus des programmes de 1996. Les distinctions entre l’islam civilisation et l’islam religion est davantage marquée et souvent même précisée par la distinction entre islam avec un i minuscule et Islam avec un I majuscule.

Les mêmes références au pacte d’Omar sont faites dans tous les manuels, dans sa version la plus ancienne et la plus ouverte.

L’accent est davantage mis sur l’ouverture religieuse et moins sur la dimension belliqueuse, même si la définition du mot « djihad » reste dans tous les manuels exclusivement guerrière avec une illustration de Coran 9, 29 – qui pourtant n’utilise pas le mot « djihad ». Le sens principal est le combat intérieur (comme dans Cor 29, 5-6). Le mot désigne de manière secondaire le combat pour défendre les musulmans quand ceux-ci sont attaqués. Aujourd’hui, le terme est repris par les musulmans fondamentalistes pour justifier leurs attaques armées.

La question de la neutralité est de manière globale mieux gérée en se référant explicitement à ce que dit la tradition musulmane, ce qui évite à l’éditeur de se situer en disant « Muhammad aurait eu une révélation »

Plusieurs manuels disent que le texte du Coran a été fixé vers le 9e siècle. Ce n’est pas juste. Le recueil des différentes sourates est fixé au 7e siècle, sous le calife Othmân, même si à cause de l’imprécision de l’Ecriture de l’époque, qui ne comportait ni vocalisation ni points diacritiques, quelques variantes dans l’interprétation de la lecture des textes durent jusqu’à aujourd’hui. Ces différentes lectures ont été officialisées au 10e siècle, mais les variations sont extrêmement mineures.

Certains manuels donnent des citations tronquées de versets. Habituellement en islam, on les cite littéralement : il peut être choquant pour un musulman de faire soi-même un découpage des versets. En utilisant ce verset pour illustrer la nécessité de combattre sur le sentier de Dieu, on généralise un verset sans tenir compte des circonstances de sa révélation, ce que fait toujours l’exégèse musulmane. C’est toujours un peu tendancieux.

Littéralement la shahada, la profession de foi, se traduit : « J’atteste qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et que Mohamed est son envoyé. »

En ce qui concerne le pèlerinage, la Kaaba n’est pas le « but ». Il vaut mieux dire le « lieu central » du pèlerinage.

Des imprécisions dans certains termes sont à noter : Il est plus juste de traduire rasûl par « envoyé » plutôt que par « prophète » ; ce sont deux termes différents : Parmi les prophètes (nabî), certains sont le statut d’envoyé (rasûl), notamment ceux qui transmettent la Parole de Dieu : Moïse, Jésus et Mohammed. Littéralement : « Il n’y a de Dieu qu’Allah et Mohammed est l’envoyé d’Allah. »

Une précision pour la calligraphie : en islam, celle-ci permet d’évoquer Dieu sans le représenter, car on ne peut connaître de Dieu que ce qu’il a révélé, sa Parole.

Il est à déplorer que plusieurs manuels mettent encore des photos à l’envers (effet miroir). L’arabe n’est pas lisible.

De manière générale, quelque soit la transcription utilisée pour Mahomet/Mohammed/ Mohamed, on gagnerait à préciser qu’il y a plusieurs transcription possible afin que les élèves puissent faire le lien entre ce qu’ils voient dans le livre et ce qu’ils entendent par ailleurs.

Henri de la Hougue

 

4. La place de l'Eglise

 Les manuels accordent à ce thème entre 14 et 26 pages. Tous montrent bien comment l'Eglise très hiérarchisée, riche et puissante structure le temps, la vie d'un individu, comment cette institution influence les consciences en quête de réponse à des questions sur l'au-delà de la mort par une théologie fortement teintée de peur. Peu nombreux sont les ouvrages qui insistent sur la manière dont l'Eglise structure aussi l'espace avec l'église, le cimetière, la sauveté, la paroisse, les biens ecclésiastiques.

  Une première critique: la plupart des ouvrages ne distinguent pas période historique et religion, critique déjà formulée pour les manuels issus des programmes de 1996. Par une insuffisance de contextualisation, ils présentent ,sans approfondir la contradiction, une époque mêlant un certain idéal et la montée de l'intolérance religieuse et politique dans l'Europe occidentale chrétienne au Moyen Âge : tout homme devait pratiquer la religion de son prince, le pape se voulait au dessus des rois et des empereurs, mais la référence ultime de ces croyants était un homme-dieu victime des puissances politiques.

Contradiction qui ne peut se comprendre sans une mise en perspective historique et sans références au début du christianisme au programme de l'année précédente. Pas de distinction entre le message des évangiles et celui de l'Eglise -institution, d'une part, elle-même divisée en haut et bas clergé, et le peuple des croyants, d'autre part - à un moment précis de son histoire.

 

Nous porterons notre attention plus particulièrement sur deux points: le choix fait d'un grand personnage religieux, homme ou femme , et la manière de présenter l'Eglise comme porteuse de paix ou comme facteur de violence et d'exclusion.

En ce qui concerne la présentation d'un grand personnage religieux, un manuel s'abstient. Un autre lui consacre une petite demi page. Quatre ouvrages accordent une double page .Un dernier présente deux personnages, chacun sur une double page. François d'Assise est choisi trois fois, choix heureux de notre point de vue , dans la mesure où celui-ci est une figure symbolique d’un retour aux valeurs chrétiennes, aspiration que le haut-clergé n'entendra pas et qui réapparaitra sous une forme plus critique deux siècles plus tard. Bernard de Clairvaux est présenté dans deux manuels dont l'un choisi également Saint Dominique. Une femme, Hildegarde de Bingen, est présentée sur une page dans un manuel. Qu'en est-il d'une autre femme, Jeanne d'Arc?

Personnage à caractère religieux mais aussi politique, Jeanne d'Arc est présente dans le thème: "féodaux, souverains, premiers Etats". Son étude associée au roi Charles VII est un choix à faire  "parmi les personnages significatifs de la construction de l'Etat...s'imposant progressivement comme une autorité souveraine et sacrée."(cf. programmes officiels)

Tous les manuels ont opté pour l'étude de Jeanne d'arc et Charles VII- sauf un - et ce ,sur une double page. Deux ouvrages présentent Jeanne d'Arc comme un personnage uniquement politique, l'un d'eux s'abstenant même de parler de sa mort. La plupart évoquent "les voix" ou "voix divines lui ordonnant de sauver le royaume de France". Quatre manuels présentent une lettre de Jeanne d'Arc au roi d'Angleterre où elle écrit:" Je suis ici envoyée par Dieu pour vous chasser". Un seul livre pose sur ce document la question: "Au nom de qui Jeanne prétend-elle agir?". Trois manuels seulement donnent les causes de sa mort: accusation d'hérésie, de sorcellerie, d'envoyée du diable, port de vêtement d'homme. Un seul ouvrage évoque sa réhabilitation en 1456.

En conclusion, trois manuels sur sept présentent le caractère à la fois religieux et politique du personnage de Jeanne d'Arc. L'un d'eux offre une très bonne synthèse de sa vie en cohérence avec les programmes. Nous citons une question portant sur l'ensemble des documents présentés :"Repérez dans ces documents ce qui évoque l'aide de Dieu dans la chevauchée de Jeanne d'Arc et le sacre du roi. Qu'est-ce que cela signifie pour la royauté?" Ainsi l'élève sera à même de comprendre comment la monarchie se construit peu à peu comme monarchie de droit divin.

 Une question reste posée: comment un jeune peut saisir le personnage de Jeanne d'Arc et la singularité de son histoire dans les ouvrages  qui évacuent soigneusement toute motivation religieuse?

Le second point d'étude de cette partie est: l'Eglise - institution, à la fois, porteuse de paix et facteur de violence et d'exclusion.

Tous les manuels présentent le rôle social de l'Eglise par l'aide aux pauvres, par la création des premiers hôpitaux .Six ouvrages sur sept montrent explicitement l'Eglise comme facteur de paix. Cette dernière condamne ,dès le XIème siècle, les violences des chevaliers, impose la Paix de Dieu pour protéger les personnes désarmées. La Trêve de Dieu instaure des périodes interdisant de combattre, tout contrevenant risquant l'excommunication. Deux manuels  présentent le droit d'asile et les lieux d'asile que deviennent les églises et les monastères.

Dans le même temps, l'Eglise est aussi source d'intolérance et de violence. Tous les ouvrages traitent des mouvements hérétiques et de la réponse de l'institution catholique, entre autre, par le tribunal de l'Inquisition dès le XIIIème siècle. Quatre présentent les hérésies sous un angle strictement évènementiel; les trois autres évoquent les dogmes et les pratiques de ceux qui choisissaient  de croire autrement : " non croyance en la résurrection" ou "refus du baptême" chez les Cathares. Parmi ces trois, un précise: "de nombreux chrétiens reprochent à l'Eglise sa trop grande richesse" et invite les élèves à répondre à la question sur un texte de l'Inquisition relatant l'hérésie vaudoise :"De quoi sont accusés les Vaudois? ",la réponse attendue étant" la lecture de la bible en langue vulgaire".

On ne peut qu'être surpris par la réserve de certains auteurs à passer sous silence les différents motifs de la contestation de la foi officielle, contestation que l'on retrouvera amplifiée deux siècles  plus tard.

Aucun manuel ne parle des juifs qui, aussi pour des raisons religieuses, étaient exclus de cette société chrétienne médiévale. Alors que, dans les éditions précédentes sur le même thème, quatre ouvrages sur six faisaient mention des juifs et des persécutions subies. L'un d'eux donnait un « extrait de l’ordonnance de Louis IX (Saint Louis) » en 1269 avec pour titre «  les Juifs mis à part ». Un autre précisait : « Dans un contexte…. où le devoir d’un chrétien est le combat contre les infidèles… les Juifs aussi sont perçus comme les ennemis de la société chrétienne.  En 1182,  Philipe Auguste procède à la première expulsion des Juifs du royaume de France et, au XIIIe siècle, un concile les oblige à porter un signe distinctif. »  Un troisième manuel allait  plus loin : « Les Juifs ne sont que tolérés : accusés d’être responsables de la mort du Christ, ils subissent des discriminations et parfois des persécutions de la part de la population ou de l’Inquisition. » Pourquoi un tel silence? Silence que l'on retrouvera pour les juifs et d'autres communautés religieuses  dans le thème suivant , l'expansion  chrétienne!

 

5 . L’expansion de l’Occident. Les Croisades 

Introduction

 

Deux observations préliminaires: d'une part, les 7 éditions ont choisi pour ce thème une pagination qui va de 3,5 à 8,5 pages, l'histoire des arts n'étant pas la seule variante. Contrairement à ce qu'on pouvait penser, ce ne sont pas les ouvrages qui ont le plus grand nombre de pages qui présentent l'éclairage le plus nuancé sur cette période complexe devenue sujette à polémique. D'autre part, en volume et qualité d'informations, la comparaison avec les manuels issus des programmes précédents n'est guère en faveur des nouveaux manuels.

Une critique: Un seul manuel fait une contextualisation satisfaisante de notre point de vue: "Depuis le 10ème siècle, l'Eglise a tenté de limiter la violence en défendant les plus faibles ...Elle développe l'idée qu’il n'y a pas de violence légitime, sauf pour défendre la liberté des pèlerins et sous l'autorité du pape: la croisade vise à rendre possible le pèlerinage à Jérusalem."

Nos commentaires se divisent en deux parties : 

1. Les croisades en Orient

2. La Reconquista et les autres croisades

 

1. Les Croisades en Orient

  a/ Le contexte géographique

  Deux remarques concernant les noms de lieux et les cartes :
Tout d'abord, la destination des croisades est dénommée de deux manières : "Lieux saints" ou "Terre sainte" qu'un manuel définit comme : "la Palestine, lieu où Jésus-Christ aurait vécu". Il aurait été juste d'écrire: "où Jésus a vécu". Aucun manuel n'indique que Jérusalem est ville sainte pour les trois monothéismes. En ce qui concerne les cartes, celles-ci sont très simplifiées et gomment de nombreux éléments, ce qui appauvrit considérablement la compréhension d'une période historique complexe dans un Proche-Orient dont l'actualité n'est pas avare en information.

Sur les cartes, l'absence des communautés juives en Occident comme en Orient rejoint le silence des textes des auteurs sur les agressions contre les communautés juives en Allemagne ou ailleurs au début des Croisades, attaques accompagnées de meurtres, de Torah et Talmuds brûlés publiquement, agressions dont le double but était d'éliminer les premiers "infidèles" rencontrés et de financer les expéditions.

Aucune carte ne mentionne non plus la présence des communautés chrétiennes en Orient : celles des coptes en Egypte -représentant au XIIème siècle environ le tiers de la population - ni celles des chrétiens de Palestine, de Syrie, d'Arménie, de Géorgie et de Mésopotamie. Ces derniers sont  appelés "Nasrani" -terme désignant "ceux de Nazareth" - par les Arabes ou les Turcs. Les Kurdes sont également absents des cartes.

  b/ Les causes

  Pour les manuels, les causes sont religieuses mais pas seulement. Les causes politiques et économiques sont présentées implicitement ou très explicitement dans l'ensemble de ce thème de l'expansion de l'Occident, Occident que cinq ouvrages sur sept qualifient de "chrétien" dans l'énoncé de la problématique en introduction du chapitre. Trois manuels présentent des cartes avec des légendes mêlant parcours des croisades et trajets commerciaux terrestres et maritimes. Pour les causes religieuses, tous les manuels présentent l'appel du pape Urbain ll au concile de Clermont en 1095 avec des traductions et des découpages variés. Quels sont les extraits de ce texte? Quelles questions s'y rapportent? Quelle lecture distanciée ou non de ces extraits est proposée?

Trois manuels sur sept citent, parmi les nombreuses phrases légitimant la violence, le propos : "Le Christ l'ordonne!". Les questions sur le texte portent sur les "buts" ou les "raisons" des croisades...Un manuel tente une distanciation : "Quelles sont les raisons que (le pape) avance pour justifier la croisade? Le Christ d'Urbain II n'est pas celui de Blandine dont les élèves ont entendu parler l'année précédente. Dans six manuels sur sept, le terme christianisme ou catholicisme a donc tendance à se confondre avec celui de chrétienté

c/  les conséquences

       - Chrétiens contre musulmans... mais pas seulement.

  Tous les manuels montrent la violence de ces expéditions guerrières qui dureront deux siècles. Une simplification excessive gomme souvent l'intérêt pour cette période historique. L'abondance d'images peut nuire au texte d'auteurs et aux documents écrits. L'élève n'apprendra pas que les Arabes et les Turcs furent d'abord surpris par les qualités guerrières des croisés ainsi que par leurs comportements jugés grossiers; que, pendant les trêves nombreuses, beaucoup de chefs croisés, byzantins, arabes, turcs ont tissé entre eux de nombreuses alliances très éloignées des préoccupations religieuses censées les animer; que l'appel à la "guerre sainte", "petite djihad" a mis beaucoup de temps à se mettre en place, que l'arrivée des Mongols permettra l'allongement de la durée de la présence des croisés à Saint- Jean d'Acre.

Aucun ouvrage ne fait mention la rencontre insolite de François d'Assise avec Malik Al Kâmil, sultan d'Egypte en plein siège de Damiette en 1219, rencontre qui a inspiré, côté Occident et surtout français, de nombreux écrivains et peintres. L'élève ignorera que le joyau de l'art gothique à Paris, la Sainte-Chapelle, a été construite pour abriter les reliques apportées des croisades; que les oignons d'Ascalon -entre Jaffa et Gaza - très appréciés des croisés donnent goût aujourd'hui à nos salades sous le nom d'échalotes.

Entrer dans un peu de complexité n'est pas de l'encyclopédisme mais nourrit l'intérêt de l'élève, fournit du sens, permet d'approcher la compréhension des réalités d'hier et d'aujourd'hui.

Quatre manuels proposent des "regards croisés" forts intéressants sur un même évènement guerrier ou une période de trêve comme la description de la ville d'Acre au 12ème par un voyageur arabe, Ibn Jobaïr, ou le texte proposant le regard d'un musulman sur des pratiques chrétiennes. Le questionnement pédagogique qui suit déçoit. Un seul manuel renvoie au chapitre sur les débuts de l'islam, étudié en début d'année scolaire, pour rappeler ce que l'Occident chrétien a appris des Arabes comme connaissances nouvelles et pas seulement la transmission de l'héritage de l'Antiquité grecque. Aucun ouvrage ne se risque à analyser les conséquences de la présence occidentale au Moyen Orient pour l'évolution ultérieure du monde arabe.

  -  Chrétiens contre chrétiens, catholiques contre orthodoxes

  Quelles conséquences les croisades ont-elles eu sur les rapports entre catholiques et orthodoxes? Tous les manuels parlent du sac de Constantinople en 1204 par les croisés. Trois insistent sur l'évènement en présentant un document. Deux soulignent les conséquences de cet évènement sur les rapports entre les deux Eglises et parlent de "rupture définitive". Au cas où un élève curieux souhaiterait connaître les suites de ces conflits, il serait bon que l'enseignant puisse donner deux dates: 1965, la levée des excommunications réciproques; 2001,le pape Jean-Paul II demande pardon pour les violences faites par les catholiques romains lors du sac de Constantinople, démarche qui s’inscrit dans un contexte de dialogue commencé entre chrétiens dès le début du 20e siècle.

 

  2. Reconquista et autres croisades

  Pour la Reconquista et les autres croisades, les ouvrages montrent une expansion chrétienne sous le signe de la violence envers ceux qui étaient vus comme "infidèles", "païens", "hérétiques". Les juifs ne sont pas nommés alors qu’ils l’étaient dans les manuels issus des programmes précédents.

La date de la fin de la Reconquista, 1492, est largement citée mais non accompagnée de la mention de l'expulsion d'Espagne des musulmans et des juifs. Parmi ces derniers, beaucoup seront accueillis en pays musulmans en Afrique du Nord - Maïmonide par exemple -et dans l'Empire ottoman. L’élève se demandera, deux ans plus tard en étudiant la Shoah, les raisons de cette haine des juifs dans la première moitié du siècle dernier.

 

Frilosité ou manque de rigueur...?

 

Sur ce thème de l'expansion chrétienne, il aurait été souhaitable d'entrer dans un peu plus de complexité pour éviter à l'élève un grand risque de confusion- les principaux médias aidant- entre message religieux et ce que les hommes en font. Il est à craindre que soit ainsi renforcée l'équation religion= violences, comme le laisse entendre un manuel qui, à propos la bataille de Las Navas de Tolosa, titre :"une victoire du christianisme".

 

6 . Les découvertes européennes et la conquête des empires

 

Dans les pages concernant les découvertes européennes et les conquêtes des empires, nous avons regardé, dans les manuels, la manière dont l'"autre" est présenté avant, pendant et après la rencontre ou le choc avec les Européens ainsi que la manière dont les Européens -et parmi eux les religieux-  ont vécu cette rencontre ou ce choc. Les auteurs ont choisi de présenter soit l'empire aztèque, soit l'empire inca ou les deux. 

 Ils présentent les civilisations d'une manière équilibrée. Les ouvrages par des documents divers - récits de voyage, cartes, illustrations mettant l'accent sur les motivations complexes autant économiques que religieuses des explorateurs - proposent d'étudier une même gravure, celle de Théodore de Bry, 1596, illustrant l'arrivée de Christophe Colomb à Haïti. Un manuel associe l'étude de ce document et le journal de bord du navigateur avec un questionnement pertinent.Les conséquences dramatiques de ce choc de cultures pour les peuples rencontrés sont fortement soulignées. 

 L'extermination des indiens est rappelée fréquemment surtout par la figure de Las Casas dont un seul manuel ne fait pas mention. Cet ouvrage présente seulement deux documents : un extrait d'une lettre de C. Colomb et un résumé d'une des thèses de la Controverse de Valladolid légitimant la colonisation. Les deux documents choisis, leur accompagnement pédagogique ainsi que le texte d'auteur dans cette double page ne permettent pas à l'élève de prendre en considération les intérêts et la dignité des peuples conquis. Ceux-ci sont vus exclusivement du point de vue des conquistadors. Autre constat : ce manuel présente également, dans une double page, l'avancée de la cartographie dans l'histoire de la technologie occidentale et, dans une autre double page moins inspirée, la colonisation présentée d'un point de vue exclusivement occidental, ignorant le regard distancié d'un contemporain de l'époque, tel celui de Montaigne qui présente, dans les Essais, le point de vue des cannibales qu'il rencontre à Rouen.  

Un autre ouvrage fait une remarquable double page sur "Les représentations des peuples du Nouveau monde"  riches d'enseignement sur l'imaginaire des Européens qui ont vu, très souvent, -et continuent de voir ?- dans l'autre soit un "bon sauvage", soit un "féroce cannibale"


7 . Les réformes protestante et catholique 

 

Dans les pages consacrées aux Réformes protestante et catholique, quatre points ont retenu notre attention :

- Premièrement, le contexte, la manière dont les Réformes sont reliées à l'étude de la "place de l'Eglise".

-Deuxièmement, la Réforme protestante, les personnages de Luther et Calvin, la querelle des iconoclastes.

-Troisièmement, la Réforme catholique.

-Enfin, la présentation des querelles politiques ou idéologiques.

Une remarque préliminaire:la différence de pagination entre les manuels surprend : celle-ci va de 6 à 14 pages. Avec une pagination trop faible, le texte trop dense ne permet pas l'apprentissage d'un thème complexe alors que les indications de durée contenues dans les programmes incitent à aller plus loin.

 

1.Contexte des Réformes

L'étude de ces Réformes est préparée par le thème, "la place de l'Eglise", auquel tous les manuels ne renvoient pas. Dans ce cas, l'élève n'aura guère d'éléments pour comprendre le fossé pouvant exister entre la vie fastueuse du haut clergé et les principes évangéliques, les conditions déplorables de vie et de formation du bas clergé. Un ouvrage, toutefois, contextualise d'une façon pertinente ce temps de crise :"A la fin du Moyen-âge, la question du Salut tourmente les chrétiens. Les malheurs du temps (Guerre de Cent ans, famine, peste noire) sont perçus comme des sanctions de Dieu pour punir les hommes de leurs fautes. Par crainte du Jugement dernier, les fidèles multiplient les actes de piété et achètent à l'Eglise des Indulgences."

2. La Réforme protestante, Luther et Calvin

En ce qui concerne la Réforme protestante, les auteurs des manuels avaient la possibilité de se focaliser sur l'un des deux personnages.

Les idées de Luther sont développées tant du point de vue de la doctrine que de l'organisation de la nouvelle Eglise. Des tableaux comparatifs entre les religions catholique et protestante sont nombreux. Certains sont confus, l'un ,beaucoup plus clair, regroupe les différents points de vue en trois items: doctrine, liturgie et Eglise, vue ici comme institution, -ce qui facilite la mémorisation des élèves. Aucun manuel ne précise- comme le faisait un ouvrage issu des programmes précédents - que Luther insiste sur une relation personnelle avec Dieu. Le lien entre la diffusion des idées de Luther et l'invention de l'imprimerie est pointé fréquemment. Aucune allusion, en revanche, au Luther politique et son implication dans la répression de révoltes paysannes en Allemagne.

Quelques manuels ont choisi de présenté Calvin, principal théologien de la Réforme protestante. Alors qu'il met l'accent sur la "grâce", il est représenté souvent et uniquement sous l'angle d'un sinistre censeur dictant son "Ordonnance des moeurs" à Genève. Quatre manuels sur sept ont cité les écrits de Calvin sur la prédestination, thème très peu développé dans ses sermons et d'un abord particulièrement difficile. Un manuel propose une recherche sur internet sans véritable pédagogie d'accompagnement, sans question sur sa doctrine propre, sans proposition de comparaison avec Luther et le catholicisme.

Les iconoclastes sont présentés dans deux manuels sur sept, ce qui est peu compte tenu de l'importance du problème qu'ils ont soulevé et continuent de soulever dans un monde des images qui est le nôtre, sans compter que les deux autres religions monothéismes émettent de fortes réserves sur la représentation du divin.

Les manuels traitant de l'anglicanisme montrent les causes politiques du conflit sans préciser qu'il n'y a pas de différence quant à la doctrine entre anglicanisme et catholicisme.

3. La Réforme catholique

A côté de la présentation des décrets du concile de Trente, certains manuels ont choisi de présenter sur une double page Ignace de Loyola-pour deux d'entre eux- et l'art baroque au service de la Réforme catholique- pour deux manuels également."L'histoire par les arts" propose l'un d'eux- choix heureux de notre point de vue -, l'histoire des arts étant intégrée à l'histoire générale.

4.Les guerres de religions.

En ce qui concerne les guerres de religion, des manuels ont fait le choix d'associer les guerres de religion en France à la montée du pouvoir absolu. Un manuel a choisi d'analyser les querelles idéologiques et les guerres de religions. Une double page traitant des différentes formes de violences religieuses est excellente. Lier conflit idéologique et guerre permet de  poser des questions pertinentes : comment passe-t-on de l'un à l'autre? Comment aurait-on pu éviter de telles querelles? L'extrait du discours de Michel de L'Hôpital devant les Etats généraux en 1560, intitulé "lutter de manière pacifique" et les questions qui s'y rattachent est un choix particulièrement heureux.

 

8 . La traite des Noirs

Dans le chapitre  "Regards sur l'Afrique", le programme propose "l'étude de la naissance et du développement des traites négrières" du VIIIe au XVIe siècle.

 Sur ce thème,  traité entre deux et six pages dans les manuels, de nombreuses questions peuvent être posées: origine de la traite, les acteurs, les victimes et leur nombre, le rôle de l'islam et du christianisme dans le commerce des esclaves.

a. Deux  remarques préliminaires :

 L'une  sur la terminologie utilisée, l'autre sur la question implicite de la construction de l'image raciste des Noirs dans le monde arabo- musulman comme dans le monde européen.

A propos du vocabulaire utilisé, quatre manuels sur sept ont préféré,  comme titre de chapitre,  le terme "traite des Noirs" à celui de  "traites négrières". Un manuel définit plus précisément le mot "nègre" en le situant historiquement, de même que le terme "esclave". Certains termes utilisés sont malheureux et peuvent être choquants dans un texte d'auteur de manuel,  dans certains documents proposés et sur de nombreuses cartes.

-Un auteur d'ouvrage  écrit:" Les besoins en esclaves du monde arabo-musulman font des esclaves noirs une marchandise de prix que l'on peut exporter vers tout le bassin méditerranéen"

-Un manuel propose, en document, un extrait d'un ouvrage de 2004:

" S'occupant eux-mêmes de produire des captifs...,(les Etats africains) étaient demandeurs de produits".

- En ce qui concerne les cartes, pour désigner les régions  de capture  des esclaves et celles de vente et de travail forcé, les termes utilisés par six manuels sur sept pêchent par manque ou excès  de recul par rapport au contexte historique. Les désignations des premières zones  oscillent entre  "région productrice d'esclaves", "Etat exportateur" et "aire de départ des esclaves " voire ,plus énigmatique, "centre répartiteur"; pour les secondes , les libellés vont de "région importatrice", "pays importateur", "centre utilisateur" à "aire d'arrivée des esclaves".

A propos de l'origine du racisme du monde arabo-musulman ou européen envers le monde africain, trois manuels se distinguent en exposant comment s'est construite, au cours des siècles,  une image méprisante  envers les Noirs . Ils présentent, avec la distance voulue, des écrits  racistes  de personnes d'aires culturelles diverses comme Pline l'Ancien( I°s ),  Galien(II°s ) cité par Al Mas'udi (X°s ) , Ibn Khaldoun (XIV°s ) ou Victor-Hugo ( XIX°s) .Excellente documentation pour introduire également  un cours  d'éducation civique sur le racisme.

b. Origine de l'esclavage:

Cinq manuels sur sept précisent que, si la traite  préexistait en Afrique, le commerce des esclaves a connu un très fort développement avec l'expansion du monde arabo-musulman à partir du VIIème siècle. L'un d'eux tient à noter, renvoyant implicitement au programme de sixième: "Comme dans toutes les sociétés antiques , les sociétés africaines marquées par le manque d'hommes utilisent le travail forcé d'esclaves."

c. Qui sont les négriers  du VIIIème au XVIème siècle ?

 Les Arabes et, dans une moindre mesure, les Noirs. Un manuel précise "Noirs islamisés". Un deuxième y ajoute les Berbères. Un troisième , des Européens: "Dès le XIVème siècle, les marchands chrétiens d'abord portugais participent à ce trafic essentiellement sur la côte de l'Atlantique." Un quatrième  signale, document iconographique à l'appui, que : "Dès le Moyen-âge, des esclaves noirs sont employés comme domestiques en Europe." Un cinquième manuel pose la question suivante: "Quelles sont les principales différences entre la traite des Noirs transsaharienne et la traite des Noirs transatlantique?" Question pertinente à laquelle l'élève sera incapable de répondre tant le contenu du document  de référence est ambigu.

d. Ampleur de la traite.

 Sur sept ouvrages, deux avancent des estimations. Pour le premier: "Plusieurs millions d'esclaves entre le VIIIème et le XVIème siècle". Pour le second: " Du VIIème siècle à 1920, environ 17 millions".

Par ailleurs, deux manuels signalent la présence d'esclaves européens dans le monde arabo-musulman sans chiffrer le phénomène.

e. Religions et esclavage.

Deux ouvrages indiquent que l'animisme tolère la traite.

En ce qui concerne l'islam, six manuels sur sept évoquent un lien entre cette religion et l'esclavage.

 Pour trois d'entre eux, la loi musulmane interdit d'assujettir un coreligionnaire.

 Deux autres précisent que le Coran permet ou encourage l'affranchissement d'un esclave et citent  la sourate XXIV, verset 33: "Soyez disposés à affranchir ceux de vos esclaves qui en expriment le désir...si vous reconnaissez en eux des qualités". Le premier de ces  manuels pose à l'élève une question difficile: "Pourquoi, malgré la recommandation du Coran, les musulmans ont-ils pratiqué l'esclavage?", les documents présentés ne lui permettant pas d'y répondre. Le second ajoute un commentaire  de ce verset fait au XVème siècle par Ahmad al-Wancharisi, présenté comme un spécialiste de la loi coranique.  A l'élève est proposé une double question dont la réponse pointera la contradiction entre le Coran et son interprétation  restrictive justifiant l'esclavage des non musulmans.

Dans le sixième  manuel, l'auteur conclut la page sur " la traite négrière du VIII° au XVI° siècle  en Afrique" par ces mots: "L'ampleur de ce commerce donne naissance à une image raciste des Noirs , alors que l'islam , comme  le christianisme, prêche l'égalité de tous les hommes". Des renvois auraient été bienvenus aux chapitres concernant les deux religions  et les découvertes européennes  au XVIe siècle.

A noter enfin que trois manuels donnent de longs extraits de "la Charte de Manden"- dont l'authenticité est encore sujette à débats d'historiens -  proclamée en 1222 par le fondateur de l'empire du Mali, Soundjata Keïta: "Nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre...La razzia est bannie...L'esclavage ne jouit d'aucune considération nulle part dans le monde."

 

 

9. Iconographie

 

Dans les paragraphes précédents, nous avons abordé ponctuellement l'étude de quelques documents iconographiques. Il nous semble important de leur octroyer , en tant que tels, une attention particulière, et ce, pour deux raisons: la présence de très nombreux documents  -souvent  très esthétiques  et séduisants,  avec ,  pour l'élève , un risque de dispersion des idées  - mais aussi -et surtout  - la très grande inégalité de qualité dans l'analyse et l'intégration pédagogique de ces documents.

Nous aborderons cette étude en distinguant deux catégories de documents : le document historique et l'oeuvre d'art,  étant tout à fait conscients que les deux peuvent se rejoindre dans certains cas.

1. Le document iconographique en tant que document historique.

Certains documents iconographiques  -associés ou non à d'autres documents - font l'objet d'une présentation du contexte historique, d'une analyse propre, d'un questionnement permettant d'en dégager une signification et , éventuellement , un désir d'aller plus loin. En revanche,  de nombreux documents se cantonnent dans un rôle illustratif,  sans questionnement pédagogique pertinent , sans lien avec les autres textes du chapitre, sans éventuelle comparaison avec d'autres parties étudiées précédemment  . A l'enseignant reviendra le soin de combler ce déficit.

Prenons quelques exemples :

Un manuel présente une enluminure du XIVème illustrant une bataille entre croisés et musulmans en 1119.Dans les questions liées à ce document, pas d'interrogations sur l'écart des dates entre l'évènement et sa représentation, ni sur la présence de signes religieux, ni sur le point de vue pris par l'auteur dans la manière de représenter les soldats de chaque camp en présence : les croisés à cheval étant valorisés face aux combattants musulmans, dont l'un prend une posture qui peut être interprétée comme humiliante. Le questionnement n'amène pas l'élève à décoder le point de vue occidental et chrétien que privilégie l'auteur  de cette enluminure.

Autre exemple pris dans un autre  manuel: celui-ci présente une gravure de Théodore de Bry du XVIème siècle représentant Christophe Colomb sur l'île de Guanahani  sur une page comprenant deux extraits du journal de bord du navigateur. Une seule des six questions invite à associer la gravure et les textes. Pas de question permettant l'analyse de cette représentation et l'interprétation de celle-ci. Les élèves ne sont pas invités à commenter l'attitude des habitants du Nouveau Monde dont certains, au premier plan, accueillent les conquistadors avec des présents alors que d'autres, à l'arrière plan, les fuient en courant vers l'intérieur des  terres.

2.  Le document iconographique en tant qu'en oeuvre d'art.

Nous prendrons deux exemples :

Le premier exemple -fâcheux de notre point de vue-  présente deux peintures sur un même sujet, "la Vierge , l'enfant Jésus et Sainte-Anne" réalisées ,pour la première, par Cimabue vers 1270 et ,pour la seconde, par Léonard de Vinci vers 1510. Une question est posée :" Dans quelle oeuvre distingue-t-on les éléments religieux, lesquels?"  Manifestement,  dans le second tableau,  est évacuée  la dimension symbolique de l'agneau dans  le christianisme. Que peut répondre un élève aux questions  qui suivent : "Quelle impression générale donne chaque oeuvre?",  "La quelle des deux oeuvres vous semble le plus proche de la réalité?"  La notion de "réalité" est trop ambivalente dans ce contexte. L'appel à "l'impression générale"  est une facilité  pédagogique qui n'aide pas à construire un jugement étayé . Un certain nombre de concepts demandent à être présentés et définis -retable, perspective, réalisme, l'opposition profane et sacré- pour établir une comparaison valable entre une oeuvre médiévale et une oeuvre de la Renaissance. Il aurait été pertinent de demander :" Pour quel lieu chacune de ces oeuvres  a-t-elle été créée?",l'oeuvre de Cimabue dans une église pour y être vénérée, celle de Léonard de Vinci dans un salon pour y être admirée.

Le second exemple - heureux de notre point de vue- présente deux peintures également sur un même sujet, "Vierge à l'Enfant", l'une de Cimabue du XIIIème siècle, l'autre de Raphaël du XVIème. Des définitions précises, des légendes fournies et des questions concrètes donnent,  aux élèves,  les éléments d'analyse sur lesquels ils peuvent s'appuyer pour construire  des compétences précises en histoire des arts - "support, technique, dimension, description des personnages,  décor, étude des couleurs, profondeur ".   

Quelques  manuels ont fait  le choix heureux de mettre à la disposition des élèves soit un lexique spécifique à l'histoire des arts, soit, pour chaque oeuvre présentée, une grille d'étude et d'interprétation   concernant formes,  technique,  sens et lieu de présentation de l'oeuvre.

 

10. Conclusion


Au terme de la lecture des pages traitant des faits religieux dans les sept nouveaux manuels d'histoire de 5e des collèges -  concernant environ cinq millions d'élèves, compte tenu de la durée moyenne d'un livre -,un constat s'impose : peu de manuels ont évité le premier risque énoncé par Régis Debray et rappelé au début de cette étude (cf .§ 1), celui de la "dévitalisation".

Dévitalisation qui prend la forme d'une simplification excessive qui nuit à la compréhension des faits et des périodes historiques. Dévitalisation qui risque de renforcer les préjugés et amalgames véhiculés par l'environnement culturel des élèves . Celle-ci se décline à trois niveaux: concepts présentés ou occultés , faits et contextualisation, enfin, lien entre contenu et pédagogie .

1 . Concepts présentés ou occultés.

 L'analyse des lexiques  montre  l'approximation et même  l'absence de nombreuses définitions  (cf. §2) . Des mots-clés comme « âme », « confession », « doctrine », « foi », « grâce », « mystère », « révélation » sont absents des lexiques - à noter que les termes « foi » et « révélation » étaient présents dans les ouvrages issus des programmes de 1996.

 Pourquoi l'ensemble des ouvrages ont-ils choisi une définition réductrice et guerrière du mot "djihad" (cf.§ 3)? Comment parler des Réformes protestante et catholique au XVIe siècle sans les notions de « grâce » ou de " confession "(cf. §7)? Comment les élèves pourront-ils analyser un tableau au contenu religieux si le manuel ne les aide pas par une explicitation de  la symbolique qui lui donne  sens(cf .§9) ?

2 . Faits et contextualisation.

L'excès de simplification ne permet pas de distinguer clairement  le message religieux et la manière dont l'Eglise-institution  le dénature fréquemment dans  la période étudiée .Ainsi, dans certaines pages de nombreux  manuels, le christianisme apparaît comme intrinsèquement  intolérant et violent face aussi bien aux « hérétiques » et aux musulmans qu' aux peuples colonisés (cf.§ 4.5.6.8). On ne saisit pas l'occasion de faire relever par les élèves la contradiction entre ces comportements et les valeurs fondatrices du  christianisme étudiées l'année précédente. Autre occasion manquée : dans deux  ouvrages, pas d' invitation à confronter les documents présentés , d'une part, sur l'action de l'Inquisition et, d'autre part, sur le rôle social de l'Eglise (cf.§.4).

Quant à l'islam, la religion (islam avec un petit i) est plutôt bien différenciée de l'Islam-civilisation(avec un grand i), ce que ne faisaient pas tous les manuels issus des programmes précédents(cf.§.3).

Les manuels ne font  aucune allusion à l'antijudaïsme  de cette période: aucune mention de la présence des communautés juives - contrairement à certains ouvrages issus  des programmes de 1996. Autre exemple d'occultation : deux  manuels gomment totalement  la dimension religieuse du personnage de Jeanne d'Arc(cf.§. 4.5).

Participe également de cette "simplification-occultation"  la fréquente absence du point de vue de ceux dont les croyances et les cultures sont différentes des croyances et des cultures dominantes à l'époque. Les Cathares sont brûlés sans que soient présentées leurs convictions  dans la plupart des manuels. Quant aux croisades en Orient, aucun ouvrage n'indique que Jérusalem est une ville trois fois sainte- celle-ci n'étant  présentée sainte que pour les chrétiens et les musulmans- , et qu'il existe des chrétiens au Proche-Orient et en Egypte dès l'origine- Nasrani, Coptes, Arméniens...(cf 5)! Quant à l'expansion européenne au temps des grandes découvertes, si la majorité des manuels montrent  une ouverture aux autres cultures, l'un d'eux, étonnamment , s'en tient à une pure et simple légitimation de l'expansion européenne en Amérique(cf 8).

3 . Pédagogie et contenu.

 Dans une majorité de manuels, de nombreux questionnaires "ambitieux"  édulcorent ou éludent les éléments  symboliques contenus dans les documents textuels ou iconographiques , et ce, notamment dans les parties concernant l'histoire des arts (cf.§.9). De plus,  la rareté des renvois à des connaissances abordées dans d'autres chapitres est dommageable pour une bonne compréhension des faits - religieux ou non -et des périodes historiques. Enfin, de nombreuses  propositions d'exercices B2i, travaux sur internet, peuvent poser problème à cause d'une difficulté d'accès au site et/ou d'un parcours pédagogique  peu pertinent ou absent.

 A noter qu'une des sept éditions s'est entourée d'une équipe particulièrement fournie d'auteurs; le manuel ainsi conçu réussi, de notre point de vue, à concilier complexité et clarté, tant pour le contenu que pour la pédagogie, comme nous l'avons fréquemment relevé dans nos analyses détaillées ci-dessus.

 

En conclusion, ces trop fréquentes  simplifications  concernant les faits religieux, contre-productives pédagogiquement, risquent de laisser les élèves loin d'une compréhension profonde des faits et des évolutions ultérieures. Entrer dans un peu de complexité n'est pas de l'encyclopédisme , mais, par l'accès au symbolique, propose du sens, nourrit l'intérêt des élèves, permet une transmission  culturelle et plurielle ainsi qu' un questionnement pour une meilleure  compréhension des réalités d'hier ...et d'aujourd'hui. Cette clarification, cette "revitalisation", est nécessaire pour déconstruire les préjugés, sources de malentendus et de peurs, et peut favoriser les conditions d'un vivre-ensemble  dans la dignité.

 

Quelques questions méritent d' être posées: cette dévitalisation qui pourrait s'apparenter à un manque de respect des cultures et de leur dimension religieuse, ne procéderait-elle pas - en dehors de la question propre de production d'un manuel- d'un certaine frilosité rédactionnelle? Parler des  faits religieux  peut être plus ou moins bien reçu par des élèves et/ou des parents d'élèves , et ce, pour des raisons multiples et contradictoires. Aussi, certains auteurs et/ou éditeurs n'auraient-ils pas choisi de simplifier jusqu'à "dévitaliser" les faits religieux pour  ne pas mettre en difficulté des professeurs et/ou permettre au manuel édité de garder ou de conquérir un public plus large?

Ces pages se veulent  une contribution parmi d'autres  à l'amélioration de la présentation des faits religieux dans  les manuels d'histoire ainsi qu'une proposition de dialogue avec toutes les personnes intéressées par ce sujet.

Ont participé à ces analyses: Claudine Charleux, Laetitia Havet, Maria Istoc, Henri de la Hougue,  Françoise Marchand, Alain Merlet, Jean-Marc Noirot (synthèse), Maja Siemek et Anna Van Den Kerchove(Iesr).

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